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lubrique que Boileau lui a justement reprochés. Il est certain que toutes ses tragédies ne sont que trop pleines de maximes séduisantes et d'images voluptueuses, quoiqu'il y ait des endroits où l'amour soit représenté comme une dangereuse foiblesse. Tels sont ces vers qu'il met dans la bouche d'Amadis.

Ah! que l'amour paroît charmant !

Mais, hélas ! il n'est point de plus cruel tourment.
J'ai choisi la gloire pour guide;

J'ai prétendu marcher sur les traces d'Alcide (a).
Heureux si j'avois évité

Le charme trop fatal dont il fut enchanté !
Son cœur n'eut que trop de tendresse,

Je suis tombé dans son malheur.

J'ai mal imité sa valeur,

J'imite trop bien sa foiblesse,

Et ces vers énergiques que chante Armide.

Veuez, venez,

haine implacable,

Sortez du gouffre épouvantable

Où vous faites régner une éternelle horreur.
Sauvez-moi de l'amour; rien n'est si redoutable;
Rendez-moi mon courroux, rendez-moi ma fureur
Contre un ennemi trop aimable.

C'est sous ces traits que Quinaut et ceux qui sont venus après lui, auroient

(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.

dû constamment peindre l'amour dans leurs tragédies - lyriques. Mais attachés à ne puiser leurs sujets que dans la mythologie ou le roman ils ont asservi leurs personnages à une passion efféminée qui fait la base de leurs poëmes et leur ont fait débiter une morale pernicieuse, qui, enveloppée sous le voile de la délicatesse et du sentiment, n'en devient que plus sûrement l'écueil de l'innocence. On ne sauroit trop exhorter nos poëtes, non-seulement à traiter des sujets réels, et à présenter des caractères historiques, en suivant les règles propres à ce théâtre; mais encore à substituer à la peinture d'un amour tendre et purement voluptueux, celle d'un amour tragique et funeste, ou à embrasser des passions nobles et vraiment dramatiques. Quelle abondante moisson ne peuventils pas faire dans l'histoire de toutes les nations? L'amour de la gloire et de la patrie, la haine d'une tyrannie injuste, les suites malheureuses des passions désordonnées, les actions proprement héroïques, les sentimens élevés ne peuventils pas faire briller le génie du poëte et du musicien, et leur fournir les plus grands moyens de nous attacher, de nous intéresser, et même de nous instruire? Il faut convenir que cette nouvelle route est frayée depuis quelques années. Jeunes poëtes, c'est à vous d'y entrer avec courage, et de la suivre sans vous lasser. Un changement utile pour les mœurs com

mence à s'opérer sur notre scène lyrique: ambitionnez la gloire d'achever entièrement la révolution. Les applaudissemens des censeurs éclairés et des honnêtes gens couronneront vos efforts heureux, et ne tarderont pas à vous concilier les suffrages de la multitude.

Le poëte présente quelquefois sur le théâtre de l'opéra des sujets qui ne sont pas tragiques et merveilleux, mais qui sont tirés de la bergerie. Son poëme prend alors le titre de Pastorale. Il est aisé de sentir que ce genre veut des passions douces des sentimens naïfs, des tableaux gracieux, et un style qui soit toujours conforme, par sa simplicité, à l'état des per

sonnages.

L'opéra avoit déjà pris naisssance en Italie, lorsqu'on représentoit en France. des pièces en machines. Corneille, dont le génie se plicit à tous les genres, effaça dans celui-ci tous ses rivaux, par son Andromède, où il y a de grandes beautés. Quinaut créa parmi nous l'opéra, l'orna de toute la pompe dont il étoit susceptible, et fit tomber tontes les pièces de ce genre. Après les tragédies - lyriques de ce poëte, les plus estimées sont le Thétis et Félée de Fontenelle, et le Castor et Pollux de Bernard. Les opéras d'Italie, qui sont les plus connus. et les plus admirés en France, sont ceux de Metastase. Ils ont été traduits, comme je l'ai déjà dit, par Richelet.

La Motte inventa au commencement du

siècle dernier, un genre d'opéra plus facile, et qui plaît par sa variété. Ce sont des actes détachés, et réunis sous le titre commun de Ballet; petit poëme dramatique qui differe de la tragédie-lyrique, en ce que dans celleci, c'est le fond de l'action qui amène des divertissemens de chant et de danse; au lieu que dans le ballet, ce sont ces divertissemens qui amènent une action, à laquelle ils servent de fondement. Cet auteur donna pour essai l'Europe galante; vrai chef-d'oeuvre en ce genre. On propose encore pour modèle l'acte de Coronis, celui de Pygmalion, celui de Zelindor, l'acte de la Vue dans le ballet des Sens, et celui de la Vestale dana le ballet des Elémens.

ARTICLE V.

Du Poëme épique.

Voici le plus noble, le plus beau, et si l'on peut parler ainsi, les rois des poëmes. Tous les trésors de la poésie y brillent à nos yeux, et y sont étalés avec la plus grande magnificence. Aussi exige-t-il toute la vigueur, toute la hardiesse, tout le feu, toute l'étendue du génie. Fondé sur un événement connu, soit par l'histoire, soit par la tradition, soit même seulement par l'opinion publigne, le poëme épique, où, ce qui est la même chose, l'épopée n'a d'autre but que d'exciter notre joie et notre admiration, en nous montrant la vertu heureuse, après les affreux

Définition

revers qu'elle a essuyés. Des héros qui viennent à bout d'une glorieuse entreprise, en surmontant les plus terribles obstacles, en triomphant de leurs propres foiblesses et de leurs passions, tels sont en général les grands exemples que nous offrent ce genre de poésie.

Le nom d'épopée est composé de deux du Poëme mots grecs eos, qui signifie récit, et zweiw, épique. qui signifie faire, feindre, créer. Ainsi l'épopée est le récit poétique d'une action héroïque et merveilleuse. Le récit est ce qui la distingue de la tragédie, et ce qu'elle a de commun avec l'histoire : le récit poétique, c'est-à-dire, ornés de fictions, est ce qui la distingue de celle-ci : l'action héroïque est ce qui la distingue des petits poëmes et du roman, dont le fond est toujours une historiette ou une intrigue amoureuse. L'action merveilleuse est ce qui la caractérise essentiellement.

On a vu qu'une action est une entreprise faite avec dessein; qu'elle est héroïque, soit dans son principe, lorsqu'elle part d'une âme courageuse, et élevée audessus des âmes vulgaires; soit dans son objet, lorsqu'elle est fondée sur les intérêts de toute une nation, ou seulement de quelque prince; soit par l'état et la qualité des personnages, lorsque ce sont des rois, des héros. Ajoutons ici ( et c'est ce qu'il est nécessaire de remarquer) que l'action épique est fondée, ou sur l'intérêt d'une religion; telle est celle de la Jérusalem délivrée, qui intéresse prin

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