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tacle de ses grandeurs. Que de nobles élans, de passions généreuses, de paroles et d'actions héroïques! Que de conquêtes définitives pour la civilisation! Les castes effacées, les priviléges détruits, ceux des individus comme ceux des provinces; l'unité nationale fondée, la liberté de conscience reconnue, les citoyens devenus égaux devant la loi, les parlements supprimés, la torture abolie, le jury établi, le Code civil esquissé et promis à l'Europe, l'éducation nationale essayée et admise en principe, l'industrie et le commerce délivrés de leurs entraves, tous les progrès futurs devenus possibles et nécessaires, tels sont les fruits précieux de tant de travaux et de tant de pensées, de tant d'écrits spirituels, éloquents, audacieux, qui composent la littérature du dix-huitième siècle.

SIXIÈME PÉRIODE.

LE DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

CHAPITRE XLII.

LA LITTÉRATURE DE L'EMPIRE.

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Classiques de la décadence. Ecole descriptive. - Tragédie.
Poésie lyrique; Ecouchard Lebrun.

Classiques de la décadence.

Comédie.

Tandis que l'audace des philosophes du dix-huitième siècle sapait les bases du trône et de la religion, chose surprenante ! une puissance bien moins auguste avait échappé à leurs attaques. Parmi toutes les traditions de l'âge précédent, Voltaire n'en avait respecté qu'une, celle de la forme littéraire. A sa suite toute l'école philosophique avait voué aux règles et aux usages de l'art d'écrire un respect superstitieux. A peine pourrait-on signaler çà et là quelques actes isolés d'insubordination, ou quelques doctrines étranges qui passaient presque inaperçues comme d'innocents paradoxes. Les querelles fameuses du dix-septième siècle sur la prééminence des anciens ou des modernes s'étaient assoupies en présence de plus graves préoccupations. C'est en vain que Lamotte d'abord, puis Diderot et enfin Beaumarchais, avaient dirigé contre le système dramatique des Français des attaques partielles, insuffisantes et souvent erronées. Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre, en rappelant dans l'éloquence le sentiment moral et l'amour passionné de la nature, avaient fait faire à la réforme littéraire un pas bien plus décisif. Mais ces deux grands hommes ne firent point école au dix-huitième siècle : ils restèrent comme de glorieuses exceptions au milieu d'une littérature plus spirituelle que naïve, plus solennelle que pas

sionnée. Leur gloire devait attendre encore longtemps des successeurs. D'ailleurs, ils ne s'exercèrent dans aucun des genres consacrés, dont leur inspiration eût pu renouveler la forme. La tragédie, l'épopée, l'ode, toute la versification demeura entre les mains des disciples de Voltaire, des élégants, mais faibles héritiers de Racine. L'époque impériale leur op. partient presque tout entière; c'est alors que fleurit cette école de poëtes qu'on a nommés à juste titre les classiques de la décadence, imitateurs des imitateurs, qui rappellent leurs modèles comme les auteurs byzantins ressemblent aux écrivains attiques.

Le règne de Napoléon Ier, comme les temps révolutionnaires qui l'avaient précédé, fut peu favorable aux arts de l'imagination. On faisait alors de trop grandes choses; on ne songeait pas encore à les écrire. L'épopée était partout, excepté dans les vers. Il semble que pour peindre les événements héroïques, il faut les voir à distance: un certain éloignement supprime les détails secondaires qui risquaient de confondre l'ensemble, et ne laisse dominer que les plus hauts sommets. Ajoutez que l'inquiète tutelle du pouvoir nuit à l'originalité des arts qu'elle croit protéger. La censure acheva de mettre les écrivains dans la main du maître. La littérature fut dès lors disciplinée comme tout le reste.

École descriptive.

Écrire, n'étant plus une inspiration, devint un métier. On travailla les vers comme une broderie : l'âme fut une chose superflue pour être poëte; il suffit d'avoir de l'oreille, du goût et surtout de la lecture. C'est alors que se développa dans toute sa gloire le genre bâtard de la poésie didactique et descriptive, qui ne manque jamais aux décadences littéraires. Déjà, en 1770, Saint-Lambert avait donné le signal. Sous l'empire, la poésie descriptive prit assez d'importance pour donner son nom à une école : Jacques Delille

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en fut

4. 1738-1813.- OEuvres principales: les Jardins; l'Homme des champs; l'Imagination; les Trois règnes de la nature; la Conversation; la Pitié; traduction des Géorgiques et de l'Enéide de Virgile et du Paradis perdu de Milton.

le chef, et à force d'esprit, d'élégance dans le langage, de grâce ou de coquetterie dans la pensée, il parvint, par ses jolis miracles de versification et de difficulté vaincue, à couvrir, aux yeux d'un grand nombre de lecteurs, ce qu'il y a de faux et d'antipoétique dans sa manière1. Pendant trente ans les Français ont mis Delille à côté et peut-être au-dessus d’Homère. Lui-même, à la fin de sa carrière, passait orgueilleusement en revue tous ses trophées descriptifs, et se vantait d'avoir fait douze chameaux, quatre chiens, trois chevaux, six tigres, deux chats, un échiquier, un trictrac, un billard, plusieurs hivers, encore plus d'étés, une multitude de printemps, cinquante couchers du soleil, et un si grand nombre d'aurores qu'il lui eût été impossible de les compter. Il eût mieux fait de se féliciter d'avoir, au milieu de ses autres traductions moins parfaites, rendu élégamment les Géorgiques. C'est là, comme l'a dit Chateaubriand, un tableau de Raphaël merveilleusement copié par Mignard.

A la suite de Jacques Delille marchaient avec moins de gloire, mais dans la même route, l'élégant et correct Fontanes, auteur du Verger, homme d'esprit d'ailleurs, homme de goût, rencontrant parfois dans ses vers d'heureuses et même de touchantes pensées; Castel, chantre des Plantes; Boisjolin, poëte de la Botanique. Esménard chantait la Navigation; Gudin, l'Astronomie; Ricard, la Sphère; Aimé Martin écrivait en vers des Lettres à Sophie sur la physique, la chimie et l'histoire naturelle; Cournand rimait en quatre chants un poëme sur les Styles. Plus une matière était aride, plus les poëtes se croyaient de mérite à la traiter; le style poétique était regardé comme quelque chose d'indépendant de la pensée, comme un ornement mobile qu'on pouvait appliquer indifféremment à tous les sujets, et monter ou démonter à volonté. La poésie n'était que de la prose enluminée de métaphores. De là cette horreur du mot propre, cet usage continuel des circonlocutions, qui fait de certains poëmes de

4. Il faut lire sur le vice de ce genre, que nous ne pouvons exposer ici d'une manière théorique, le curieux et profond ouvrage de Lessing, le Laocoon. On peut voir ce que nous en avons dit plus haut à l'occasion du poëme des Saisons de Saint-Lambert, page 505.

cette époque un tissu d'énigmes plus ou moins difficiles dont le lecteur doit sans cesse chercher le mot.

Le style descriptif ne se renferma pas dans les poëmes qui par leur titre semblaient lui appartenir. Les genres les plus divers s'empressèrent d'en subir le joug. Partout régnèrent la description, la tirade et la métaphore ambitieuse. L'épopée, l'ode, la tragédie, furent autant de dépendances de la poésie descriptive, où le travail matériel de la versification dut suppléer à l'absence complète d'intérêt et de vie.

L'épopée, morte en France depuis la fin du moyen âge, n'avait garde de renaître sous la main des Luce de Lancival, des Campenon, des Dumesnil. Parseval de Grandmaison fut comme eux un disciple de Delille, mais un disciple plus digne du maître. Son Philippe-Auguste est un des poëmes soi-disant épiques les plus remarquables du temps: il parvint aux honneurs d'une troisième édition.

La poésie narrative rencontra dans le roman une expression moins factice, moins étrangère aux sentiments et aux mœurs réelles. Sans parcourir les noms et les ouvrages oubliés de tous les romanciers du commencement de ce siècle, on peut indiquer différents groupes dans lesquels ils peuvent tous trouver leur place. La platitude du style et de la pensée, fardée d'un vernis de morale, peut être représentée par les cent volumes de Mme de Genlis. La plaisanterie grossière et naïvement licencieuse eut Pigault-Lebrun pour principal interprète. Fiévée, Vindé, Monjoie ont quelque chose du sentiment moral qui inspira Bernardin de Saint-Pierre. Une noble et féminine délicatesse, une faiblesse gracieuse, caractérisent les écrits de Mmes Cottin, Flahaut-Souza et Montolieu. Enfin Mme de Krüdner jette quelques teintes du Nord sur le genre des La Fayette et des Souza, et malgré quelques fausses couleurs de la mode sentimentale du temps, Valérie fait déjà pressentir Delphine.

Tragédie.

C'est surtout au théâtre, c'est dans la tragédie que se montrent avec évidence l'épuisement de la littérature pseudo-clas

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