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nier la réalité de la connaissance absolue (de la raison), tant que la preuve n'en a pas été faite (voir Schelling, II, 3, p. 74).

Toutes ses constructions philosophiques reposaient sur une condition tout à fait en l'air, sur une hypothèse non démontrée.

La philosophie récente devait donc aboutir, à son tour, au scepticisme. Ce scepticisme, dans le monde des jeunes philosophes (qui ont secoué le joug d'un dogmatisme sans fondement), tend à devenir prédominant; on ne peut guère en douter. Si ce scepticisme n'a pas encore reçu son expression systématique (l'Ænesidème ne répond qu'à Kant, auquel il succède immédiatement), cela tient à ce que les résultats palpables des sciences exactes, et les intérêts pratiques qui absorbent tout le reste sont très-défavorables à la recherche philosophique : ils dispensent trop de la pensée spéculative et ne lui permettent ni d'enchaîner logiquement, ni d'approfondir ses théories. Pour aller plus loin que l'esprit scientifique, deux voies seulement sont ouvertes. Ou l'on justifie l'hypothèse qui forme la conclusion de la philosophie de l'identité, en démontrant directement qu'il y a une connaissance vraie; mais alors on recommence les tentatives forcément stériles des Grecs (voir Euvre de Kant, édit. Rosenkr., II, p. 62-63). Ou l'on met à profit les méthodes récemment découvertes, et on aborde le problème dans un sens diamétralement opposé aux Grecs. En d'autres termes, on doit chercher à démontrer l'identité fondamentale de l'être et de la pensée par une méthode toute différente de celle qui a été suivie jusqu'ici, par une méthode accessible et lumineuse pour tous, Cette méthode est celle que nous avons suivie. Elle s'élève successivement par induction jusqu'aux premiers principes, en partant de l'expérience.

Il faut sans doute que la démonstration trouvée ainsi ait elle-même le caractère d'une connaissance, autrement elle ne prouverait rien; il semble donc qu'on n'a fait qu'un pas apparent, et qu'on reste en réalité aussi peu avancé

que précédemment. Il n'en est pas ainsi pourtant, et voici en réalité ce que nous avons trouvé. ·

Auparavant on disait : «S'il y a une connaissance, la pensée et l'être sont au fond identiques »; on devait s'en tenir à cette formule hypothétique.

On doit dire maintenant : « 1° s'il y a une connaissance, elle doit reposer sur l'identité substantielle de la pensée et de l'être, et se justifier en conséquence par les témoignages directs de l'expérience (les impressions que la réalité fait sur la pensée), comme par les conclusions logiques qui s'en déduisent; 2° les données de l'expérience et les raisonnements démontrent l'identité substantielle de l'être et de la pensée; 3° cette identité prouve la possibilité de la connaissance. >>

Nous avons une démonstration complète dont chaque membre sert à prouver les deux autres, quel que soit celui par lequel on commence. Auparavant nous n'avions qu'une proposition hypothétique qui ne reposait sur aucun point d'appui. Sans doute il est toujours possible que tout cet enchaînement de conditions psychologiques et métaphysiques ne repose que sur une apparence purement subjective; et que la conscience soit contrainte de le former par une nécessité qu'elle est incapable de s'expliquer. Il se peut qu'il n'y ait en réalité aucune connaissance, qu'aucune identité n'existe entre la pensée et l'être, et que le raisonnement apparent qui se fonde sur la dépendance réciproque de l'un et de l'autre soit purement chimérique. La vérité transcendante et non plus seulement subjective de ce rapport ne peut être considérée comme susceptible d'une démonstration absolument rigoureuse. La conscience est enfermée dans ce raisonnement et ne peut en sortir pour le juger; c'est qu'elle ne peut se passer de la connaissance pour démontrer la possibilité de la connaissance.

On ne peut donc absolument établir l'impossibilité du scepticisme; néanmoins notre raisonnement ajoute beaucoup à la vraisemblance de cette proposition, qu'il n'y a de connaissance qu'autant que l'être et la pensée sont identi

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ques. La vraisemblance est plus grande qu'elle n'était auparavant, alors que l'on se bornait à une proposition hypothétique, qu'aucun autre principe, qu'aucune conséquence ne venait justifier. La vraisemblance est devenue si grande qu'elle équivaut dans la pratique à la démonstration de l'impossibilité du contraire. Le scepticisme n'est sans doute pas anéanti pour cela; nous reconnaissons sa valeur théorique: c'est qu'il vaut mieux en réalité que le retour à cette crédulité grossière qui aspire à la science absolue, et croit que la possession de la vérité absolue est le seul digne objet de la science des sciences, de la philosophie. Nous considérons donc le scepticisme en soi comme éternel et comme assuré d'exister, en dépit de tous les progrès de la science; mais nous réduisons, d'un autre côté, tellement son rôle, que ni la vie ni la science n'ont à s'en préoccuper dans la pratique.

Cette conclusion de notre étude sur la possibilité de la connaissance en général est parfaitement d'accord avec cette règle qui s'applique à la connaissance de toute vérité spéciale (qui n'est pas purement logique), à savoir qu'il n'y a pour nous aucune vérité, ou aucune probabilité du degré 1, mais une probabilité plus ou moins haute, qui n'atteint jamais à l'unité; et que nous devons être contents d'atteindre avec notre savoir à une probabilité telle, que la possibilité du contraire n'ait pratiquement aucune importance (voir l'Introduction, I, B).

ADDITIONS

A LA MÉTAPHYSIQUE DE L'INCONSCIENT

Page 6, ligne 29 (voir aussi 1er vol, p. 109 et 147).

Le temps n'est introduit dans les processus psychologiques (comme nous l'avons vu page 381 du 1er volume) que par la succession des vibrations moléculaires. Que, par exemple, une excitation soit transmise par le nerf sensible à une place centrale pour y être ressentie, transformée en volonté, et communiquée ensuite par les conduits moteurs comme impulsion motrice aux muscles. On aura d'abord à séparer le temps nécessaire à la transmission, à travers le nerf sensible comme à travers le nerf moteur, de la durée totale du processus réflexe. Reste alors le temps qui s'écoule dans les cellules ganglionnaires du centre d'abord pour que l'excitation transmise s'évanouisse au sein des oppositions qu'elle rencontre (durée de l'irritabilité latente); et secondement pour que les forces d'excitation puissent s'accroître jusqu'au point où elles deviennent capables d'agir par innervation sur le nerf moteur (on pourrait appeler ce point la limite de l'innervation motrice). La somme des deux derniers temps pourrait constituer, au sens physiologique, la durée de la réaction dans les centres. Cette durée s'accroît considérablement par ce fait qu'une seule cellule ganglionnaire ne suffit pas à la production d'un réflexe, mais que constamment plusieurs y concourent à la fois en sorte que, dans chacune d'elles, se répète le double phénomène, l'absorption de l'excitation

et la décharge de la force accumulée. La durée de la réaction est au minimum, lorsque les points d'insertion du nerf sensible et du nerf moteur (comme dans les réflexes de la moelle épinière) sont très-voisins l'un de l'autre. Elle est d'autant plus longue, qu'un plus grand nombre de cellules ganglionnaires sont traversées par l'excitation, avant que cette dernière se décharge au dehors comme impulsion motrice. La durée de ce travail atteint son maximum dans les grands hémisphères, pendant la transformation que la réflexion consciente y fait subir aux impressions transmises. L'incertitude, l'hésitation, le doute sont d'autant plus prolongés, qu'un plus grand nombre de cellules prennent part à l'action, c'est-à-dire que la réflexion s'étend davantage, avant que la détermination d'agir soit prise. Mais toujours chacune des interventions de l'Inconscient pendant le processus est étrangère à la durée. En d'autres termes, il ne s'écoule aucun temps dans chaque cellule particulière entre la sensation et la volonté, bien que les deux, par suite de la répétition des ondulations moléculaires, aient une eertaine extension dans la durée, qui est en partie identique pour les deux. (C'est ainsi que l'extension dans la durée est la même pour l'action de la cause et celle de l'effet, à part de légères différences.)

Page 43, ligne 11 (voir l'addition précédente).

Page 47, ligne 27.

Examinons encore la question au point de vue physiologique. A la place des atomes, la classe d'individus que nous aurons à considérer tout d'abord, ce sont les cellules ganglionnaires comme éléments simples du système nerveux doués d'une conscience simple. La cellule ganglionnaire dispose d'une certaine énergie individuelle, ou possède une volonté individuelle, que son caractère individuel (en langage physiologique les énergies spécifiques qu'elle doit à l'hérédité ou qu'elle a développées en soi par elle

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