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pensée n'est ici que le résultat et la proposition reste vraie, à savoir que l'Inconscient ne pense que ce qu'il veut. On peut dire encore que, dans la catégorie ordinaire à la pensée inconsciente, celle du moyen et du but, le but qui est conçu implicitement par l'idée du moyen voulu, est aussi implicitement voulu en même temps que ce dernier.

D'après tout cela, il suit que toute l'activité de l'Inconscient consiste dans le vouloir, et que l'idée inconsciente, qui forme le contenu de la volonté agissante, est aussi un contenu par lui-même étranger au temps, mais qui est comme entraîné avec cette volonté dans le temps. Vouloir et agir sont donc deux concepts identiques ou corrélatifs. Par eux le temps est produit; par eux l'idée passe de l'être en puissance à l'être en acte, c'est-à-dire, de l'être pur à l'existence phénoménale, de la possibilité éternelle à la réalité temporelle. Il en est tout autrement de la volonté consciente, qui est le produit de facteurs différents, dont l'un, les vibrations cérébrales, est déjà lui-même soumis à la durée.

II

LE CERVEAU ET LES GANGLIONS, COMME CONDITIONS
DE LA CONSCIENCE ANIMALE.

Presque tous les physiciens, les physiologistes et les médecins sont matérialistes. Plus la connaissance et la méthode des sciences physiques et de la physiologie se répandent dans le public cultivé, plus la conception matérialiste du monde rencontre d'adhérents. A quoi cela tient-il? A la simplicité, à l'irrésistible évidence des faits, sur lesquels le matérialisme appuie l'explication de l'âme des animaux et de l'âme humaine, les seuls esprits qui nous soient connus. Pour échapper à cette influence, il faut ne pas connaître les faits, comme la foule des ignorants, ou comme les lettrés qui sont absolument étrangers à la physique et à la physiologie, ou encore comme ceux qui portent dans l'examen de ces faits les idées préconçues qu'ils ont tirées de la religion ou de la philosophie. Tout homme qui juge avec impartialité ne peut résister à l'autorité de ces faits: il suffit de les prendre comme ils sont. Ils portent leur enseignement avec eux, et leur naïve clarté dispense de toute recherche. La certitude naïve, immédiate de la conséquence qui s'en tire, son irrésistible évidence, qu'on ne peut contester sans faire violence aux faits, c'est là ce qui assure à l'explication matérialiste de l'esprit une si grande supériorité sur les déductions et les vraisemblances subtilement élaborées, sur les hypothèses arbitraires et les raisonnements souvent sophistiques de la psychologie spiritualiste. Tous les esprits lucides, ennemis

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des spéculations du mysticisme philosophique, s'enrôlent sous le drapeau du matérialisme, parce que le matérialisme est simple comme la nature qui lui sert d'institutrice, clair et rigoureux dans l'enchaînement de ses conséquences comme son auguste mère. Par son hostilité déclarée contre les systèmes religieux, le matérialisme ne peut que voir se multiplier ses adhérents parmi les hommes de notre temps. Quant à l'opposition que lui font les philosophes spéculatifs, il ne s'en inquiète en aucune façon. Combien peu d'hommes ont le goût de la spéculation, combien moins encore ont une culture philosophique! Aussi le matérialisme n'éprouve-t-il pas plus le besoin qu'il n'est en état d'analyser les concepts abstraits, si obscurs, de la force, de la matière, sur lesquels reposent ses raisonnements. Les hauts problèmes de la philosophie le trouvent sceptique. Il nie que l'esprit humain soit en état de les résoudre, ou que les questions soient légitimes. Il se trouve à son aise dans tous les cas; et les progrès, les découvertes, que la science fait tous les jours, entretiennent sa confiance en lui-même, et encouragent son ferme espoir que tout ce que l'homme peut apprendre de l'expérience est du ressort des diverses sciences. Il est donc naturel que le matérialisme gagne du terrain, tandis que la philosophie en perd. Il n'y a qu'une philosophie capable de faire leur part légitime à toutes les découvertes des sciences de la nature et de s'approprier complètement le principe, vrai en soi, d'où est sorti le matérialisme, qui puisse espérer lutter avec succès contre le matérialisme. Une telle philosophie doit en même temps être intelligible pour tout le monde : tel n'a pas été le cas malheureusement pour la philosophie de l'identité et pour l'idéalisme absolu.

La première tentative d'une conciliation intelligente entre le matérialisme et la philosophie a été faite par Schopenhauer et ce n'est pas là un faible mérite de ce penseur, ni la moindre cause de sa popularité récente. Mais la conciliation ne fut qu'incomplétement réalisée Schopenhauer laissait au matérialisme l'explication de l'intelligence, à la

spéculation philosophique celle de la volonté. Cette séparation violente est la faiblesse de son système. Si l'on accorde au matérialisme qu'il soit en état d'expliquer la conscience, l'entendement, on ne peut lui interdire légitimement d'expliquer le sentiment, le désir, la volonté, ces autres formes de la vie consciente. Les phénomènes physiologiques sont également la condition de toute activité consciente. C'est par une grave inconséquence que Schopenhauer rapporte la mémoire, avec le riche trésor de ses souvenirs, les dispositions intellectuelles, le talent, les facultés de l'individu, à la constitution du cerveau, tandis qu'il soustrait le carac tère, qui se prête aussi et plus facilement peut-être à cette explication, aux influences de l'organisation cérébrale, et le transforme en une sorte d'essence individuelle et d'hypostase métaphysique. Il semble se mettre en cela en flagrante contradiction avec l'unité de l'absolu, son principe suprême.

Il n'y a en réalité que l'ignorance ou le sophisme qui puisse rejeter le premier principe fondamental du matérialisme «Toute activité consciente de la pensée n'est possible que par le jeu normal des fonctions cérébrales. » Tant que l'on ne reconnait ou ne veut admettre dans l'esprit d'autre activité que celle de la conscience, le principe en question équivaut à celui-ci : « L'activité de l'esprit n'est qu'une fonction du cerveau. » Il suit de là nécessairement ou que toute faculté de l'esprit est une pure fonction du cerveau; ou qu'elle résulte de l'activité cérébrale et d'une autre cause qui ne peut se manifester par elle-même, mais existe purement en puissance, tant que le jeu normal des fonctions cérébrales ne lui a pas permis de se manifester, et qui se révèle alors seulement comme une activité spirituelle. Entre les deux explications, le choix ne saurait être douteux on rejettera la seconde cause comme une supposition intelligible, qui charge inutilement le raisonnement. La chose se passe tout autrement, lorsqu'on reconnaît dans l'activité inconsciente la forme primitive et originelle de l'esprit, lorsqu'on admet que l'activité consciente a sans

cesse besoin de son auxiliaire, sous peine de demeurer absolument impuissante. La proposition matérialiste signifie alors seulement que l'activité consciente de l'esprit a sa condition dans le fonctionnement normal du cerveau; mais elle ne nous apprend rien sur l'activité inconsciente, dont l'expérience nous montre l'indépendance vis-à-vis du cerveau, et qui demeure un principe autonome. La matière ne domine que cette forme de la pensée qu'on appelle la conscience.

Nous allons résumer les faits dont la formule ci-dessus est l'expression.

1o Le cerveau, soit dans sa forme, soit dans sa matière, est le produit le plus parfait de l'activité organique. « Nous trouvons dans le cerveau des éminences, des dépressions, des ponts et des aqueducs, des piliers et des voûtes, des étaux et des pioches, des griffes et des cornes d'Ammon, des arbres et des gerbes, des harpes et des bâtons sonores, etc. Personne ne connaît encore la signification de ces merveilleuses formations. » (Huschke, Le crâne, le cerveau et l'âme de l'homme.)

Aucun organe ne présente chez les animaux des formes plus délicates, plus étonnantes, plus variées, une structure plus fine et plus spéciale. Les cellules ganglionnaires du cerveau en partie donnent naissance à des fibres primitives, en partie sont reliées entre elles par des fibres de ce genre, en partie en sont enveloppées. Ces fibres primitives, creuses, remplies d'un contenu oléique coagulable, forment des vaisseaux dont l'épaisseur atteint à peine 1/1000 de ligne; et se mêlent, se croisent entre elles de la façon la plus singulière. L'anatomie si difficile du cerveau n'est malheureusement pas encore plus avancée que l'analyse de sa constitution chimique mais nous savons pourtant déjà que la composition chimique du cerveau n'est pas si simple qu'on le croyait d'abord; qu'elle varie suivant les diverses parties de l'organe; que les corps gras avec leurs principes phosphoriques y jouent un rôle considérable; que d'autres

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