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et ne parlent point au coeur. On voit avec plus de plaisir une tragédie-lyrique qui attache par son ensemble, qui inté resse par une action et des incidens vrai. semblables, par des situations vraiment touchantes ou terribles, par des caractères vi goureux et des passions violentes, qui fournissent au musicien les moyens de déployer toute la douceur, toute la force, toute la véhémence de son art, pour enchanter tout à-la-fois notre oreille et remuer notre âme.

Si le poëte renonce aux sujets merveilleux, il doit observer scrupuleusement les trois unités du théâtre. Toutes les règles qui regardent la construction du poëme dramatique conviennent à cette espèce de tragédie-lyrique, avec cette différence pourtant que dans la tragédie, le danger et le malheur du personnage pour lequel on s'intéresse, croissent et redoublent de scène en scène ; au lieu que dans l'opěra, l'action doit n'être affligeante ou terrible que par intervalles. L'espérance et la joie doivent y succéder souvent à la crainte et à la douleur, afin que les danses puissent y être amenées avec vraisemblance. L'opéra ne veut point de ces intrigues compliquées, qui exigent de la part du poëte de très grands efforts d'imagination, et de la part du spectateur une grande contention d'esprit, pour être débrouillées. Il veut seulement une intrigue nette, qui soit facile à nouer et à dénouer; des incidens qui ne soient pas

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trop multipliés, et qui naissent d'euxmênes; un intérêt vif et touchant, mais qui donne à l'âme quelques momens de relâche.

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Style de Qu'on se souvienne ici que la poésie lyrique est, de sa nature, consacrée à peindre la situation de l'âme, pénétrée de quelque sentiment, agitée de quelque passion Ainsi les raisonnemens, les dis. cussions, les développemens, les longs récits ne peuvent trouver place dans l'opéra. Rien de plus vrai que ce qu'on a dit, que tout ce qui n'est qu'esprit et raison, est inaccessible pour la musique. Elle veut de la poésie - pure, des images et des sentimens. Mais comme la passion a des momens de calme. ses repos et ses intervalles; le poëte distingue dans le discours de ses personnages le moment tranquille, et le moment passionné. Le musicien rend le discours tranquille, c'està-dire, l'entretien uni, le simple dialogue des personnages, par un genre de déclamation appelé récitatif. Le discours passionné; c'est-à-dire, le moment où les passions se anontrent dans leur force, dans leur variété, dans leur désordre, est rendu par un chant qui porte le nom d'Air ou Ariette. Ce chant ne peut donc être placé, comme je l'ai dit ailleurs, que dans les endroits où le personnage se livre aux transports d'une passion douce ou violente. Les situations touchantes ou terribles sont les seules qui fournissent les véritables occasions de chauter.

La diffusion et la trop grande concision du style sont deux excès également nuisibles dans la tragédie-lyrique. Le premier rend le chant trainant et monotone. Il ne faut donc pas que le poëte étende trop un tableau, développe trop un sentiment; il suffit qu'il le présente, qu'il l'exprime c'est au musicien à faire le reste. Le second excès rend le chant trop changeant, et, si l'on peut parler ainsi, brisé; chant qui ne peut avoir lieu que dans le choc et le tumulte des passions, où la chaîne des idées est rompue. Il ne faut donc pas que le poëte, sous prétexte d'être concis, accumule les tableaux et les sentimens : le musicien voulant tout peindre, tout exprimer, ne peindroit, n'exprimeroit rien. Mais chaque tableau, chaque sentiment doit être séparé par des intervalles et des silences. On cite pour modèle de tableaux détachés, ces beaux vers du début des Elémens.

Les temps sont arrivés. Cessez, triste chaos.
Paroissez, Elémens. Dieux, allez leur prescrire
Le mouvement et le repos.

Tenez-les renfermés chacun dans son empire.
Coulez, ondes, coulez. Volez, rapides feux.
Voile azuré des airs, embrassez la nature.
Terre enfaute des fruits couvre-toi de verdure.
Naissez, mortels, pour obéir aux Dieux.

L'opéra demande des vers libres et coupés, parce que la versification ne sauroit y être trop douce, trop coulante, trop

gracieuse, le dialogue trop vif, trop aisé, trop naturel. La moindre dureté dans le son, le moindre défaut d'harmonie n'y seroit pas supportable. Voyez comme ces vers de Quinaut sont mélodieux et chantans.

Fontaine, qui d'une eau si pure,
Arrosez ces brillantes fleurs,

En vain votre charmant murmure
Flatte le tourment que j'endure;

Rien ne peut enchanter mes mortelles douleurs.
Ce que j'aime me fuit, et je fuis tout le monde.
Pourquoi traîner plus loin ma vie et mes malheurs?
Ruisseau, je vais mêler mon sang avec ton onde;
C'est trop peu d'y mêler mes pleurs.

Le même poëte sait, quand il le faut, réunir l'élégance et l'agrément avec l'éner gie et l'élévation. Ce morceau que chante Médée, dans l'opéra de Thésée, en est un exemple.

Sortez, ombres, sortez de la nuit éternelle, "
Voyez le jour pour le troubler

Que l'affreux désespoir, que la rage cruelle
Prennent soin de vous rassembler.....
Avancez, malheureux coupables,
Soyez aujourd'hui déchaînés ;

Goûtez l'unique bien des cœurs infortunés
Ne soyez pas seuls misérables.....

Ma rivale m'expose à des maux effroyables;
Qu'elle ait part aux tourmens qui vous sont destinés.

Tous les enfers impitoyables

Auront à peine à former des horreurs comparables
Aux troubles qu'elle m'a donnés.

Goûtons l'unique bien des cours infortunés,
Ne soyons pas seuls misérables.

Voici encore un morceau, où l'on admirera tout à-la-fois l'aisance, l'harmonie, la force, et même le sublime des images. C'est le début de Pluton dans l'opéra de Proserpine.

Les efforts d'un géant qu'on croyoit accablé,
Ont fait encor gémir le ciel, la terre et l'onde.
Mon empire s'en est troublé';

Jusqu'au centre du monde,

Mon trône en a tremblé.

L'affreux Tiphée (a) avec sa vaine rage,
Trébuche enfin dans des gouffres sans fonds.
L'éclat du jour ne s'ouvre aucnn passage,
Pour pénétrer les royaumes profonds

Qui me sont échus en partage.

Le ciel ne craindra plus que ses fiers ennemis
Se relèvent jamais de leur chute mortelle;
Et du monde ébranlé par leur fureur rebelle
Les fondemens sont affermis.

De l'amour

On ne sauroit étudier an plus parfait modèle que Quinaut pour le style de la tragé- dans l'opé dic-lyrique. Mais il faut bien se garder de ra. l'imiter dans ces lieux communs de morale

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(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume,

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