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Sans doute la transmission héréditaire, en accusant davantage ce développement cérébral, permet seule de le constater. — Tout exercice de la pensée, avons-nous dit, est accompagné par une déperdition de la matière cérébrale. Le simple fait de la fatigue qui suit la réflexion suffit à le constater: ce fait ne s'expliquerait pas autrement. Le travail de la pensée développe, tout comme celui du corps, le besoin de manger, qui n'exprime que le besoin de réparer les pertes de l'organisme. Les expériences de Davy montrent encore que la même cause élève la température du corps, comme en témoigne la respiration précipitée, qui se produit alors pour décarburer le sang, plus rapidement carbonisé par suite du renouvellement accéléré de la matière.

On sait encore que les métiers sédentaires, qui exigent la moindre dépense de force corporelle, comme ceux des tailleurs, des cordonniers, des fabricants de menus objets, sont ceux qui comptent le plus de songeurs, d'esprits faux en religion et en politique. Les métiers qui demandent l'application de la force corporelle ne laissent au cerveau aucune force pour penser. Le corps, comme toute machine, ne dispose que d'une certaine somme d'énergie vitale; si cette force se dépense en mouvements musculaires, il ne reste plus de force disponible pour le jeu des molécules cérébrales, qui est nécessaire à l'exercice de la pensée. Chacun en peut faire l'expérience sur soi-même. Personne n'est en état de continuer une méditation et de faire en même temps un saut considérable, ou de réfléchir et de courir vite. Même lorsqu'on marche lentement, il arrive qu'on s'arrête involontairement lorsque l'attention devient plus intense une réflexion très-profonde donne parfois au corps l'apparence de la parfaite immobilité. Tous ces faits prouvent que les forces du corps se dépensent dans l'exercice de la pensée, ou, ce qui revient au même, qu'il se produit alors une consommation chimique de la matière, puisque la force organique ne se produit pas autrement.

7° Tout ce qui trouble l'intégrité du cerveau, trouble aussi l'activité consciente de l'esprit : à moins que la fonc

tion de l'hémisphère altéré ne soit remplie par la partie correspondante de l'autre hémisphère. Chaque homme se sert plus particulièrement d'un œil, d'une oreille, d'une narine pour voir, entendre et flairer. Quand l'un des deux instruments du sens est devenu impropre à l'usage, l'autre continue de servir à la perception; de même on pense surtout à l'aide d'un des hémisphères, comme souvent les mouvements de la physionomie et surtout du front permettent de le constater. Si l'un des hémisphères est en partie incapable de fonctionner, l'autre se charge d'exécuter la fonction tout entière : c'est ainsi que l'un des poumons suffit à la respiration totale. Cette substitution est rare pour le cerveau. Il faut premièrement, pour qu'elle se produise, que la partie malade ou blessée ne contrarie pas par son influence le jeu des autres parties du cerveau, ce qu'elle peut faire de bien des manières, par exemple en étendant jusqu'à ces dernières la compression qu'elle subit. La lésion, en second lieu, doit avoir supprimé complétement le fonctionnement de la partie malade, et ne point permettre qu'il se continue et d'une manière anormale : car alors se développe dans cette même partie une activité désordonnée de la pensée, qui trouble le jeu des autres parties saines. Si ces troubles fonctionnels des parties malades viennent tout à coup à cesser, et que le reste du cerveau soit délivré de la compression qu'elles faisaient peser sur lui, le retour à l'état normal du fonctionnement des autres parties se traduit alors par la clarté plus grande des pensées. C'est ce qui arrive assez souvent quelques instants avant la mort pour le cerveau, dont les parties malades ont été longtemps troublées alors se produit le phénomène, qui étonne et confond l'ignorant, d'un dernier retour de lucidité après un délire prolongé.

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Les expériences déjà mentionnées de Flourens sur les poules nous montrent qu'après l'ablation du cerveau, les animaux demeuraient comme plongés dans un profond sommeil, immobiles au même endroit où on les avait placés. Toute faculté de percevoir les impressions du dehors sem

blait complétement abolie; et il fallait les nourrir par des procédés artificiels. Mais les mouvements réflexes qui ont leur origine dans la moelle épinière, comme la déglutition, le vol, la course, n'étaient pas suspendus. « Si on enlève par couches successives les deux hémisphères d'un mammifère, on voit l'activité intellectuelle diminuer graduellement à mesure que diminue le volume de l'organe. Quand on est arrivé aux ventricules du cerveau, toute conscience est abolie (Valentin). - «Quelle preuve plus décisive de l'union nécessaire de l'âme et du cerveau, que celle qui nous est fournie par le couteau de l'anatomiste, lorsque nous le voyons enlever ainsi l'âme par tranches successives? » (Büchner.)

L'inflammation du cerveau produit les aberrations mentales et le délire furieux; l'épanchement sanguin dans le cerveau, la stupeur, et la perte totale de la conscience; la compression prolongée du cerveau (dans l'hydropisie céré brale, l'hydrocéphale des enfants), l'affaiblissement de l'intelligence, l'idiotisme. La congestion chez les noyés et les gens morts-ivres, ou les pertes sanguines du cerveau causent l'évanouissement et la suppression de la conscience. L'accélération de la circulation sanguine dans la simple fièvre fait naître les visions de la fièvre, qui sont véritablement un délire passager. L'afflux sanguin, que produit l'alcoolisme, amène le trouble mental connu sous le nom d'ivresse. L'opium, le haschich, d'autres narcotiques, causent chacun un genre d'ivresse particulier, où se reconnaissent diverses formes de la folie.

Parry combattait les accès de délire furieux, par la compression de l'artère cervicale. Le même procédé, d'après les expériences de Flemming, produit à l'état normal le sommeil et les rêves désordonnés. Les hommes et les animaux dont le cou est court ont, en général, le tempérament plus sanguin que ceux dont le cou est allongé ; comme le cerveau est chez eux moins éloigné du cœur, la circulation du sang s'y fait plus activement. Toutes les affections sympathiques du cerveau, qui suivent les blessures graves

ou même les maladies de l'organisme interne, un grand nombre d'apoplexies atteignent surtout la mémoire, la suppriment complétement, en amènent l'affaiblissement général; ou nous enlèvent certaines espèces de connaissances, par exemple la mémoire des mots (sans que l'organe de la parole ait été le moins du monde altéré non plus que l'intelligence obscurcie (aphasie), tantôt plus exclusivement le souvenir des noms propres, ou celui d'une langue particulière, ou la mémoire des événements qui se sont succédé pendant certaines années, ou certaines périodes de temps. Cela se présente surtout lorsque des parties déterminées du cerveau ont été détruites ou mises hors d'état de fonctionner. Les exemples les plus frappants en ce genre, comme ceux qui prouvent le retour des souvenirs, après que les parties correspondantes du cerveau ont été débarrassées du poids qui les opprimait, peuvent se lire dans la psychologie de Jessen. La mémoire est attachée aux modifications durables de certaines parties du cerveau. Grâce à de telles modifications, ces parties sont prédisposées à reproduire plus facilement, à la suite des excitations convenables, les vibrations qu'elles ont déjà exécutées. N'en a-t-on pas la démonstration la plus décisive dans ce fait que certaines classes de souvenirs ne se présentent plus à la mémoire, lorsque certaines parties du cerveau sont altérées; et reparaissent quand les mêmes parties sont revenues à l'état normal.

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L'expérience connue qu'aucune espèce de maladies ne dépend, en moyenne, autant des influences héréditaires que les maladies cérébrales, montre assez clairement que tous. les désordres de la pensée résultent directement ou indirectement d'un désordre cérébral. On comprend bien que les anomalies des centres organiques du système nerveux se transmettent par la voie de la génération (ainsi les tubercules, les scrofules, le cancer et d'autres maladies). Mais quelle idée se faire de la transmission héréditaire d'anomalies immatérielles des facultés mentales, dont on ne s'explique même pas en général la possibilité. (Voir p. 183.)

8 Il n'y a pas d'activité consciente de l'esprit en dehors ou en arrière des fonctions cérébrales. Si nous devons admettre, après ce qui précède, que tout désordre des fonctions cérébrales produit un désordre correspondant de la conscience, nous ne devons pas moins affirmer que la suppression complète de l'activité cérébrale ferait disparaître du même coup toute l'activité consciente, et ne se bornerait pas à en paralyser la manifestation extérieure.

Les désordres de la conscience se développent parallèlement à ceux du cerveau et parcourent tous les degrés, de l'imbécillité intellectuelle jusqu'à l'entière suppression de la conscience, sans qu'il subsiste d'autre conscience que celle qui accompagne les instincts réflexes de la moelle épinière. Il faudrait nier tous ces faits, pour supposer que la conscience peut demeurer concentrée en elle-même, que sa manifestation extérieure est seule suspendue. Mais cette hypothèse, qu'un système préconçu peut seul adopter comme une dernière chance de salut, a contre elle toutes les vraisemblances, et ne saurait mériter de retenir un seul instant un observateur impartial. Le développement progressif de l'activité consciente, dont il a été question plus haut; ce fait que tout l'appareil cérébral, construit par la nature en vue des manifestations de la vie consciente, deviendrait inutile si la conscience pouvait exister sans lui, suffiraient à réfuter cette supposition: mais elle aurait encore contre elle l'absence de la mémoire. Si la conscience se concentrait en elle-même pendant l'inaction du cerveau, il faudrait que le souvenir de cet état se retrouvât plus tard. Quelques psychologues croient échapper à cette difficulté, en admettant une double conscience individuelle (par suite une double personnalité en chaque individu!), une conscience indépendante du corps et une conscience cérébrale; la première dans cette théorie doit être entièrement ignorée de la seconde. Les meilleurs arguments qu'on invoque en faveur de cette dualité se rapportent aux manifestations du principe spirituel sur lequel repose la conscience cérébrale et que nous avons reconnu comme l'Inconscient. Sans

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