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à son caractère jaloux, soupçonneux et cruel. Ainsi lorsque, dans Britannicus nous voyons Néron, sous les apparences d'une réconciliation avec son frère, cacher la haine, la plus envenimée et le dessein formé d'empoisonner ce jeune Britannicns, qui fait ombrage à sa puissance autant qu'à son amour, cette perfidie ne nous étonne pas: elle est très-conforme

son caractère dissimulé et méchant. Ainsi lorsque dans Iphigénie en Aulide nous entendons Achille éclater contre Agamemnon, braver ce chef de tant de rois,, et lui parler sur le ton de la menace; quand nous le voyons courir à l'autel, déterminé à l'inonder de sang, à renverser le bûcher, à massacrer le prêtre même, à combatire avec ses Thessaliens contre toute l'armée, si l'on veut sacrifier Iphigénie, ce langage si fier, cette action si hardie n'ont rien qui nous étonne: ils sont parfaitement confor mes à son caractère emporté, violent et inexorable.

Les trois autres qualités que doivent avoir les moeurs dramatiques, sont plus aisées à entendre, et n'ont pas besoin d'une longue explication. Les moeurs sont convenables lorsqu'on fait agir et parler les personnages selon leur âge, leurs sexe, leur pays, leur siècle, leur condition.

Ne faites point parler vos acteurs au hasard,

Un vieillard en jeune homme, un jeune homme en

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Il faut en dire autant des actions qu'on leur fait faire, et des sentimens, des passions qu'on leur attribue.

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Il est bon cependant de remarquer que ce qu'Aristote, et Horace ont dit des moeurs de chaque âge, n'est pas une règle, dont on ne puisse s'écarter. Les jeunes gens, par exemple, sont en général prodigues, et les vieillards avares. Faut-il pour cela que vous soyez obligé de représenter toujours un jeune homme dissipant sa fortune, et un vieillard ne songeant qu'à grossir son trésor? Non sans doute. Le contraire arrive tous les jours. Vous pouvez donc ne pas donner au jeune homme le vice de la prodigalité, au vieillard celui de l'avarice: mais vous pécheriez contre la vraisemblance, si vous faisiez du premier un avare, et du second un prodigue. Il en est de même pour les discours. Vous pouvez bien ne point faire débiter à un jeune homme des propos légers, frivoles et indiscrets qu'on tient ordinairement à son âge. Mais il ne seroit pas vraisemblable qu'on entendît sortir de sa bouche ces discours graves et mesurés, qui sont le fruit d'une prudence consommée, qu'on n'acquiert que dans un âge

avancé.

Les mœurs seront ressemblantes, si les mœurs des personnages connús sont précisément celles que l'histoire ou la fable leur donne. Ainsi il seroit ridicule de représenter Ulysse comme un grand guerrier, Achille comme un homme éloquent.

Un personnage inventé peut avoir le ca-ractère qu'il plaira au poëte de lui donner. Mais pour ceux que l'histoire on la fable nous fait connoître, ils doivent être peints tels que nous les y trouvons.

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Enfin les moeurs sont égales, lorsque les personnages paroissent jusqu'à la fin de l'ouvrage, avec le même caractère qu'ils ont en au commencement. Voyez dans Athalie la hauteur, l'impiété et la cruauté de cette princesse; la grandeur d'âme de Joad sa piété et sa confiance en Dieu; la tendresse de Josabet, et ses alarmes sur les périls du jeune Joas,; la générosité d'Abner, et sa fidélité à ses rois et à sa religion; la fourberie, l'ambition, et l'humeur sanguinaire de Mathan. Aucun de ces caractères ne se dément jamais ; tous se soutiennent jusqu'au dénouement. Quand le poëte imagine un personnage, il doit d'abord en marquer le caractère par des traits frappans, et le montrer dans la suite toujours tel qu'il l'a peint.

D'un nouveau personnage, inventez-vous l'idée ?
Qu'en tout avec soi-même il se montre d'accord

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Et qu'il soit jusqu'au bout tel qu'on l'a vu d'a bord (1).

Observons ici que ce seroit un grand défaut dans un ouvrage dramatique, si plusieurs personnages avoient les mêmes

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(1) Boileau, Art Poét., chap. III.

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moeurs particulières, parce qu'il est essentiel que les caractères soient opposés entr'eux ou du moins différens, afin qu'ils contrastent ensemble, et que l'un fasse ressortir l'autre. Il faut pour cela choisir ou imaginer des personnages, dont chacun ait un caractère qui ne soit propre et particulier qu'à lui. Si le même se trouve dans plusieurs, jetez-y alors une nuance forte et bien marquée, qui distingue chacun de ees personnages d'une manière sensible et frappante. Voyez dans l'Iliade, Achille, Ajax et Hector. Leur caractère dominant est la valeur. Cependant il s'en faut bien que ces trois héros se ressemblent. Achille est vio lent; Ajax est dur; Hector est humain. Il faut lire et rehire Homère, pour apprendre l'art de varier et de faire contraster les caractères.

Chaque personnage doit parler suivant sa Style dra condition, son âge, son pays, et la situation matique. où il se trouve. On sent qu'un roi a une façon de s'exprimer bien différente de celle d'un courtisan, et que le langage d'un homme de qualité n'est pas le même que celui d'un simple citoyen. Un Dieu, suivant la pensée 'Horace, parle bien autrement qu'un héros; un vieillard autrement qu'un jeune homme; une dame d'un haut rang autrement qu'une suivante; un marchand autrement qu'un laboureur; un homme de la Colchide ou un Assyrien, autrement qu'un habitant de Thèbes ou un citoyen d'Argos. Si vous faites parler ces différens personnages

'sur le même ton, les grands et le peuple, bien loin de vous accorder leurs suffrages, ne pourront s'empêcher de rire.

On sait de plus que la joie, la douleur, l'amour, la colère, l'ambition, en un mot chaque sentiment, chaque passion a son langage particulier. Notre âme prend, pour ainsi dire, diverses formes, diverses manières d'être, suivant les divers événemens de la fortune; et la nature lui fournit dans toutes les circonstances possibles des exprèssions propres à peindre les sentimens qu'elle éprouve, les passions qui la tourmentent. Il faut donc que le poëte se transforme, pour ainsi dire, en chaque personnage, pour le faire parler d'une manière convenable à son état actuel, et comme ce personnage parleroit lui-même. Le poëte ne doit jamais se

montrer.

Ainsi tout ce qui est un effet visible de l'art et du travail, ces figures oratoires, ces riches comparaisons pompeusement étalées, ces élans lyriques, fruit d'une imagination échauffée, sont totalement bannis des pièces de théâtre, même de celles don't le sujet est grand et élevé. Le style y doit être de la plus noble, de la plus élégante simplicité; et si les expressions figurées y sont quelquefois bien placées, ce n'est que lorsqu'elles sont vraiment inspirées par la passion ou par le sentiment. Les maximes, les sentences, les pensées morales trop généralisées n'y sont pas non plus souffertes, à moins qu'elles ne soient naturellement dictées par la situation du

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