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donna Sophomishe, que le pape Léon X fit représenter à Rome ensuite en France où, en présence de la cour de Henri II Jodelle fit paroître sur notre scène, encore grossière, sa Cléopâtre et sa Didon. Vers la fin de ce même siècle, Shakespeare créa la tragédie en Angleterre; génie vigoureux, fécond, plein de naturel et de sublime, mais aussi, plein d'idées bizarres et gigantesques, sans la moindre étincelle de goût, sans la moindre connoissance des règles. En ce même temps Lopez de Vega florissoit en Espagne, c'est le tragique le plus célèbre de cette nation. La France eut bientôt une foule de poëtes tragiques, parmi lesquels on ne se ressouvient que de Mairet, auteur de Sophonisbe, et de Rotrou auteur de Venceslas. L'art étoit encore dans Fenfance et dans le chaos.

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Un génie tel que celui du grand Corneille, pouvoit seul débrouiller ce chaos et amener le grand jour. C'est ce qu'il fit d'abord, en 1636, par la représentation du Cid, pièce imitée, il est vrai, de l'espagnol de Lopez de Vega, mais imitée de la manière dont une génie créateur imite. Il donna ensuite Horace, Cinna, Polieucte, Rodogune, Heraclius, chefd'œuvres immortels, qui lui ont si justement mérité le titre de père de la tragédie françoise. C'est dans ces pièces qu'on voit déployées toute la profondeur, toute l'étendue d'un génie vigoureux et sublime toutes les ressources

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tout le feu d'une imagination riche et Inmineuse c'est là qu'on admire des plans hardis des intrigues fortement nouées et habilement conduites, une marche ferme, rapide et imposante, un dialogue serré, vif et pressant, la majesté et la variété des caractères, la grandeur et la véhémence des sentimens, le choc violent des grandes passions, la noblesse des idées, l'énergie du style, la vivacité des images, la force du raisonnement. Voici sous quels traits, Racine, l'homme du monde le plus capable d'aprécier Corneille, le peint et le caractérise dans un de ses discours prononcés à l'académie française. Après avoir quelque temps » cherché le bon chemin, et lutté, si je >> l'ose ainsi dire, contre le mauvais goût » de son siècle, enfin, inspiré d'un gé»> nie extraordinaire, et aidé de la lec>>ture des anciens, il fit voir sur la scène >> la raison, mais la raison accompagnée » de toute la pompe, de tous les orne>> mens dont notre langue est capable.... » La scène retentit encore des acclama. tions qu'excitèrent à leur naissance le Cid, Horace, Cinna, Pompée, tous » ces chef-d'oeuvres représentés depuis » sur tant de théâtres, traduits en tant » de langues, et qui vivront à jamais » dans la bouche des hommes. A dire le » vrai, où trouvera-t-on un poëte qui ait » possédé à la fois tant de grands ta> lens, tant d'excellentes parties, l'art, la » force, le jugement, l'esprit ? Quelle

» noblesse! quelle économie dans les su >> jets quelle véhémence dans les pas>sions! quelle gravité dans les senti>> mens quelle dignité, et en même » temps, quelle prodigieuse variété dans » les caractères! Combien des rois, de » princes, de héros de toutes nations nous » a-t-il représentés, toujours tels qu'ils » doivent être, toujours upiformes avec » eux-mêmes, et jamais ne se ressemblant » les uns aux autres?..... Enfin ce qui lui tout particulier, une certaine » force une certaine élévation, qui sur» prend, qui enlève, et qui rend jusqu'à » ses défauts, si on peut lui en reprocher » quelques-uns, plus estimables que les » vertus des autres. » Ces défauts, qu'on a remarqués même dans ses meilleures pièces, sont de vieux mots, des discours quelquefois embarrassés, quelques endroits qui sentent le déclamateur, des inégalités, même des chutes après les morceaux les plus su

>>> est sur

blimes.

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Racine qui entra dans la carrière du théâtre lorsque Corneille commençoit à vieillir, sut éviter tous ces défauts. Moins fécond, moins vigoureux, moins sublime que lui, il est plus sage, plus soutenu, et toujours guidé par le goût, Ses plans sont toujours exacts; ses intrigues sagement conduites, sa marché unie et assurée, son dialogue juste et direct, son style pur, élégant et harmonieux. Par-tout il joint le plus grand art au génie, par tout il plaît, il attache,

il intéresse. Jamais poëte n'a peint le sentiment avec un coloris plus vif, plus naturel et plus vrai. Le talent particulier de Racine est de parler intimement au cœur et de l'attendrir. Il s'en faut bien qu'il ait d'aussi grandes beautés que Corneille: mais il n'a pas non plus d'aussi grands défants. Ceux que lui reprochent des censeurs éclairés, sont de n'avoir pas excité la terreur avec la même véhémence qu'il a excité la pitié, de n'avoir pas toujours mis assez d'action dans ses tragédies, et d'avoir donné à tous ses héros un certain air de ressemblance.

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On a fait beaucoup de comparaisons entre ces deux souverains de notre scène. Mais pouvoit - on réellement comparer deux poëtes qui ont excellé dans un genre différent; et ces comparaisons pourrontelles jamais nous servir à apprécier le mérite de l'un, relativement au mérite de l'autre? Ne doit-il pas nous suffire de savoir et de reconnoître que personne n'a égalé Corneille dans le genre sublime ni Racine dans le sien? Quoi qu'il en soit; ces comparaisons ne sont pas tout-à-fait inutiles, puisqu'elles nous peignent, pour ainsi dire, d'un seul trait le vrai caractère de ces deux grands tragiques. C'est pour cette raison que je rapporterai ici le parallèle, où ce caractère m'a paru le mieux saisi et le mieux marqué : c'est celui qu'a fait la Bruyère.

Corneille, dit-il, ne peut être égalé dans les endroits où il excelle; il a pour

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lors un caractère original et inimitable : mais il est inégal.... Dans quelques-unes de ses meilleures pièces, il y a des fautes inexcusables contre les mœurs, un style de déclamateur qui arrête l'action et la fait languir, des négligences dans les vers et dans l'expression, qu'on ne peut comprendre en un si grand homme. Ce qu'il y a eu en lui de plus éminent c'est l'esprit qu'il avoit sublime, auquel il a été redevable de certains vers, les plus heureux qu'on ait jamais lus ailleurs; de la conduite de son théâtre, qu'il a quelquefois hasardée contre les règles des anciens; et enfin de ses dénouemens : car il ne s'est pas toujours assujéti au goût des Grecs et à leur grande simplicité. Il a aimé au contraire à charger la scèné d'événemens dont il est presque toujours sorti avec succès; admirable sur-tout par l'extrême variété et le peu de rapport qui se trouve pour le dessein, entre un si grand nombre de poèmes qu'il a com posés. Il semble qu'il y ait plus de res semblance dans ceux de Racine, et qu'ils tendent un peu plus à une même chose. Mais il est égal, soutenu, toujours le même par-tout, soit pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes, régulières, prises dans le bon sens et dans la nature; soit pour la versification qui est correcte, riche dans ses rimes, élégante, nombreuse, harmonieuse; exact imitateur des anciens dont il a suivi scrupuleusement la netteté et la simplicité de

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