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manifester L'épopée les admet toutes sans exception les bonnes et les mauvaises. Il ne s'agit que de les peindre sous les traits qui leur sont propres ; celles-ci, avec tout ce qu'elles peuvent avoir de funeste et d'odieux; celles-là, avec tout ce qu'elles peuvent avoir d'utile et d'attrayant. Ce sont ces tableaux divers ou opposés entr'eux, et que le poëte expose à nos yeux comme dans une vaste galerie, qui nous montrant la vertu dans tout son éclat, nous en faisant sentir tout le prix et toute l'excellence, excitent en nous cetle grande admiration, qui est la dernière fin de l'épopée.

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Si le poëme épique est l'action de plusieurs hommes, même de tout un peuple, comme il peut fort bien l'être, il faut toujours qu'il y ait un acteur qui domine sur tous, les autres, qui soit le chef de l'entreprise. On juge d'avance que ce principal personnage doit être vertueux, puisque l'action qu'il entreprend doit être bonne, louable et digne d'être admirée. Ainsi il est inutile de dire qu'un homme souillé de forfaits, venant à bout d'une entreprise criminelle, quelque glorieuse qu'on la supposât, (si toutefois la véritable gloire pouvoit s'allier avec le crime) ne pourroit pas être le héros d'un poëme épique. Ce n'est pas que ce premier personnage doive nécessairement être tout à fait vertueux comme Godefroi. Il peut avoir des foiblesses, des défauts, même une passion vive et funeste,

comme Enée, Ulysse et Achille. Mais il faut que ses foiblesses soient éclipsées par de grandes vertus; qu'il triomphe de sa passion; qu'une âme élevée et peu commune soit le principe de ses défauts.

Voulez-vous long-temps plaire et jamais ne lasser ?
Faites choix d'un héros propre à m'intéresser,
En valeur éclatant, en verta magnifique:

Qu'en lui jusqu'aux défauts, tout se montre héroïque (1).

Ce héros doit toujours avoir une vertu dominante qui le caractérise particulièrement telle est la piété dans Enéé, la prudence dans Ulysse, la valeur dans Achille. C'est cette grande vertu dont il est constamment animé, qui nous le fait admirer dans les obstacles qu'il rencontre, dans les rẻ, vers qu'il essuie, dans ses malheurs, périls, ses combats; et notre admiration est portée à son comble, à l'aspect dé cette vertu couronnée par le succès de l'entreprise.

ses

La morale n'est pas une des parties les moins importantes de l'épopée. C'est dans ce genre de poésie, peut être plus que dans aucun autre, que le poëte est obligé de faire de son art le noble et digne usage qui lui est propre; de cet art consacré dès son berceau autant à l'instruction des hommes qu'à leur plaisir. D'ailleurs

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(1) Boileau, Art. Poét,, ch. III.

qui peut nier que nous n'aimions naturellement le vrai, que nous n'aimions naturellement la vertu ? Notre esprit cherche sans cesse le vrai, parce que nous trouvons notre satisfaction et notre intérêt à être éclairés et à étendre nos lumières. Notre coeur se porte vers la vertu, parce que nous sentons qu'elle seule peut procurer le vrai bonheur; et lors même que cédant malheureusement à nos foiblesses, nous ne fai sons aucun grand effort sur nous mêmes pour nous rendre meilleurs, nous desirons du moins de le devenir. La morale ne peut donc que plaire aux hommes, débitée avec un certain art, revêtue d'ornemens qui l'embellisent; et c'est ici que le poëte doit la présenter sous cette parure attrayante.

Les Dieux interviennent dans l'épopée : des héros y agissent avec d'autres héros en n'y perdant jamais le soin de leur propre gloire. Que d'occasions, que de motifs de rappeler à l'homme ses devoirs à l'égard de la Divinité, ses devoirs à l'égard de ses semblables, ses devoirs à l'égard de lui-même! Dieu, la religion, le bien public, l'homme, ses passions, sa fin dernière, son vrai bonheur les biens et les maux de cette vie, enfin tout ce qui a rapport à ces différens objets, quel fonds inépuisable de vérités pour le poëte! Le moyen de les présenter et de les dé velopper, sont les exemples; c'est-à-dire, lorsqu'on montre, par les actions des héros, la vertu tonjours heureuse et

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triomphante, et le vice toujours misérable et confondu : les discours, c'est-à-dire, lorsqu'on ne trace que des maximes sages et préceptes utiles, qui seront, pour ainsi parler, incorporés au récit.

Mais observons que le poëte ne doit point en général faire lui-même la fonction de moraliste. Le lecteur, qui a cru n'entendre qu'un narrateur inspiré, seroit choqué de voir à sa place un grave philosophe, qui se montreroit à découvert pour lui débiter ses leçons. Tout ce qu'on lui permet, c'est de jeter en passant des réflexions courtes et vives, qui paroissent s'être présentées d'ellesmêmes; de lancer avec force des traits lumineux et perçans, qui viennent subitement éclairer et pénétrer l'âme tout à-la-fois. Une morale un peu étendue ne peut donc être bien placée, que dans la bouche des héros, ou des êtres surnaturels. C'est alors que le lecteur l'écoute avidement, la saisit avec plaisir; non-seulement parce qu'il prend un intérêt réel et direct à ce que font et disent ces personnages, mais encore parce qu'ils l'instruisent sans avoir l'air de vouloir l'instruire.

Le sixième Livre de l'Eneïde, chef-d'œeuvre d'imagination, est admirable par l'excellente morale dont il est rempli. Quelle peinture forte et terrible des méchans dans le Tartare! Quelle peinture agréable et touchante du bonheur des justes dans les Champs Elysées! Le septième chant de la Henriade, le plus beau sans doute de ce poëme, en est

Du style

forme

de

une imitation, faite avec un art qui honore infiniment le poëte français. On ne pourra voir ici qu'avec plaisir ces réflexions si belles et si judicieuses qu'il met dans la bouche de S. Louis, montrant à Henri IV les mauvais rois punis dans les enfers.

Regardez ces tyrans adorés dans leur vie :
Plus ils étoient puissans, plus Dieu les humilie.
Il punit les forfaits que leurs mains ont commis,
Ceux qu'ils n'ont point vengés, et ceux qu'ils ont

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Ce faste, ces plaisirs, ces flatteurs mercénaires,
De qui la complaisance, avec dextérité,

A leurs yeux éblouis cachoit la vérité.

La vérité terrible ici fait leurs supplices;

Elle est devant leurs yeux, elle éclaire leurs vices,
Voyez comme à sa voix tremblent ces conquérans,
Héros aux yeux du peuple, aux yeux de Dieu

tyrans ;

Fléaux du monde entier que leur fareur embrasse:
La foudre qu'ils portoient, à leur tour les écrase.

J'ai dit ailleurs que le poëte est supet de la posé inspiré dans l'ode et dans l'épopée ; l'epopée. mais que dans l'ode son inspiration est prophétique c'est le coeur qui est dans l'ivresse du transport le poëte possédé du dieu qui l'inspire, y peint avec des traits de feu le vif sentiment qui l'anime, pour en remplir notre âme. Dans l'épopée, son inspiration est tranquille : c'est

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