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associe souvent au mot conscience de soi, comme nous le ferons nous-mêmes à l'avenir pour simplifier le discours.

Qu'est donc la conscience? Faut-il l'identifier avec la forme de la sensibilité, et confondre le concept de l'une avec celui de l'autre? Non. L'Inconscient lui-même doit avoir conçu la forme de la sensibilité: autrement il n'aurait pu la créer avec tant de sagesse. Nous pourrions d'ailleurs concevoir la possibilité d'une conscience soumise à de tout autres formes, si nous imaginons un monde autrement construit; ou si, à côté et en dehors de ce monde de l'espace et du temps, d'autres mondes existaient où l'existence et la conscience fussent enchaînées à des formes différentes. Cette supposition n'a rien de contradictoire. Ces mondes. (j'accorderai si l'on veut qu'ils soient en grand nombre) pourraient ne se gêner, ni communiquer en rien; et i'Inconscient, affranchi lui seul de toutes ces formes, serait le même pour chacun d'eux. La forme de la sensibilité n'est donc pour la conscience que quelque chose d'accessoire, d'accidentel, et ne fait pas partie de sa nature, de son essence, au point que l'une ne puisse exister ou être conçue sans l'autre. Placera-t-on la conscience dans la mémoire? Le souvenir n'est pas, à coup sûr, un mauvais critérium de la conscience. Plus la conscience est vive, plus les vibrationscérébrales sont énergiques, et par suite plus sont profondes les impressions qu'elles laissent après elles dans le cerveau, ou encore plus prompts, et, à excitation égale, plus nets sont les souvenirs. On voit aisément pourtant que le souvenir n'est qu'un effet indirect de la conscience; il ne peut en former l'essence même. Comment faire consister davantage l'essence de la conscience dans la possibilité de comparer les représentations? Ce pouvoir est plutôt une conséquence de la forme propre à la sensibilité, surtout du temps. D'ailleurs la conscience peut être très-vive, alors même qu'une seule représentation remplit l'esprit, et sans qu'aucun objet de comparaison y soit associé.

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Après tout cela, il ne nous reste plus qu'à nous attacher au résultat du chapitre précédent, si nous voulons sûrement

atteindre notre but: les vibrations cérébrales, plus généralement le mouvement matériel est la condition sine qua non de la conscience. Quand même nous supposerions que des mondes en grand nombre existent sous d'autres formes que celles de l'espace et du temps, il faut néanmoins, si le parallélisme de la réalité et de la pensée doit être maintenu, qu'on trouve en eux quelque chose qui réponde à la matière ; et que ce quelque chose ait une activité semblable à celle du mouvement matériel, car cette activité seule y peut être la condition de la conscience.

Admettons que l'origine matérielle de la conscience soit ainși prouvée. Si nous nous rappelons maintenant que l'activité inconsciente de l'esprit est nécessairement immatérielle, un examen attentif nous conduit à choisir entre deux hypothèses. Ou nous considérons « la volonté et l'idée » comme le principe commun de l'idée inconsciente et de l'idée consciente; nous regardons l'inconscience comme la forme originelle, la conscience comme un produit de l'esprit inconscient, et de l'action de la matière sur lui. Ou nous partageons le champ de l'activité spirituelle entre le matérialisme et le spiritualisme. Au premier nous abandonnons l'esprit conscient; pour le second, nous revendiquons l'esprit inconscient. En d'autres termes, nous accordons que l'esprit inconscient est, dans son existence, absolument indépendant de la matière; mais nous faisons de l'esprit conscient le produit exclusif de la matière, sans aucune intervention de l'esprit inconscient. Après nos précédentes recherches sur le rôle de l'Inconscient dans la formation de tous les processus de la pensée consciente, l'alternative ne peut nous tenir longtemps indécis. L'analogie de nature de l'activité consciente et de l'activité inconsciente ne permet pas d'en concevoir l'origine comme absolument différente. En tout cas, diviser ainsi le domaine de l'esprit, et en partager les parties entre des systèmes de philosophie tout opposés, ce serait une tentative plus artificielle encore que la séparation essayée par Schopenhauer entre la volonté et l'intellect. Ajoutez qu'au chapitre V la

matière sera réduite par nous à la volonté et à l'idée, et que l'identité de l'esprit et de la matière se trouvera ainsi démontrée. Nous ne pouvons donc en aucun cas demander une explication définitive au matérialisme. La première seule des deux hypothèses doit devenir la nôtre.

Malgré tout cela, nous n'avons pas encore défini l'essence de la conscience. Nous n'en connaissons que les facteurs d'un côté l'esprit dans son inconscience primitive; de l'autre le mouvement de la matière qui agit sur lui. En tout cas, l'origine de la conscience doit être cherchée dans le mode suivant lequel la pensée saisit son objet. La conscience ne sait rien de la matière le processus générateur de la conscience doit donc se produire au sein même de l'esprit, bien que la matière y donne la première impulsion. Le mouvement matériel détermine le contenu de l'idée, mais la conscience n'est pas une propriété de ce contenu; car le même contenu, sans parler de la forme de la sensibilité, pourrait être conçu d'une manière inconsciente. La conscience ne dépend ni du contenu, ni, comme nous l'avons vu plus haut, de la forme sensible de l'idée : elle n'est donc pas attachée à l'idée en général, en tant qu'idée. Elle ne peut être qu'un attribut accidentel, qu'une cause étrangère ajoute à l'idée.

Tel est le premier résultat important de notre recherche. Au premier abord, il semble contredire les opinions reçues; mais une réflexion attentive en fait bientôt reconnaître la vérité, en même temps qu'elle le détermine avec plus de précision. L'erreur habituelle vient de ce que l'on considère la conscience comme un attribut qui n'appartient qu'à l'idée on oublie que le plaisir et la peine deviennent également conscients. On regarde donc, en toute confiance et sans plus d'examen, la conscience comme exclusivement attachée à l'idée, surtout tant que l'on ne connaît pas suffisamment l'idée inconsciente. Aussi ne se demande-t-on jamais quelle cause peut bien enrichir l'idée de cette propriété accidentelle, la conscience; on ne cherche pas à qui elle doit cet attribut. On verrait bien vite autrement que

l'idée ne peut se le donner à elle-même. Si le processus générateur de la conscience, malgré l'excitation de la matière, ne peut être que d'une nature spirituelle, il ne reste plus qu'à recourir à l'action de la volonté.

Nous avons vu au chapitre premier de cette partie que la volonté et l'idée sont associées dans une unité indissoluble au sein de l'Inconscient. Les derniers chapitres nous montreront que le salut du monde repose sur l'émancipation de l'intellect vis-à-vis de la volonté. La conscience seule la rend possible; et le progrès du monde est de réaliser cette possibilité. La conscience d'un côté, l'émancipation de l'idée à l'égard de la volonté de l'autre, ce sont là deux termes que nous avons déjà appris à réunir étroitement. Un pas encore, et, en proclamant l'identité des deux, nous trouvons le mot de l'énigme dans une solution qui confirme les résultats de notre précédente analyse. La conscience n'est au fond pour l'idée que le détachement de l'idée du sein maternel, c'est-à-dire de la volonté de la réaliser, et l'opposition de la volonté contre cette émancipation (1). Nous avons trouvé précédemment que la conscience est un prédicat que la volonté ajoute à l'idée; nous pouvons définir maintenant le sens de ce prédicat : il exprime la stupéfaction que cause à la volonté l'existence de l'idée qu'elle n'avait pas voulue et qui se fait pourtant sentir à elle. L'idée, nous

(1) Cet e émancipation ne signifie pas que la pensée consciente s'affranchisse de tout rapport avec la volonté et flotte pour ainsi dire dans le pur éther de l'idéal les considérations qui ont été précédemment exposées réfutent suffisamment cette interprétation. On en sera encore plus convaincu, lorsqu'on verra que, tout en provenant de la volonté, la conscience traduit en même temps le mécontentement le la volonté par une sensation de déplaisir. C'est que la pensée consciente est formée de sensations élémentaires, dont chacune répond à un mécompte particulier de la volonté. L'émancipation de l'idée vis-à-vis de la volonté signifie ici seulement que l'idée consciente, à la différence de l'idée inconsciente, laquelle ne peut exister qu'à titre d'objet réalisé par la volonté (voir plus haut p. 15), peut exister et existe sans être directement appelée à l'existence par la volonté ; qu'elle demeure à l'état de simple idée, par conséquent libre de tout effort pour se réaliser. Mais cela ne doit pas faire oublier tous les autres rapports qu'elle peut avoir avec la volonté, et surtout la possibilité où elle est de devenir elle-même à son tour l'objet de la volonté.

l'avons vu, ne prend par elle-même aucun intérêt à sa propre existence, n'aspire en aucune façon à l'existence; l'idée ne doit l'être qu'à la volonté. L'esprit ne peut donc avoir, conformément à sa nature et avant l'origine de la conscience, d'autres idées que celles qui, appelées à l'être par la volonté, forment le contenu de la volonté. Tout à coup, au sein de cette paix que goûte l'Inconscient avec lui-même, surgit la matière organisée, dont l'action, suivant une loi nécessaire, provoque la réaction de la sensibilité, et impose à l'esprit étonné de l'individu une idée qui semble tomber du ciel, car il ne sent en lui-même aucune volonté de la produire. Pour la première fois « l'objet de son intuition lui vient du dehors. » La grande révolution est consommée : le premier pas est fait vers l'affranchissement du monde. L'idée est émancipée de la volonté : elle pourra s'opposer à elle dans l'avenir comme une puissance indépendante, et la soumettre à ses lois après avoir été jusque-là son esclave. L'étonnement de la volonté devant cette révolte contre son autorité jusque-là reconnue; la sensation que fait l'apparition de l'idée au sein de l'inconscient, voilà ce qu'est la conscience.

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Parlons un langage moins figuré. Voici comment je me représente le processus. Une idée apparaît engendrée par une action extérieure. L'esprit inconscient de l'individu s'étonne devant cette apparition d'une idée qu'il n'a pas voulue. Cet étonnement n'est pas le fait de la volonté seule. La volonté est absolument étrangère à la pensée, trop aveugle donc pour l'étonnement et la surprise. L'idée seule ne peut non plus la ressentir l'idée qui vient du dehors est ce qu'elle est, et n'a aucune raison de s'étonner d'elle-même. Quant aux autres idées, à l'exception de celle-là seule, elles reposent, nous le savons, au sein de l'Inconscient, dans une union indissoluble avec la volonté. L'étonnement doit donc venir des deux côtés de l'Inconscient, de la volonté et de l'idée tout à la fois, c'est-à-dire d'une volonté associée à une idée, d'une idée unie à un vouloir. En second lieu, ce qui dans l'étonnement relève de l'idée est un

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