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conscience unique, disons mieux, pour que cette union soit par le fait même effectuée. (Quant au principe métaphysique, suivant lequel la substance inconsciente de l'âme est partout identique, principe dont il sera pour la première fois question au chap. VII, 3° partie, nous le sous-entendons naturellement ici. La communication physique des nerfs serait aussi impossible sans ce principe que cette identité sans une telle communication.) Les jumeaux Siamois s'interdisaient de jouer ensemble au trictrac: ils trouvaient cela aussi peu naturel que si la main droite eût voulu jouer avec la main gauche. Les deux négresses, accolées l'une à l'autre par la partie inférieure du dos, qui, au commencement de 1873, se sont montrées à Berlin sous le nom de Rossignol, à deux têtes, ressentaient sans doute les impressions opposées qui étaient faites sur leurs extrémités inférieures; c'est-à-dire qu'en dépit de la distinction de leurs deux personnalités, elles avaient une conscience commune et unique pour une certaine classe de sensations. Si l'on pouvait imaginer entre les cerveaux de deux hommes une communication semblable à celle qui relie les deux hémisphères d'un même cerveau, les pensées de l'un et de l'autre seraient perçues par une conscience commune et unique, qui réunirait les deux consciences individuelles. Chacun d'eux serait incapable de séparer ses idées de celles de l'autre ils ne formeraient plus deux moi distincts, mais n'auraient qu'un seul moi. C'est ainsi que chez moi les deux hémisphères du cerveau sont rapportés à un seul moi.

IV

L'INCONSCIENT ET LA CONSCIENCE DANS LE REGNE VÉGÉTAL

Les plantes ont-elles une âme? La question est bien vieille déjà. Elle a été presque partout, en dehors du judaïsme et du christianisme, résolue par l'affirmative. Notre siècle, qui a été élevé sous l'influence de ces deux dernières religions, et n'a rétabli que depuis peu entre l'esprit et les sens le lien qu'avait brisé le christianisme, ne s'est pas décidé sans peine à voir dans les animaux les frères inférieurs de l'homme. Il n'est pas étonnant qu'il n'ait pu encore le résoudre à reconnaître une âme aux plantes: la physiologie, qu'il a acceptée, a pris l'habitude de ne considérer le jeu des fonctions organiques et des mouvements réflexes chez les animaux que comme l'effet d'un pur mécanisme. Fechner a très-bien exposé la question dans l'écrit intitulé Nanna ou la Vie psychique des plantes, Leipzig, 1848; la fantaisie tient sans doute une certaine place dans ce livre. Il faut encore consulter sur le même sujet Schopenhauer: Sur la volonté dans la nature, au chapitre de la physiologie végétale; et Autenrieth, Vues sur la nature et la vie de l'âme. Il ne me reste à présenter ici qu'une courte esquisse, et surtout à mettre en lumière les conséquences si décisives pour la solution de ce problème qui se tirent de la distinction faite entre l'activité consciente et l'activité inconsciente de l'âme. Je suis persuadé que plusieurs de ceux que les démonstrations présentées jusqu'ici avaient dû trouver incrédules, seront, par l'examen séparé de l'incon

cient et de la conscience dans les plantes, réconciliés avec la doctrine de l'âme végétative.

I. L'ACTIVITÉ INCONSCIENTE DANS L'AME DES PLANTES.

On trouve chez la plante, comme chez l'animal, l'activité organique, la force médicatrice, l'activité réflexe, l'instinct et la tendance esthétique. Si tous les phénomènes correspondants sont à considérer chez l'animal comme les effets. de l'activité d'une âine inconsciente, comment cesseraientils de l'être dans la plante? De ce que l'activité inconsciente de l'âme végétative n'a pas la puissance de s'élever aux manifestations intellectuelles de la vie animale, de ce qu'elle demeure enfoncée tout entière dans l'organisme, en est-elle pour cela moins une àme? Les œuvres qu'elle produit ne sont-elles pas aussi parfaites dans leur genre que celles de l'animal dans le sien? Ne leur sont-elles même pas supérieures? Elle modifie les matériaux rebelles du monde inorganique et les élève aux formes de plus en plus parfaites de la vie organique: l'animal ne fait que régler et surveiller le processus naturel qui tend à les ramener à leur premier état. Étudions de plus près les diverses fonctions de la plante.

a. Activité organogénique de la plante.

Elle travaille, comme chez l'animal, à réaliser le type de l'espèce. Sans doute rien n'est moins réglé par ce type que le nombre des racines, des feuilles, etc., mais tout y est rigoureusement déterminé quant à la place, à la forme des feuilles, à la fleur et à la structure intérieure de la plante. Le type morphologique est constant et invariable au suprême degré; et pourtant les détails de sa forme sont assez indif férents à l'accomplissement des fonctions physiologiques. La constance du type particulier n'est donc pas uniquement le simple résultat d'une accommodation intéressée, produite

par la lutte pour l'existence. Il faut, au contraire, reconnaitre essentiellement dans les types variés des formes végétales la manifestation des idées de l'Inconscient par une sorte d'instinct plastique. De même que, en s'élevant dans la série animale des organismes, on est étonné de rencontrer des ébauches d'organes qui n'ont leur raison d'être que dans les espèces supérieures, nous trouvons dans le règne végétal que l'instinct plastique de la nature inconsciente se plait à de semblables anticipations. Ainsi les hautes algues ont un axe dont l'un des côtés est couvert d'efflorescences régulières l'ignorant n'hésite pas à y distinguer une tige, des racines, des feuilles; mais, suivant les règles fixées par la botanique, les algues sont des plantes sans racines et sans feuilles. Les feuilles de la sargasse sont appelées par le botaniste des « efflorescences foliacées »; les racines, <<< des tissus radiciformes » qui n'ont pas à leur sommet de coiffe radiculaire»: Dieu nous garde de troubler son

opinion!

On peut diviser les plantes comme on divise les animaux inférieurs; et l'on voit chaque fragment jouir de la propriété de reproduire par lui seul le type entier de l'espèce. Pour les plantes encore, comme pour les animaux, la division ne doit pas être poussée trop loin, si l'on veut que la régénération complète soit possible. Chez la plante également, toutes les parties sont dans une mutuelle dépendance les unes vis-à-vis des autres. La partie qui touche au sol fait subir à la matière une première transformation, sans laquelle la partie qui vient immédiatement après ne pourrait accomplir son propre travail. La racine du chêne ne porterait pas un hètre; ni l'oignon de tulipe, une jacinthe. Les parties de la plante accomplissent un travail harmonieux. Tout cela ne s'explique qu'autant que la reproduction du type spécifique est le but poursuivi à travers les phases multiples du développement organique.

Si on arrache dans l'hiver une branche à un arbre qui a grandi en plein air, pour la transporter dans une serre chaude, on voit cette branche porter des feuilles et des

HARTMANN.

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fleurs, tandis que les autres rameaux de l'arbre se dessèchent. L'expérience nous apprend que ce sont les racines qui aspirent l'eau, dont l'arbre a besoin pour fleurir: il faut done que la vitalité de la branche détachée ait augmenté, pour que les racines qui l'alimentent ait été provoquées à une aspiration plus abondante. (Voir de Candolle, Physiologie des plantes, I, 76.) Jusqu'où s'étend la communication qu'ont entre elles les diverses parties de la plante, c'est ce que nous ignorons. Pourtant les vaisseaux spiriformes nous le font pressentir. Nous ne savons pas mieux, d'ailleurs, déterminer ce qui est dû à l'harmonie des rapports fonctionnels qu'ont entre elles les diverses parties de l'organisme, et ce qui relève immédiatement de l'action et de l'intuition de l'Inconscient, telle qu'elle se manifeste à nous entre les individus qui composent la république des abeilles ou des fourmis.

La reproduction s'opère dans le règne animal et dans le règne végétal suivant des lois identiques: par segmentation cellulaire, par formation de spores ou de bourgeons, par génération sexuelle. La ressemblance est si frappante, surtout dans les premières phases du développement embryonnaire, que les mêmes raisons commandent d'admettre l'influence psychique de l'Inconscient à l'origine de la plante comme à celle de l'animal. Les directions suivies par le développement embryonnaire se séparent trèspromptement, sans doute comme le commande la diversité des types à produire. Mais dans les deux règnes le processus organique est une lutte continuelle de l'énergie plastique de l'âme contre la tendance des composés matériels à s'altérer, à se dissocier, à se détruire. Ce n'est qu'en s'opposant constamment à ces processus de dissociation, en renouvelant sans cesse les conditions nécessaires au développement organique, que la matière relativement informe et inorganique est transformée en matière organisée, et que la réalisation d'un degré supérieur du type spécifique peut avoir lieu à chaque moment.

Chaque cellule particulière exécute ce travail. Chaque

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