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éléments s'y rencontrent, qu'on ne trouve, au même degré, dans aucun autre tissu, comme la cérébrine et la lecithine. Pour juger de l'insuffisance de nos connaissances sur ce point, il suffit de se rappeler que le sang ou le pus, qui ont été altérés par une matière contagieuse, ne sauraient être distingués des mêmes substances à l'état normal; que les différences de substances isomères, c'est-à-dire dont la composition élémentaire est la même, mais dont les propriétés sont dissemblables, parce que les atomes y sont diversement placés, ainsi que le prouve la diversité de leur pouvoir réfringent et rotatoire, échappent la plupart du temps à nos analyses; qu'enfin la chimie commence seulement à découvrir par l'analyse spectrale une foule de métaux subtilement divisés, dont la présence, même dans une proportion infiniment petite, peut être pour l'organisme d'une importance considérable. Tous ces faits ont d'autant plus d'importance que l'on a affaire aux tissus d'organismes plus élevés.

2o Dans le cerveau, le renouvellement de la matière est plus rapide que dans toute autre partie du corps. Aussi l'afflux sanguin y est-il beaucoup plus considérable. Cela indique une plus grande concentration de l'activité vitale dans le cerveau que dans toute autre partie du corps.

3o Le cerveau (et sous ce nom je désigne seulement dans ce chapitre les deux grands hémisphères) n'exerce aucune action immédiate sur les fonctions organiques de la vie corporelle. La preuve nous en a été fournie par les expériences de Flourens : cc savant montra que des animaux sur lesquels on avait pratiqué l'ablation du cerveau pouvaient vivre et se développer pendant des mois et pendant des années. Il faut sans doute, pour cela, que l'opération et l'hémorrhagic qui la suit n'aient pas été trop précipitées, de manière à causer l'épuisement de l'animal. Aussi l'expérience ne se fait-elle avec succès que sur des animaux auxquels on peut facilement enlever le cerveau, comme les poules. Des trois considé-; rations qui précèdent on peut conclure que le cerveau, cette fleur de l'organisme, ce foyer intense de l'énergie vi

tale, doit servir à une fonction spirituelle, puisqu'il ne sert à aucune fonction corporelle.

4° A la perfection croissante du cerveau ou des nœuds ganglionnaires qui le remplacent, répond le développement de l'intelligence dans la hiérarchie animale: les fonctions de la vie corporelle s'accomplissent en moyenne avec une perfection égale chez tous les animaux, qu'ils soient intelligents ou non. Les insectes offrent cette particularité étonnante que la grosseur des ganglions céphaliques est toujours en rapport avec le degré d'intelligence des ordres et des espèces. Les hyménoptères ont en général les ganglions plus développés que les inintelligents coléoptères; les ingénieuses fourmis surtout se signalent par la grosseur des ganglions. La comparaison des dimensions internes des différents crânes ne peut se faire chez les vertébrés, parce que le crâne contient en même temps, chez eux, les centres organiques du mouvement; et naturellement la grosseur de ces derniers correspond à la masse des nerfs et des muscles de l'animal, auxquels ils doivent communiquer l'énergie nécessaire à l'impulsion motrice. Mais, si l'on considère simplement les hémisphères cérébraux, on remarque que, chez les animaux dont les dimensions corporelles ne sont pas trop différentes, le développement du cerveau et celui de l'intelligence sont dans une évidente proportion. Si ce rapport parait troublé chez les animaux que séparent des différences trop sensibles de volume (ainsi entre un petit et un très-gros chien, entre un oiseau des Canaries et une autruche), la qualité des hémisphères vient rétablir le rapport qui se manifeste alors clairement par le nombre et la profondeur des circonvolutions et des sillons.

5' Les dispositions intellectuelles et les aptitudes pratiques de l'homme se mesurent à la quantité de la substance cérébrale, pourvu toutefois que la qualité n'en soit pas altérée. « D'après les mesures exactes de l'anglais Peacock, le poids du cerveau humain croit d'une façon continue et très-rapide jusque vers la vingt-cinquième année, conserve jusqu'à cinquante ans le même poids, et diminue ensuite

d'une manière constante. D'après Sims, la masse du cerveau s'accroît jusque vers trente ou quarante ans; et atteint entre quarante et cinquante ans le maximum de son volume. Le cerveau des vieillards s'atrophie, c'est-à-dire devient plus petit, se dessèche; des cavités vides se creusent entre les diverses circonvolutions qui auparavant se rejoignaient. La substance du cerveau devient plus visqueuse, sa couleur plus grise, la masse sanguine moins abondante, les circonvolutions plus petites; et la constitution chimique du cerveau chez le vieillard se rapproche, selon Schlossberger, de celle des premières années. (Büchner, Force et Matière, 5o édit., p. 109.) Le poids moyen du cerveau, selon Peacock, est, chez l'homme, de 50; chez la femme, de 44 onces. Hoffmann porte la différence à 2 onces seulement. Leuret, après avoir mesuré deux mille crânes, conclut que la circonférence aussi bien que le diamètre, mesurés en différentes places, sont moins étendus chez la femme que chez l'homme. Le poids normal du cerveau est de 3 livres à 3 livres 1/2; le cerveau de Cuvier pesait pourtant plus de 4 livres. L'idiot de naissance présente toujours un cerveau remarquablement exigu; et, à son tour, une petitesse insolite du cerveau s'associe toujours à la faiblesse d'esprit. Parchappe observa dans 782 cas qu'une diminution graduelle de poids correspond dans le cerveau à la diminution de l'intelligence. Dans la folie ou les troubles profonds de la pensée, le cerveau et le crâne des crétins sont toujours d'une petitesse frappante; le second est asymétrique et difforme; les deux hémisphères surtout sont méconnaissables. Le cerveau du nègre est beaucoup plus exigu que celui de l'Européen; le front, fuyant; le crâne, moins développé, plus semblable à celui de l'animal. Les parties supérieures du cerveau manquent dans une mesure étonnante aux indigènes de la Nouvelle-Hollande. Le crâne des Européens s'est perfectionné depuis les temps historiques d'une façon très-sensible. Avec le progrès de la civilisation, on voit la région antérieure de la tête se développer au détriment de la partie postérieure; les crânes des diverses époques, qu'on a

déterrés, ont permis de constater ces différences. La même remarque a été faite sur les hommes appartenant aux classes ignorantes et cultivées de la société contemporaine; l'expérience des chapeliers confirme la vérité générale de cette observation. Ce ne sont pas sans doute des faits isolés, mais des moyennes qu'il faut consulter ici; il est à peine besoin de le dire. Si l'on rencontre des hommes intelligents, par exemple, avec le crâne resserré, des sots avec le crâne développé, ce ne sont que des exceptions apparentes; il faut tenir compte soit de l'épaisseur du crâne, soit de la distinction des aptitudes naturelles et de l'éducation, soit enfin de la forme des circonvolutions et de la qualité du cerveau.

Nous ne sommes pas encore en état de déterminer l'im portance de la constitution qualitative du cerveau, mais nous en savons quelque chose. Le cerveau de l'enfant est une sorte de bouillie, riche en eau, pauvre en graisse, si on le compare à celui de l'homme fait. Les différences de la substance grise et de la substance blanche, les particularités microscopiques ne s'accusent que peu à peu. Le tissu fibreux, qui est si apparent chez l'homme, ne se remarque pas encore chez l'enfant. Plus la formation de ce tissu est avancée, plus se manifestent les facultés intellectuelles. Le cerveau du foetus contient peu de substance grasse, et par suite de phosphore; la masse graisseuse s'accroît jusqu'à la naissance, et, après ce moment, augmente assez promptement avec les années. Le cerveau des animaux renferme, en moyenne, d'autant plus de graisse, qu'ils sont plus élevés dans l'échelle des êtres; ou que le volume du cerveau est moins en rapport avec le developpement intellectuel de l'animal, comme chez le cheval. La graisse, en effet, paraît jouer un rôle considérable. Chez les animaux qu'on laisse mourir de faim le cerveau ne perd pas comme les autres organes une seule partie de sa graisse. Le nombre, la profondeur et la forme des circonvolutions déterminent, à volume égal, l'étendue de la superficie du cerveau: c'est là une particularité très-importante, devant laquelle disparaît la faiblesse relative du poids. En règle générale, plus les circonvolutions et les sillons

sont nombreux, profonds, entremêlés, plus l'espèce d'animaux ou la race d'hommes est élevée en perfection.

On comprendrait maintenant que la loi qui règle le rapport de la masse cérébrale et des facultés intellectuelles souffrit une exception chez quelques animaux, les plus grands de l'époque présente; et que le volume de leur cerveau dépassât celui de l'homme. Mais cette exception apparente s'explique par la prédominance, chez ces animaux, des parties du cerveau, qui servent au système nerveux à titre de centres organiques des mouvements volontaires et des sensations. Le nombre et l'épaisseur plus grands des cordons. nerveux qui viennent y converger, la quantité supérieure de force mécanique qu'exige la mise en mouvement d'une masse corporelle plus étendue, demandent que ces centres cérébraux présentent un volume plus considérable. Mais les parties supérieures du cerveau, qui sont particulièrement le siége des fonctions intellectuelles, n'atteignent chez aucun animal, au point de vue même de la quantité, le développement qu'elles ont chez l'homme.

6o L'exercice de la réflexion fortifie le cerveau comme l'exercice de toute fonction en fortifie l'organe; et la dépense de force que nécessite la réflexion est toujours accompagnée d'une dépense de matière. De même que le muscle qu'on exerce spécialement devient plus fort et voit sa masse s'augmenter (comme pour les mollets des danseuses) aussi le cerveau devient plus propre à la pensée par l'excercice même de la pensée, et croît en qualité et en quantité.

Albers à Bonn raconte qu'il a disséqué le cerveau de plusieurs personnes, qui s'étaient depuis longtemps livrées å de grands travaux intellectuels. Chez toutes, il trouva la substance cérébrale très-riche en graisse, la substance grise et les circonvolutions cérébrales étonnamment développées. On constate cet accroissement de la masse cérébrale par la différence que présentent, sous ce rapport, les classes ignorantes et les classes cultivées, ainsi que les diverses générations d'Européens aux âges successifs de la civilisation.

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