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tiques, religieuses ou sociales). Nous avons encore à parler de l'intervention de l'Inconscient dans les œuvres de l'art et de la science. Nous avons déjà reconnu pour les unes comme pour les autres, que l'intervention de l'Inconscient y est indépendante de la volonté consciente du moment, mais en revanche tout-à-fait subordonnée à l'intérêt qu'on ressent au fond pour l'objet, au besoin profond qui domine l'esprit et le cœur; en un mot, il importe assez peu que la conscience soit fortement occupée dans le moment par la pensée de l'objet, si l'âme s'en est déjà occupée longtemps et sérieusement. Mais l'intérêt de l'esprit et le besoin du cœur, lorsqu'ils sont profonds, doivent être considérés comme l'expression d'une volonté essentiellement inconsciente ou du moins en très-grande partie soustraite à la conscience. En tout cas, ils ne sont pas moins efficaces que l'application présente de la pensée à l'objet, pour provoquer et décider à l'action la volonté inconsciente. Disons encore que l'inspiration est d'autant plus prompte que l'intérêt ressenti par l'âme est plus profond, et se répand des surfaces éclairées de la conscience dans les sombres profondeurs du coeur, c'est-à-dire dans l'Inconscient. Nous sommes donc autorisés à reconnaître, dans tous les cas où se manifeste l'inspiration artistique ou scientifique, l'intervention d'une volonté inconsciente. La simple intelligence du beau elle-même doit être rapportée à un instinct qui concourt à la troisième fin générale, le perfectionnement de l'espèce. Qu'on se demande ce que serait l'humanité, à quoi tout le mouvement de l'histoire aboutirait, et combien la misérable vie des hommes serait encore plus malheureuse si aucun homme n'était ouvert au sens de la beauté.

Il nous reste à toucher encore un point sur lequel la plupart des lecteurs ne me feront sans doute aucune objection, je veux parler de la seconde vue dans les songes prophétiques, dans les visions, le somnambulisme naturel ou artificiel. Celui qui admet tous les faits de ce genre ne tardera pas à reconnaitre que la volonté inconsciente y fait toujours sentir son action. Quand la seconde vue suggère

à l'individu des moyens de guérison pour ses maladies propres, l'intervention de l'Inconscient ne peut être révoquée en doute. Mais, pour les remèdes qui s'appliquent aux maladies des autres personnes, je doute fort que la seconde vue serve à les indiquer : j'excepte le cas où le voyant est très-attaché à ces personnes, et s'intéresse à leur salut comme au sien propre. Les songes prophétiques, les pressentiments, les visions, les éclairs de la pensée, qui se rapportent à d'autres objets qu'à la guérison des maladies, doivent ou concerner des faits importants pour l'avenir du voyant, ou renfermer l'avertissement d'un danger qui menace sa vie, ou lui apporter des consolations dans ses chagrins (double vue de Goethe) ou produire d'autres effets semblables. Tantôt ils fournissent au voyant des informations sur les personnes qui lui sont particulièrement chères, comme sa femme et son enfant; ou des présages sur la mort ou le malhenr prochain d'un parent éloigné. La seconde vue peut enfin se rapporter à des événements considérables par les circonstances qui les accompagnent et les conséquences qu'ils produisent, et qui, par suite, émeuvent profondément tout cœur humain, comme l'incendie d'une grande ville (Swedenborg) et surtout de la ville qui nous a donné le jour. On voit, dans tous ces exemples, combien les inspirations de l'Inconscient sont étroitement associées aux intérêts les plus profonds de la volonté. Il est naturel d'admettre l'action d'une volonté inconsciente, qui défend les intérêts généraux de l'individu dans tel cas particulier que la conscience ignore encore. Mais jamais la seconde vue de l'individu ne s'étend à des objets qui n'intéressent pas profondément son être. Pour ce qui concerne les réponses que les somnambules artificielles font aux demandes, indifférentes pour elles, qui leur sont posées, qu'il me soit permis de douter que ces réponses soient inspirées par l'Inconscient, tant que je me croirai obligé de mépriser comme de vains fanfarons ou des charlatans menteurs les magnétiseurs, qui ne craignent pas de poser aux somnambules des questions, qui n'intéressent pas

directement ces dernières. Bien que le sommeil magnétique soit l'état le plus favorable aux inspirations de l'Inconscient, toutes les fantaisies de l'imagination d'une somnambule sont loin d'être des inspirations de l'Inconscient. Les magnétiseurs expérimentés savent très-bien recommander qu'on se défie des mensonges où se complaît l'imagination capricieuse et la dissimulation naturelle de la femme même dans l'état magnétique, et sans qu'elle ait réellement l'intention de tromper.

De tout ce qui précède nous concluons que l'idée inconsciente est toujours associée à une volonté inconsciente. N'oublions pas, toutefois, que l'idée inconsciente est autre chose que l'idée qui se manifeste à nous dans la conscience, à titre de conception ou d'inspiration de l'Inconscient : et reconnaissons qu'il y a entre la première et la seconde la même différence qu'entre l'être et le phénomène, entre la cause et l'effet. Il demeure donc clairement établi que la volonté inconsciente, qui s'associe directement à l'idée inconsciente, et représente l'intérêt général de l'individu par rapport à tel cas particulier, ne peut être que la volonté de réaliser l'idée inconsciente à laquelle elle est unie. La réalisation dont il s'agit, c'est la manifestation phénoménale de l'idée inconsciente dans la nature, et, pour le cas qui nous occupe, sa manifestation dans la conscience, comme idée soumise aux formes de la sensibilité par l'excitation des vibrations cérébrales correspondantes. Telle est la véritable unité de la volonté et de l'idée : la volonté ne veut rien que la réalisation de son contenu, c'est-à-dire de l'idée qui lui est associée. Considérons maintenant la conscience et le mécanisme compliqué qui sert à sa manifestation; rappelons-nous ce qui a été dit au dernier chapitre de la partie précédente, et sera développé davantage au chapitre XIII de la présente partie. Tout progrès dans la série des êtres et dans l'histoire consiste dans l'extension donnée à la conscience. Et l'empire de la conscience ne peut être assuré qu'autant que la conscience est émancipée de la domination des intérêts et des affections de la sensibilité, et, en un mot

de la volonté et ce résultat ne peut être atteint que par la soumission absolue à la raison consciente. Nous devons en conclure que l'affranchissement progressif de l'entendement vis-à-vis de la volonté est le principe essentiel, la fin suprême de la conscience. Mais il serait insensé que l'Inconscient fût par lui-même en état de réaliser cette émancipation à quoi bon alors tout le mécanisme laborieux qui sert à la production de la conscience? Cette raison, jointe au fait que nous ne connaissons aucune idée inconsciente qui ne soit associée à une volonté inconsciente, me conduit à conclure que dans l'Inconscient la volonté et l'idée sont indissolublement unies. Il serait, à coup sûr, étonnant que l'idée inconsciente existât séparément sans que nous en ayons jamais rien su. On peut encore s'autoriser de la considération suivante.

La pensée ou la représentation comme telle est entièrement renfermée en elle-même; elle ne connaît ni le vouloir, ni la tendance, ni rien de semblable, et demeure étrangère en soi à la peine ou au plaisir, et par suite à tout désir. Car ce sont là des manifestations non de l'idée, mais de la volonté. L'idée ne trouve donc pas en soi une raison quelconque de changer elle est absolument indifférente non-seulement å telle ou telle forme d'existence, mais même à l'existence ou au néant rien ne saurait la toucher, puisqu'elle est absolument indifférente. Il suit de là que l'idée, qui ne s'intéresse pas à sa propre existence et est incapable d'aucun effort pour la conquérir ou la conserver, ne trouve en soi aucune raison de sortir du non-être pour entrer dans l'être, ou, si l'on aime mieux, pour passer de l'être en puissance à l'être en acte. Il faut donc pour expliquer l'existence actuelle de chaque idée une cause que l'idée par elle-même ne saurait fournir. Cette cause, pour l'idée consciente, ce sont les impressions sensibles et les vibrations cérébrales que produit la matière. Il n'en peut être de même pour l'idée inconsciente, autrement elle deviendrait consciente, .comme nous le montrerons au chapitre III. Cette cause ne peut être que la volonté inconsciente. Cela s'accorde parfai

tement avec nos expériences. Partout l'intérêt du désir, ou la volonté particulière, provoque l'existence de l'idée dans son application à tel cas particulier. La volonté particulière ne présente pas seulement la forme générale du vouloir, mais elle a un contenu déterminé (dans l'idée qui en fait l'objet). C'est ce contenu qui détermine la qualité ou l'essence de la pensée inconsciente du moment qui suit immédiatement: mais il ne la déterminerait pas, si l'existence de cette pensée n'était pas assurée par la volonté du moment précédent, et par la persistance de la volonté dans sa forme générale jusqu'à ce moment. J'ajouterai encore une remarque. Puisque l'acte suit immédiatement la volonté, il n'y a dans l'Inconscient d'activité spirituelle qu'au moment où l'acte commence. Peu importe que la volonté soit impuissante à réaliser un objet, et à triompher des obstacles. L'action consiste alors soit dans l'effort qui n'aboutit pas, soit dans le mouvement de l'Inconscient, qui passe immédiatement de la pensée du but à celle des moyens propres à réaliser. L'Inconscient peut encore être forcé de multiplier son intervention, si la réalisation matérielle de l'acte vient se heurter contre des obstacles mécaniques qu'il faut surmonter en procédant différemment.

On pourrait élever encore l'objection suivante : l'Inconscient a beau ne vouloir que le dernier résultat, cependant il doit connaître tout le processus des pensées qui conduisent à ce résultat. Celui qui a lu attentivement le § 4 de ce chapitre sait déjà la réponse qu'il convient de faire à l'objection. La pensée inconsciente embrasse tous les membres du processus, le principe et la conséquence, la cause et l'effet, le moyen et la fin, et en un seul moment. Elle ne les connaît ni avant, ni à côté, ni en dehors du résultat, mais dans le résultat lui-même; en un mot, elle ne les connaît que par le résultat voulu. La pensée de ce processus ne doit donc pas être considérée comme une pensée distincte de celle du résultat : elle est implicitement contenue dans cette dernière, et ne se produit jamais explicitement. Ce que nous désignons habituellement par le nom de

HARTMANN.

Tr.

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