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qui ne peuvent point achever leur entre-
prise contre Auguste, parce que la cons-
piration est découverte,
et que
d'ailleurs
la clémence de cet empereur étouffe en
eux tout sentiment de haine. Telles sont
les principales espèces, les principaux de-
grés de malheurs que la tragédie doit choisir
de préférence à tous les autres. Voici les
différentes manières dont elle peut les pré-

senter.

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de

Le mot Fable, qui signifie fiction poé- Fable de la tique, se prend dans un poeme pour la tragédie. disposition du sujet, pour le sujet même. Aristote en compte de quatre espèces dans la tragédie. Si dans un ouvrage de ce genre, il n'y a point de révolation subite de changement manifeste, reconnoissance, comme dans Polieucte, la fable de la tragédie ou la tragédie est simple. S'il y a une reconnoissance de closes ou de personnes comme dans Iphigénie en Tauride, qui reconnoît son frère et qui en est reconnue, dans Edipe, qui se reconnoît lui-même pour être le meurtrier de Laïús, qui reconnoît mère, et qui en est reconnu; dans Zaïre dont l'innocence est reconnue par Orosmane au moment où il vient de la tuer; alors la fable est composée. S'il y a du sang répandu comme dans Phèdre, dans Andromaque, elle est pathétique. S'il n'y en a point, comme dans Cinna, dans Bérénice, elle est morale. On voit aisément qu'une même fable peut être simple et pathétique, comme dans Po

sa

lieucte; simple et morale, comme dans Cinna; ου composée et pathétique, comme dans Edipe; composée et morale, comme dans l'Iphigénie en Tauride d'Euripide. Tout se réduit donc à présenter dans la tragédie les malheurs qui lui sont propres, avec reconnoissance ou sans' reconnoissance, avec effusion de sang ou sans effusion de sang.

Le poële dramatique peut, comme je l'ai dit ailleurs, inventer une action entière ou l'emprunter de l'histoire. Mais il faut se rappeler ici que dans toute action, soit feinte, soit historique, la fable de la tragédie doit être disposée, de manière que ce qui pourroit blesser notre délicatesse et nos yeux, se passe derrière la scène, et soit mis en récit. Les actions de cette nature sont principalement les morts violentes, les meurtres,

les assassinats.

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Cette règle est fondée dans nos mœurs qui en cela, plus conformes à l'humanité que celles des Grecs et des Romains, veulent point que la scène soit ensanglantée; avec ces restrictions néanmoins 1. qu'il est permis à nos héros et à nos héroïnes de se tuer ou de venir expirer sur le théâtre ; comme Atalide, Mithridate, Phèdre, elc.; 2°. qu'un personnage peut y tuer un autre personnage, lorsque celui qui tue, est dans une passion vio

lente, dans une fureur passagère, qui le fait plaindre sans le faire détester comme Orosmane, qui tue Zaïre, et qui presqu'aussitôt

Fresqu'aussitôt se poignarde lui- même : ou lorsque le personnage tué est méchant et tout-à-fait criminel, comme Thoas dans l'Iphigénie en Tauride, de Guimont de la Touche, et Antenor dans Zelmire par du Belloy; pièces qui sont restées au

théâtre.

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Mais nous ne pourrions voir qu'avec la plus grande, horreur, le personnage qui réunit tout l'intérêt, et par conséquent vertueux. quoiqu'un peu coupable, tué sous nos yeux par un autre personnage. Tels seroient Britannicus, Bajazet et même Pyrrhus dans Andromaque, malgré le peu d'intérêt qu'il y excite. C'est ici le lieu d'observer qu'un personnage méchant, tué,, soit sur la scène, soit derrière la scène, doit l'être, autant qu'il est possible, non par le personnage aime, mais par un autre. C'est ainsi que Corneille a fait périr le tyran Phocas par la main d'Exupère, et non par celle d'Héraclius. Le héros pour lequel on s'intéresse, ne doit presque jamais se souiller d'aucun meurtre.

Si une action historique est accompa→ gnée de particularités, qui choquent nos maximes de conduite, nos usages, nos bienséances, ou qui soient atroces, horfibles et révoltantes, le poëte doit les supprimer totalement à moins qu'il ne puisse présenter ces circonstances, en faisant disparoître avec art tout ce qu'elles ont d'odieux en elles-mêmes, on d'extraordinaire pour nous. C'est assez qu'il conserve pon, Tome III.

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l'action principale que lui fournit l'histoire, et qu'il ne falsifie pas les caractères connus, Quant à l'usage, au retranchement des circonstances, au choix des moyens, à l'invention des incidens, il peut, il doit même suivre l'impulsion de son génie, pour accomoder son sujet à notre théâtre, et lui donner toute la vraisemblance, tous les agrémens, et tout l'intérêt qui peuvent satisfaire à la fois le coeur, l'imagination et la raison.

L'histoire dit que Cléopâtre, reine de Syrie, après avoir tué son fils Seleucus, présenta un breuvage empoisonné à son autre fils Antiochus, au retour de la chasse, Ce prince soupçonnant le mauvais dessein de sa mère, la contraignit de le prendre, et de mourir ainsi du même poison qu'elle lui avoit fait préparer. Antiochus, parricide volontaire, n'auroit pu être supporté sur notre théâtre. Aussi Corneille l'a peint vertueux dans tout le cours de l'action, dont il a si bien conduit le dénouement, que Cléopâtre ne doutant point, sur la défiance de Rodogune, que sa perfidie alloit être découverte, prend de dépit la coupe, et avale le poison.

Prusias, roi de Bithynie, avoit voulu, à l'instigation de sa seconde femme, faire assassiner son fils Nicomède, pour laisser sa couronne à son autre fils. Nicomède qui commandoit alors l'armée, en ayant été instruit par ceux-là mêmes qui avoient été chargés de cet assassinat, entra dans le

royaume de son père, s'en empara, et força le roi à se cacher dans une caverne où il le fit assassiner. Corneille, loin de présenter une action si dénaturée dans sa tragédie, donne à Nicomède un caractère généreux, et se contente de le rendre maître de la vie de ses persécuteurs, sans que ce prince pousse plus loin la vengeance.

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Le même poëte nous fait voir encore dans sa tragédie de Polieucte, , jusqu'à quel point ont peut aggrandir et embellir sur la scène un sujet tiré de l'histoire. Suivant le rapport de Surius, Polieucte païen, avoit formé depuis long-temps le dessein d'embrasser le christianisme, lorsque l'empereur Decius fit publier un édit très-rigoureux contre les chrétiens. Lié de la plus étroite amitié avec un chrétien, nommé Néarque, il lui témoigna le désir qu'il auroit de mourir pour la gloire du vrai Dieu, s'il avoit reçu la grâce du baptême. Son ami lui ayant répondu que le martyre pouvoit suppléer à ce sacrement, aussitôt Polieucte, plein d'une sainte ferveur, crache sur l'édit de l'empereur et le déchire. Il voit dans le même instant le peuple porter des idoles sur des autels pour les adorer il les arrache à ceux qui les portoient, les brise et les foule aux pieds. Félix, son beau-père, qui avoit ordre de la part de l'empereur de persécuter, les chrétiens, tenta d'abord par des prières, des menaces, et ensuite par quelques tourmens,

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