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leine sous l'abri spirituel du Seigneur. Abondante en fontaines, parée de verdure, couverte de vignes, agréable par son aspect et par ses parfums, elle semble un paradis à ceux qui l'habitent.

«Oh! qu'elles sont douces à ceux qui ont soif de Dieu les solitudes infréquentées! Qu'elles sont aimables à ceux qui cherchent le Christ, ces retraites immenses où la nature veille silencieuse! Ce silence a de merveilleux aiguillons qui excitent l'âme à s'élancer vers Dieu, et la ravissent en d'ineffables transports; là on n'entend aucun bruit, si ce n'est celui de la voix humaine qui monte vers le ciel. Ces sons, pleins de suavité, troublent seuls le secret de la solitude, dont le repos n'est interrompu que par des murmures plus doux que le repos lui-même, les saints murmures des chants modestes. Du sein des cœurs fervents, les chants mélodieux s'élèvent, et la voix de l'homme accompagne la prière presque dans les cieux. »

En lisant cette suave poésie, qui semble elle-même un parfum exalé du désert, on se croit encore en Orient, parmi ces Grecs à l'imagination aussi brillante que leur climat; on croit entendre saint Basile décrivant sa retraite de Cappadoce, ou Synésius, l'évêque philosophe de Cyrène, confiant ses aspirations de solitude et ses indépendantes rêveries à la lyre du vieillard du Téos. C'est qu'en effet, avec Eucher à Lérins (403), comme avec Cassien à Marseille (410), nous sommes encore dans les idées du monachisme oriental. Mais cette espèce de quiétisme était trop incompatible avec le génie de la Gaule pour se naturaliser dans ses monastères. Ces pieuses retraites devinrent bientôt de grandes écoles de théoÎogie et même de véritables colonies agricoles, où le travail manuel, la culture de la terre, naguère abandonnée aux est claves, se réhabilitait sous des mains libres et pieuses

Les moines ont été les défricheurs de l'Europe; ils l'ondéfrichée en grand, en associant l'agriculture à la prédication'. »

L'homme qui détermina cette direction et assura à la civi

4. Guizol, Histoire de la civilisation en France, t. II, leçon xi

lisation moderne un instrument si puissant, fut saint Benoit, né à Nursia, en 480. C'est sur le mont Cassin, aux frontières des Abruzzes, qu'il publia une Règle de la vie monastique, qui devint bientôt la règle générale et presque unique des moines d'Occident. « L'oisiveté est l'ennemie de l'âme, У est-il dit; et, par conséquent, les frères doivent, à certains moments, s'occuper du travail des mains; dans d'autres, de saintes lectures. »

Il ne suffisait pas de prescrire le travail, il fallait l'organiser, et pour cela l'assujettir à une direction centrale et toutepuissante. Saint Benoît, pour discipliner sa milice nouvelle, pose en principe l'obéissance passive, l'abnégation de toute propriété comme de toute volonté personnelle. Ainsi disparaît entièrement le caractère primitif du monachisme oriental, l'exaltation et la liberté. Enfin, pour cimenter son édifice et lui assurer une durée impérissable, Benoît établit les vœux perpétuels, c'est-à-dire substitue aux élans fugitifs et capricieux de la ferveur, une institution positive, garantie bientôt par l'intervention de la puissance publique.

Les fruits de cette institution furent incalculables pour l'avenir, précieux déjà dans le présent. Aux écoles civiles, détruites au cinquième siècle par l'invasion des barbares, succédèrent çà et là quelques écoles épiscopales et monastiques; et tandis que les premières, qui croissaient à l'ombre de l'évêché, avaient pour but exclusif de pourvoir aux besoins de l'Église et de recruter des lecteurs et des chantres pour l'office divin, les écoles formées par les moines, qui étaient entièrement laïques, avaient quelque chose de moins restreint, de moins spécial dans leur enseignement. On y donnait une plus grande place aux connaissances qui ne se rapportaient pas directement aux besoins journaliers de l'Église. On y copiait des manuscrits, on y gardait quelques notions d'astronomie et de mathématiques; enfin on y étudiait quelque chose des philosophes anciens. Ainsi se conservaient dans l'ombre, entre les mains des chrétiens les plus zélés, et souvent en dépit d'eux-mêmes, les traditions de la civilisation antique, qui n'attendaient, pour germer de nouveau, que des jours meilleurs, un état politique moins confus. Un

grand homme essaya de hâter le pas de l'histoire et de faire à lui seul l'œuvre des siècles: Charlemagne parut, et avec lui la première renaissance, essor prématuré et par conséquent éphémère, météore brillant destiné à s'éteindre bientot dans une nuit moins profonde toutefois que celle qui l'avait précédée.

CHAPITRE V.

CHARLEMAGNE.

Première renaissance. Savants appelés par Charlemagne.

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de Charlemagne; grammaire franque; recueil de poésies populaires. - Théologie; capitulaires. - Réformes du clergé; écoles; manuscrits.

Première renaissance.

La pensée moderne devait naître de l'union du christianisme et des mœurs germaniques avec les souvenirs savants de la Grèce et de Rome. Le premier contact de ces éléments de vie ressemble à une destruction. Sans doute l'invasion des barbares ne fut pas un fait général, simultané pour toutes les parties de l'empire ou même de la Gaule. On ne saurait, sans une certaine exagération, adopter les termes de déluge et d'inondation par lesquels certains historiens se plaisent à la peindre ce fut plutôt une infiltration. Les barbares, longtemps amoncelés aux frontières, percèrent çà et là ces digues impuissantes. Tantôt appelés par les empereurs, tantôt imposant leurs services, ailleurs courant par bandes le pays qui sé refermait sur leurs traces, pillards plutôt que conquérants, ils ne subjugaient pas la Gaule, ils la dévastaient. Le résultat n'en fut pas moins la destruction de l'empire. Toute vie centrale s'éteignit peu à peu; tout lien entre les diverses contrées fut détaché sinon rompu; tout devint local, isolé : le monde semblait tomber dans le chaos. Le mélange confus, la fermentation tumultueuse des éléments d'une société nouvelle dura

du cinquième siècle jusqu'à la fin du huitième. Alors se manifeste la première tentative d'organisation sous la main puissante de Charlemagne. Germain de race et de mœurs chrétien par la foi et Romain par la science, ce grand homme réprésente en lui-même la fusion qu'il aspire à réaliser dan s l'Occident. D'une main il arrête l'invasion barbare; de l'autre il essaye de relever l'empire et de purifier l'Église. A côté de cette résurrection de la société politique, se place aussitôt, comme une conséquence, la réorganisation littéraire qui doit attirer notre attention. C'est la première des époques qu'on nomme renaissances. Celle-ci mérita plus particulièrement. ce titre ce fut bien une renaissance, non une création; et tel est le principe de sa faiblesse. Elle fut bienfaisante, quoique passagère elle conserva pour des époques plus heureuses la tradition antique près de s'éteindre, et interrompit la prescription de l'ignorance.

Charlemagne entreprit de relever tout ce qui s'écroulait, y. compris les lettres, ce luxe impérial de l'ancienne Rome. Sest guerres mêmes furent organisatrices, et ses conquêtes défensives. Il comprit que le premier obstacle à vaincre, c'était la fluctuation des peuples, la perpétuelle mobilité des races, qui entraînaient nécessairement celle des institutions. Pour édifier, il affermit le sol. De là cette lutte de quarante ans contre tous les barbares, ces trente campagnes au nord et à l'est contre les Saxons, les Avares, les Thuringiens, les Slaves et les Danois, ces dix-sept expéditions au midi contre les Arabes et les Lombards. La victoire change alors de parti et de caractère : elle se retourne contre l'invasion; elle fonde au lieu de détruire.

Savants appelés par Charlemagne.

Parmi les plus utiles conquêtes de Charlemagne, il fau compter les hommes instruits qu'il s'empressa d'appeler des contrées voisines et d'associer à son œuvre de restauration. C'était le premier pas dans la carrière du progrès; il s'assurait ainsi d'indispensables instruments. L'Angleterre était alors le pays le plus civilisé de l'Occident. Sans parler de la vieille

Église d'Irlande, dont les monastères étaient célèbres depuis le cinquième siècle, l'Église anglo-saxonne elle-même avait été fondée par un Grec de Tarse, Théodore, en 668. Il y avait apporté certains livres grecs, entre autres Homère et Josèphe. Grâce à ses soins et à ceux d'Adrien son compagnon, cette Église naissante avait retrouvé la tradition des lettres latines et même de la langue grecque. Elle possédait plusieurs grands ouvrages de l'antiquité, entre autres ceux d'Aristote. Dans l'âge des plus profondes ténèbres, elle produisait sans interruption des hommes tels que Bède, Egbert, Albert et Alcuin.

Ce dernier fut le confident, l'ami et en quelque sorte le ministre intellectuel de Charlemagne. C'est en Italie, à Parme, que le roi des Francs trouva le savant Anglo-Saxon en 780. Deux ans après, Alcuin était établi à la cour de Charlemagne, et touchait les revenus de trois riches abbayes. Il ne faut pas mesurer la réputation de cet homme célèbre au mérite intrinsèque des ouvrages qu'il a laissés. Des commentaires allégoriques sur l'Écriture sainte, des traités dogmatiques sur certaines questions de théologie, un livre de morale pratique sur les vertus et les vices, quelques travaux sur la grammaire, l'orthographe, la rhétorique et la dialectique, quatre-vingts pièces de vers d'un médiocre mérite, c'est tout ce qui nous reste de lui, et rien ne nous engage à croire qu'il ait composé des ouvrages d'une valeur plus considérable. L'œuvre véritable d'Alcuin c'est l'impulsion qu'il donna à l'esprit de ses contemporains; son mérite, c'est d'avoir arrêté sur sa pente rapide la décadence de l'instruction et renoué la chaîne des traditions antiques. C'est vers la philosophie, vers la littérature que tendent ses pensées : il cite Virgile à côté de saint Augustin: il s'occupe de mathématiques et d'astronomie aussi bien que d'études théologiques. En lui commence l'alliance des deux plus féconds éléments de la pensée moderne, l'antiquité et le christianisme.

Alcuin ne fut pas le seul auxiliaire qui seconda Charlemagne dans sa noble entreprise. Toutes les contrées semblent lui payer leur tribut. La Norique lui donne Leidrade; il s'attache le Goth Théodulphe; l'un devient archevêque de Lyon,

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