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où ces rares génies moissonnoient à leur aise, Il est encore naturel que le jeune poëte alors transporté d'un vif et noble enthousiasme, lui réponde:

Ils ont dit, il est vrai, presque tout ce qu'on pense. Leurs écrits sont des vols qu'ils nous ont faits d'a

vance.

Mais le remède est simple: il faut faire comme eux.
Ils nous ont dérobés; dérobons nos neveux •

Et tarissant la source où puise un beau délire,
A la postérité ne laissons rien à dire.

Un démon triomphant m'élève à cet emploi :
Malheur aux écrivains qui viendront après moi.

Mais la cabale et la satyre se déchaînent contre les meilleurs écrivains. Des dégoûts affreux vont être le partage du jeune métromane. Il n'en est pas ébranlé il les bravera; et il peut dire en un langage riche et pompeux :

Que peut contre le roc une vague animée ?

Hercule (a) a-t-il péri sous l'effort de Pygmée (b)? L'Olympe (c) voit en paix fumer le mont Etna (d).

(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin du

deuxième Volume.

(b) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.

(c) Voyez ce mot dans les notes, à la fin du deuxième Volume.

(d) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin du premier Volume.

Zoile (a) contre Homère en vain se déchaîna,
Et la palme du Cid, malgré la même audace,
Croît et s'élève encore au sommet du Parnasse.

Voilà un style, qui, dans tout son éclat et toute son élévation, ne s'écarte nullement de la nature. Un langage figuré devoit être celui d'un jeune poëte, même dans la simple conversation, lorsqu'on vouloit déprimer à ses yeux un art qu'il met au-dessus de tous les arts.

Le style de la comédie, quel que soit le ton qu'on prenne, sera donc vraiment simple et naturel, si l'on fait parler un personnage, comme on doit supposer qu'il parle lorsqu'il parle bien) dans la société ordinaire. Ainsi les trois genres de comique que nous avons distingués, et qui sont marqués par la condition des, personnages agissans, doivent servir de base à l'élocution dans la comédie. On sait quelle est la manière de s'exprimer des grands, des bourgeois, des hommes du peuple. On n'a qu'à y ajouter plus de choix, plus de précision, plus de vivacité, plus de sel, plus de gaîté. Les exemples en cette matière sont indispensables, et instruisent d'ailleurs mille fois mieux que tous les préceptes. Pour n'en citer que de bons, ouvrons Molière nous ne pourrions choisir un meilleur modèle un guide plus sûr. La comédie du Misan

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(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume,

thrope est un chef-d'œuvre dans le haut comique. En voici un morceau tiré d'une scène pleine de portraits finis.

CLITAN DRÉ.

Parbleu, je viens du Louvre, où Cléante, au levé, Madame, a bien paru ridicule achevé.

N'a-t-il point quelque ami qui pût, sur ses manières, D'un charitable avis lui prêter les lumières ?

CÉLIMÈNE.

Dans le monde, à vrai dire, il se barbouille fort:
Par-tout il porte un air qui saute aux yeux d'abord ;
Et lorsqu'on le revoit après un peu d'absence,
On le retrouve encor plus plein d'extravagance.

A GASTE.

Parbleu, s'il faut parler de gens extravagans,
Je viens d'en essuyer un des plus fatigans;

Damon le raisonneur, qui m'a, ne vous déplaise,
Une heure, au grand soleil, tenu hors de ma chaise.

CÉLIMÈNE.

C'est un parleur étrange, et qui trouve toujours L'art de ne vous rien dire avec de grands discours : Dans les propos qu'il tient, on ne voit jamais goutte, Et ce n'est que du bruit que tout ce qu'on écoute.

ELIANTE à Philinte.

Ce début n'est pas mal, et contre le prochain
La conversation prend un assez bon train.

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Timante encor, madame, est un bon caractère,

CÉLIMÈNE.

C'est de la tête aux pieds, un homme tout mystère,
Qui vous jette, en passant, un coup-d'œil égaré,
Et sans aucune affaire est toujours affairé.
Tout ce qu'il vous débite, en grimaces abonde ;
A force de façons il assomme le monde ;

Sans cesse il a tout bas, pour rompre l'entretien,
Un secret à vous dire, et ce secret n'est rien ;
De la moindre vétille il fait une merveille,
Et, jusques au bon jour, il dit tout à l'oreille.
A CAST E.

Et Géralde, madame?

CÉLIMÈN E.

O l'ennuyeux conteur !

Jamais on ne le voit sortir du grand Seigneur.
Dans le brillant commerce il se mêle sans cesse,
Et ne cite jamais que Duc, Prince, ou Princesse.
La qualité l'entête ; et tous ses entretiens
Ne sont que de chevaux, d'équipage et de chiens:
Il tutoie, en parlant, ceux du plus haut étage,
Et le nom de monsieur est chez lui hors d'usage.

CLITAN DRE.

On dit qu'avec Bélise il est du dernier bien.

CÉLIMÈNE.

Le pauvre esprit de femme et le sec entretien !
Lorsqu'elle vient me voir, je souffre le martyre.
Il faut suer sans cesse à chercher que lui dire ;
Et la stérilité de son expression

Fait mourir à tous coups la conversation.

En vain pour attaquer son stupide silence,

De tous les lieux communs vous prenez l'assistance :
Le beau temps et la pluie, et le froid, et le chaud
Sont des fonds qu'avec elle on épuise bientôt.
Cependant sa visite assez insupportable
Traîne en une longueur encore épouvantable;
Et l'on demande l'heure, et l'on bâille vingt fois,
Qu'elle s'émeut autant qu'une pièce de bois.

A CASTE.

Que vous semble d'Adraste?

CÉLIMÈNE.

Ah quel orgueil extrême!

C'est un homme gonflé de l'amour de soi-même :
Son mérite jamais n'est content de la cour;
Contre elle il fait métier de pester chaque jour;
Et l'on ne donne emploi, charge, ni bénéfice,
Qu'à tout ce qu'il se croit on ne fasse injustice.

CLITAN DRE,

Mais le jeune Cléon, chez qui vont aujourd'hui
Nos plus honnêtes gens, que dites-vous de lui?

CÉLIMÈNE.

Que de son cuisinier il s'est fait un mérite,
Et que c'est à sa table à qui l'on rend visite.

CLITAN DRE,

Il prend soin d'y servir des mets fort délicats.

CÉLIMÈNE.

Oui, mais je voudrois bien qu'il ne s'y servît pas.
C'est un fort méchant plat que sa sotte personne,
Et qui gâte, à mon goût, tous les repas qu'il donne,

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