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le mien;

• Je tiens son cœur, qui était aussi faux que Qui a désiré ta mort, et qui t'a fait mourir depuis longtemps.

« Et toi, dis-moi, crapaud, que fais-tu là au coin de sa bouche?

« Moi, je me suis mis ici pour attendre son âme au passage. Elle demeurera en moi tant que je vivrai, en punition du crime qu'il a commis,

Contre le barde qui habitait jadis entre Roch-Allaz et Port-Gwenn. »

Cette dernière et effrayante idée se rattache directement au dogme druidique de la métasomatose. L'originalité puissante, le coloris ardent de cette poésie, la haine des étrangers chrétiens, tout nous semble confirmer l'opinion de M. de La Villemarqué, et assigner à ce morceau la date la plus reculée.

Abandonnons maintenant l'Armorique et ses bardes; laissons-les s'adoucir sous l'influence de ce christianisme qu'ils embrasseront avec autant de ténacité qu'ils l'ont d'abord repoussé avec énergie. Nous entendrons encore leur voix au moyen-âge, nous retrouverons leurs braves chevaliers autour de la table ronde d'Arthur et du tombeau enchanté de Merlin.

Les Ibères.

Il y avait sur le sol de la Gaule un autre peuple que des travaux récents paraissent avoir définitivement rattaché à la souche celtique, mais qui diffère assez du reste de la race pour qu'il soit nécessaire d'en faire ici mention.

Les Ibères, dont les restes survivent encore aujourd'hui dans la population basque, sont probablement le peuple le plus ancien de l'Europe. Ils semblent avoir formé l'avantgarde de cette grande migration qui, des contrées de la haute Asie, envahit flot à flot l'Occident. On ne peut dire par quelle route ils vinrent; mais ils couvrirent de leurs tribus le midi de la Gaule jusqu'à la Garonne, et peut-être jusqu'à la Loire, une grande partie de l'Espagne, à laquelle ils donnèrent leur nom, la côte nord-ouest de l'Italie jusqu'à l'Arno, et les trois grandes îles de la Méditerranée.

Il serait difficile de refaire, à l'aide de quelques mots échappés aux écrivains grecs et romains, l'image d'un peuple presque entièrement détruit. Toutefois, à travers le demi-jour de ces documents incomplets, les Ibères nous apparaissent comme une race active, ingénieuse, plus propre à la défense qu'à l'attaque, et dont la civilisation hâtive et incomplète fut plusieurs fois en proie à la violence barbare de leurs plus jeunes voisins. Disséminés sur une surface immense, ils formaient plutôt des tribus qu'une nation. Point de ligue entre eux, point d'alliances: ils restèrent isolés par fierté, et faibles par isolement. Ceux des montagnes semblent avoir retrempé leur énergie dans la sauvage nature qui les environnait. Voisins des Celtes, ils s'en distinguaient par la sobriété de leur vie et la simplicité sévère de leur costume. Tandis que les Gaulois aimaient les habits éclatants, rayés de couleurs brillantes, les Ibères portaient des vêtements noirs de grosse laine avec de longues bottes de crin. Les femmes même, comme aujourd'hui les Espagnoles, se paraient de voiles noirs.

Tout en eux indique un peuple primitif, qui s'est fait luimême ses idées par l'observation, et n'a rien reçu des autres. Chacune de ces tribus donne aux mois des noms particuliers, et tous ces noms désignent d'une manière pittoresque l'aspect ou les productions de la nature à la période de l'année qu'ils remplissent. Sa semaine est de trois jours, période dont la courte durée et le souvenir facile durent convenir à une civilisation naissante.

Langue et poésie des Ibères.

La langue des Ibères, qu'ils nommaient eux-mêmes Escara ou Euscara, a été le sujet de curieuses recherches1. Il paraît certain qu'elle ne différait pas essentiellement du basque qu'on parle encore aujourd'hui des deux côtés des Pyrénées Quelques savants ont beaucoup vanté la richesse de cette lan

ils ont cité avec orgueil les deux cent six présents que

1. M. Ampère, dans son Histoire de la littérature française avant le douzième siècle, cite les travaux antérieurs aux siens. Il faut ajouter ceux de M. W. F. Edwards, dans l'ouvrage cité ci-dessus.

possède chaque verbe, les modes affirmatifs, négatifs, éventuels, courtois, familiers, masculins et féminins dont il dispose, sans réfléchir que cette abondance stérile atteste l'enfance d'une civilisation qui n'a pu parvenir à la simplicité des idées générales et au facile mécanisme d'une langue analytique1.

Cet âge social n'est pas le moins favorable à la poésie. Strabon atteste que les Turditains, peuple espagnol de race ibérique, possédaient de son temps des monuments écrits d'une antique tradition, des poëmes et des lois en vers, vieilles, disait-on, de six mille ans. Les Galiciens marchaient au combat en chantant des hymnes guerriers. Les Cantabres entonnaient le péan de victoire sur la croix où les clouait la barbarie des Romains". De tous ces chants, il nous resterait, si nous en croyions G. de Humboldt et J. J. Ampère, un fragment écrit en langue basque et relatif à un siége que les armées d'Auguste firent soutenir aux Ibères, dans leurs montagnes. Ce poëme populaire, au moins sous sa forme actuelle, est bien loin d'être contemporain de l'époque qu'il célèbre; et, malgré la rude simplicité qui le caractérise et semble attester une origine ancienne, la critique moderne en a mis en doute l'authenticité. Nous citons néanmoins cette curieuse composition dans la traduction qu'en a donnée Ampère 5. « Les étrangers de Rome veulent forcer la Biscaye, et -la Biscaye élève le chant de guerre.

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« Octavien (est) le seigneur du monde; - Lecobidi, des Biscayens.

4. M. Edwards semble devoir dissiper le prestige de la langue basque, en faisant remarquer ce principe, que des particules détachées dans d'autres langues entrent en combinaison dans celle-ci, pour former des déclinaisous et des conjugaisons fort compliquées en apparence. » Le même auteur cite, dans sa Lexicographie, un assez grand nombre de mots français qui paraissent venir de la langue basque, comme ennui de enojua (espag. enojo, ital. noja), aise de aisa (facile): vague (flot) de buga.

2. Strabon, liv. III, chap. 1.

3. Sillius Italicus, liv. III, v. 345.

4. Strabon, liv. III, chap. iv.

5. Ce poëme fut découvert en 1590, par J. Ibanez de Ibarguen, et publié pour la première fois en 1817 par G. de Humboldt, dans le Mithridate. Mon ami Julien Vinson, jeune et savant linguiste, croit que ce chant ne remonte pas au delà du seizième siècle.

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Nous entrevoyons déjà, dans ce chant guerrier de la race primitive, le peuple conquérant qui apporte à la Gaule d'autres idées, d'autres mœurs, une civilisation et une littérature étrangères. C'est de lui que nous avons maintenant à parler.

CHAPITRE II.

LA GAULE GRECQUE ET ROMAINE.

Influence de la Grèce sur la Gaule. Influence de Rome.

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Influence de la Grèce sur la Gaule.

C'est surtout par Rome que la Gaule connut la Grèce. Quoique les colonies helléniques viennent avant Rome la visiter, elles ne font qu'en toucher le bord. Rhodes établit un comptoir à l'embouchure du Rhône. Marseille elle-même y demeure pendant six siècles isolée dans son élégante civilisation. Elle introduit la Grèce en Gaule; elle ne transforme pas les Gaulois en Grecs. « Marseille, dit un géographe latin,

contemporain de l'empereur Claude1, est une ville d'origine phocéenne, placée entre des nations sauvages maintenant pacifiées, mais dont elle diffère beaucoup. Il est merveilleux avec quelle facilité elle a conquis sa place parmi elles, et combien elle a conservé fidèlement jusqu'à ce jour sa propre civilisation. La Grèce ignorait profondément cette Gaule, où ses propres enfants s'étaient depuis longtemps établis, Diodore de Sicile, qui écrivait après César, parle des régions transalpines comme d'un pays où tous les fleuves sont glacés.

La civilisation grecque fut donc circonscrite ici dans un étroit espace. Elle eut sa vie à part, jusqu'à ce que cette contrée fût devenue entièremeut romaine. Alors seulement nous voyons les sciences et les arts grecs se répandre dans les provinces gauloises, comme ils avaient prévalu à Rome. Du temps de César, les Gaulois se servaient de caractères helléniques pour écrire leur propre langue. Sous les Antonins, Lucien mentionne un philosophe gaulois, c'est-à-dire probablement un druide, qui était instruit dans les lettres de la Grèce et parlait très-bien la langue grecque. Les médailles gauloises frappées avant la conquête sont d'un travail grossier: après cetté époque, la Gaule donne des sculpteurs à Rome. Ce fut de Clermont qu'on fit venir l'artiste chargé d'exécuter la statue colossale de Néron. Au quatrième siècle le grec était aussi usuel à Arles que le latin. Le peuple chantait indifféremment l'office religieux dans ces deux langues.

On peut dire en général que la Grèce n'était pas faite pour la domination, mais pour l'influence; elle ne devait pas être la reine, mais l'institutrice du monde. La Grèce ne conquiert pas, elle colonise; elle ne saisit pas les populations comme dans une moule puissant pour leur donner sa forme : elle jette en elles son esprit et sa pensée. Rome fut conquérante comme le premier empire français, par les armes et les lois, la Grèce le fut comme notre dix-huitième siècle, par les idées et par les arts. Ces deux forces agirent ensemble sur la Gaule. L'épée de César creusa le sillon où germèrent les idées des Grecs.

1. Pomponius Mela, liv. II, chap. v.

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