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sement observé par tous les bons poetes; précepte que la nature seule nous indique, et qui doit être aussi invariable qu'elle.

L'esprit humain ne peut embrasser plu sieurs objets à la fois. L'oeil seroit choqué de voir deux événemens dans un mêmetableau. Si l'on présentoit sur le théâtre plusieurs actions à-la-fois, il est clair que le même personnage ne pourroit point "les faire toutes en même temps. Il fau droit qu'il y eût autant de principaux personnages que d'actions. Ces personnages partageroient donc l'intérêt du spectateur. Or l'intérêt, ainsi divisé, ne pourroit être que très - foible. Si l'on suppose que le même personnage feroit successivement toutes ces actions, je dirai que ce ne seroit plus alors une pièce de théâtre ce seroit une histoire plus ou moins longue, qui ne pourroit pas exciter un intérêt bien vif; soit parce que les objets s'y succéderoient trop rapidement, soit parce que l'impression de l'un effaceroit ou arrêteroit nécessairement l'impression de l'autre ; soit enfin, parce que plusieurs actions, dont chacune seroit présentée avec tous ses développemens, ne pourroient que fatiguer à la longue l'attention du spectateur. Ainsi, cette règle est non seulement puisée dans le bon sens mais encore faite pour notre plaisir. Voici en quoi consite cette unité d'action.

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Unité de L'action dramatique est une, quand prise du toutes ses parties, ou toutes les petites

l'action,.

actions

actions qui la composent, qui en précè- rapport des dent l'accomplisseinent, ont un même parties. principe, et aboutissent à un centre commun. On doit s'y proposer un seul but; et tous les moyens qu'on emploie, tous les efforts qu'on fait, doivent tendre à co but. Le martyre de Polieucte est le sujet de la tragédie de ce nom. Voyez comme toutes les petites actions qui précèdent cette action principale, concourent à son accomplissement. Polieucté, malgré les prières de Pauline sa femme, sort du palais, et va recevoir le baptême. Il entre ensuite dans le temple avec Néarque son ami, et brise pendant le sacrifice, les statues des faux dieux. Néarque est mis à mort par l'ordre du gouverneur Félix, beau-père de Polieucte. Ce même Félix se joint à Pauline, pour engager Policucte à marquer publiquement quelque repentir de l'action qu'il vient de faire. Poliencte le refuse il est inébranlable; et sa fermeté lui fait trouver la mort après laquelle il soupiroit.

Si

l'action,

L'action est encore une, quand le prin- Unité de cipal personnage est, depuis le commen- prise de cement jusqu'à la fin, dans le même péril. P'unité do ce péril cesse ; l'action est finie péril. si le personnage tombe dans un second péril qui ne soit pas une suite nécessaire du premier, une seconde action commence; ce que les lois du théâtre n'autorisent point. Le jeune Joas, depuis l'instant où le grand-piêtre prend la résolution de le couronner, est en danger Tome III.

E

Unité de

l'action, Prise de

de tomber au pouvoir d'Athalie; et ce danger croissant toujours, ne cesse que par la mort de cette reine : voilà l'unité d'action. Il n'en est pas de même dans les Horaces. Le héros de la pièce revenant vainqueur du combat contre les trois Curiaces, est sorti d'un péril général qui intéressoit tout l'état. Mais en tuant sa sœur, il tombe dans un nouveau péril qui lui est particulier, puisqu'il n'y va que de sa vie. Aussi Corneille luimême a-t-il reconnu que cette duplicité de péril rendoit l'action double dans cette tragédie.

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ces

Enfin l'action est une, quand le principal personnage réunit tout l'intérêt du P'unité spectateur comme Joas dans Athalie, d'intérêt. Britannicus dans la tragédie de ce nom. Ce n'est pas qu'on ne puisse s'intéresser aux autres personnages, et qu'ils ne puissent eux-mêmes être diversement intéressés. Ils le sont toujours dans nos meilleures pièces de théâtre. Mais tous intérêts divers s'y rapportent au principal personnage; et c'est là une des règles les plus essentielles. S'ils ne s'y rapportoient pas, l'intérêt seroit double, et l'action le seroit aussi. C'est sur ce principe que quelques critiques trouvent une duplicité d'action dans l'Andromaque de Racine. Il faut convenir que l'intérêt qu'on prend à Oreste qui aime Hermione se rapportant à lui seul, affoiblit beaucoup l'intérêt qu'on prend à Andromaque. Le coeur est partagé entre ces deux

personnages. Aussi entre-t-on moins vivement dans les sentimens d'Andromaque pour son fils Astianax. Mais d'un autre côté cet amour d'Oreste tient à l'action principale, puisque Hermione qui aime Pyrrhus sans en être aimée, furieuse de voir qu'on lui préfère une rivale, engage Oreste à tuer Pyrrhus.

On peut mêler à l'action principale une action particulière et moins considérable, qu'on nomme épisode. Mais il faut que cet épisode y soit bien lié, et y ait un rap. port direct et nécessaire. Il doit influer sur le dénouement de l'action principale: s'il n'y influe pas, il est entièrement vicieux. Tel est dans le Cid l'épisode de l'Infante tel est celui d'Antiochus dans la Berenice de Racine. On sait que le grand Condé étant à une représentation de cette dernière pièce, dit au sujet de ce personnage : et Antiochus, qu'en ferons-nous? Il faut le marier avec l'Infante du Cid. L'épisode d'Aricie, dans la Phèdre du même poëte, n'a pas été à l'abri de la critique, parce qu'il n'influe que foiblement sur le dénouement. Cet épisode ne se lie à l'action principale que vers la fin du quatrième acte, où Phèdre paroît portée à justifier Hippolyte auprès de Thésée mais renonce à ce dessein, aussitôt qu'elle apprend qu'Aricie est sa rivale.

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L'action dramatique étant une, elle Unité de doit nécessairement se passer dans un lieu. mème lieu. Cette seconde règle est en

core prescrite par le bon sens. Quel peintre s'aviseroit de représenter un héros à Rome et à Carthage sur la même toile ? On auroit tort d'inférer de ce que l'action dramatique se divise en plusieurs petites actions, qu'une de ces petites actions pourroit, sous les yeux même du spectateur, se passer dans un lieu, et une autre dans un autre lieu. Il faudroit pour cela que le théâtre représentât plusieurs lieux différens les uns après les autres. Or ces changemens choqueroient la vraisemblance, et détruiroient toute l'illusion. Le spectateur se trouve dans un lieu au commencement de l'action pourra-t-il se figurer l'instant d'après qu'il est dans un autre lieu ?

Il est donc essentiel que le lieu de la scène soit un lieu commun, où tous les personnages se rendent, pour faire toute l'action représentée. Corneille dans son discours des Trois Unités, est d'avis que le poëte ne le marque pas trop distinctement; qu'il se contente de dire qu'il est à Athènes, à Rome, ou tout au plus dans un tel palais, et qu'il laisse à l'imagination du spectateur de fixer le lieu d'une façon plus déterminée, ou même de ne point le fixer du tout, s'il n'en sent pas le besoin.

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Malgré une autorité si respectable, on est assez généralement d'accord que borner à placer la scène dans une ville, ce seroit porter l'incertitude et la confusion, dans l'esprit du spectateur. Celts

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