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les graines polliniques. Mais l'inclinaison des pédoncules n'est pas seulement l'effet de l'assoupissement on peut s'en convaincre facilement. On trouve au contraire les pédoncules, dans ce reploiement sur eux-mêmes, plus tendus, plus élastiques. La Malva peruviana forme, en dressant ses feuilles autour de la tige ou autour de la pointe des ramuscules, une sorte d'entonnoir à l'intérieur duquel les jeunes fleurs ou les jeunes feuilles sont protégées. La balsamine des bois, l'Impatiens noli me tangere, tresse avec ses feuilles supérieures inclinées un berceau pour protéger les jeunes pousses; quelques autres plantes enveloppent les fleurs en rapprochant les folioles de toutes les feuilles réunies. Les périodes du sommeil et de la veille sont aussi variables pour les plantes que pour les animaux. Quelquesunes de nos plantes se guident sur le soleil, d'autres ont des heures déterminées, qu'elles observent exactement, quel que soit le climat sous lequel elles se trouvent transportées, qu'elles soient en hiver ou en été. On voit par là que ces mouvements périodiques sont indépendants en partie des excitations extérieures, et déterminées purement par les dispositions internes des plantes: ce sont donc des fonctions que l'instinct gouverne.

Beaucoup de plantes inclinent pour la fructification l'étamine vers le pistil, répandent le pollen et reprennent leur position. Chez d'autres, le pistil se tourne vers l'étamine; il en est enfin où ils se portent mutuellement à la rencontre l'un de l'autre. (Treviranus, Physiologie des plantes, II, 389.) Les anthères du Lilium superbum, de l'Armaryllis formosissima, du Pancratier maritime, se rapprochent successivement du stigmate. Elles se courbent tour à tour vers le style dans la Fritillaire persica. Dans la Rhus coriaria, deux ou trois étamines se dressent en même temps, décrivent un quart de cercle, et portent l'anthère tout près du stigmate. Les saxifragées tridactylites, muscoïdes, aizon, granulata et cotylédon inclinent simultanément vers le stigmate les deux étamines opposées, qui s'écartent, après avoir répandu leur semence, pour faire place à d'autres. Chez la

Parnassia palustris les organes måles se tournent vers les organes femelles dans l'ordre même où la poussière pollinique mûrit promptement et en un seul mouvement lorsqu'ils approchent du stigmate, et en trois mouvements lorsqu'ils s'en éloignent après la fécondation. La capucine (Tropæolum), lorsqu'elle est en pleine floraison, redresse l'une après l'autre ses étamines qui sont d'abord penchées, et les incline de nouveau, après que les anthères ont répandu le pollen sur le stigmate, pour faire place à d'autres. On ne peut souhaiter d'exemple plus frappant d'une action instinctive. Le motif de l'action, c'est la présence du stigmate et la maturité de la poussière pollinique; mais l'ordre de l'approche, la manière dont les étamines se meuvent successivement, manifestent aussi clairement une volonté que tout autre mouvement des animaux.

On ne saurait trop admirer les mouvements que l'instinct fait exécuter aux plantes grimpantes. (Voir Mohl, Uber das Winden der Ranken.) Ces plantes croissent d'abord en partie par un mouvement ascendant et perpendiculaire. Leur tige se courbe ensuite pour prendre la direction horizontale, décrire des cercles et chercher un point d'appui dans le voisinage : semblable à la chenille sans yeux, qui décrit un cercle avec sa partie antérieure à la recherche d'une nouvelle feuille. Plus la tige s'allonge, plus ces cercles s'étendent naturellement : car, si la plante ne trouve pas près d'elle l'appui qui lui est nécessaire, elle va le chercher au loin. La tige finit par ne plus pouvoir supporter son propre poids, elle tombe sur le sol et rampe dans le voisinage. Quand elle a rencontré l'appui cherché, elle pourrait ne pas s'en apercevoir ou trouver plus commode de ramper sur le sol et de ne pas s'élever en l'air. Mais l'expérience montre qu'elle saisit aussitôt l'appui qui s'offre à elle, et recommence à le gravir en spirale. Et la plante fait encore ici preuve de choix. Les cuscutes (surtout quand elles sont jeunes) ne s'enroulent pas autour des plantes mortes ou de supports inorganiques; elles ne s'enlacent qu'autour de plantes vivaces, au sommet desquelles elles semblent

impatientes de grimper: car leurs racines fixées au sol ne tarderaient pas à mourir, et il leur faut chercher leur nourriture et l'extraire avec leurs suçoirs de la plante qu'elles entourent. Quand elles l'ont épuisée ainsi, elles s'en détachent et cherchent à s'enrouler autour d'autres plantes. Toute plante grimpante se porte de sa nature à gauche ou à droite. Que l'on détache un jeune liseron (Convolvulus) du corps qui lui sert d'appui, et qu'on essaie de l'enrouler dans un autre sens, il revient à son mouvement primitif de spirale, ou meurt s'il ne peut le reprendre. N'est-ce pas ce que nous avons vu dans l'instinct? Mais si deux plantes de ce genre, privées de soutien étranger, s'enlacent réciproquement et s'élèvent ainsi l'une autour de l'autre, on voit l'une des deux renoncer volontiers à la direction naturelle de ses circonvolutions pour faciliter cet enlacement réciproque. (Parmer's Magazine, reproduit dans le Times du 13 juillet 1848). Ainsi, plutôt que de céder à la violence. qu'on lui fait pour changer ses habitudes, la plante préfère mourir; mais, aussitôt que ce changement a sa raison d'ètre, elle s'y prête d'elle-même. L'aptitude de l'instinct animal à varier ses procédés se manifeste ici en pleine lumière.

e. L'instinct esthétique ne peut être ici l'objet d'une longue démonstration. Je considère comme évident, pour le règne végétal, que tout être se donne toute la beauté que comporte la fin particulière de son espèce, et que permettent les matériaux rebelles dont il dispose. Les végétaux les plus puissants comme les plus humbles, le chêne magnifique ou la mousse microscopique, l'ensemble ou le détail des plantes, les forêts vierges avec leur parure brillante, ou les sapins modestes, tout confirme cette vérité.

Nous avons donc retrouvé dans le règne végétal les cinq propriétés par lesquelles s'était manifestée à nous l'action de l'Inconscient dans le règne animal. Nous ne sommes. plus en droit de refuser à la plante la volonté et la pensée inconscientes. Si nous ne trouvons pas dans les plantes de manifestations plus hautes de la pensée, nous ne devons pas

nous en étonner. Le règne végétal, dans les parties et dans l'ensemble, n'a pas d'autre fin que de préparer au règne animal le sol, la nourriture et l'atmosphère. Il faut sans doute reconnaitre qu'indépendamment de cette fin le principe créateur agit dans le régne végétal à sa manière et librement.

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Les conclusions de l'étude que nous venons de faire étaient faciles à prévoir et n'exigeaient pas, pour être trouvées, beaucoup de pénétration. Il est plus difficile de décider si les plantes ont aussi une conscience.

Le dissentiment sur la nature animale ou végétale de certains ètres est aussi vieux que la science elle-même, et l'on n'est pas plus aujourd'hui qu'au temps d'Aristote en état de résoudre le problème, pour cette raison que la question n'est pas susceptible d'être tranchée simplement dans l'un ou l'autre sens. En tant qu'êtres organiques, les animaux et les plantes ont certaines propriétés communes; ils différent par d'autres propriétés relatives à leurs destinations diverses dans l'économie de la nature. Mais, comme tous les phénomènes de la vie peuvent se ramener à une forme tellement simple que leurs caractères distinctifs se réduisent plus ou moins à rien, et qu'il ne subsiste plus essentiellement que leurs propriétés communes; de même les différences entre l'animal et la plante doivent tendre à s'effacer à leur tour, et il est absurde de persévérer dans une polémique qui, par sa nature, doit rester sans résultat. L'observation microscopique a été poussée tellement loin que, s'il existait un critérium certain pour la distinction des plantes et des animaux, il n'aurait pu échapper à l'œil de l'observateur, et la question serait vidée depuis longtemps. Mais le fait qu'aucun des systèmes en présence ne sait fournir de critérium généralement reconnu prouve bien que l'on est loin de se faire une

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idée claire du sujet sur lequel on discute. Si l'on prenait les faits avec impartialité, il en ressortirait tout simplement que l'on a renfermé dans des limites beaucoup trop étroites le domaine des propriétés communes aux deux règnes; que la différence entre les animaux et les plantes est bien moindre qu'on ne l'a cru jusqu'à présent; et qu'enfin cette différence devient seulement dans les formes élevées assez éclatante pour ne permettre à personne de la méconnaître. Dans ces derniers temps, cette manière de concevoir a de plus en plus gagné du terrain dans le monde savant. On en trouve l'expression la plus complète dans l'essai de Hæckel pour établir antérieurement aux deux règnes des végétaux et des animaux un troisième règne, le règne protiste. Mais peut-être ce savant a-t-il attribué à ce règne des limites trop larges, et son critérium de la propagation asexuelle pourrait bien être insoutenable: car, si la génération sexuelle est commune aux animaux et aux plantes, cela ne s'explique que par une origine commune, c'est-à-dire parce qu'elle existait antérieurement dans le règne protiste. La tentative de substituer des déterminations précises aux limites naturellement vagues qui séparent le règne protiste d'un côté et les deux règnes des végétaux et des animaux de l'autre, serait donc tout aussi vaine que les essais antérieurs relativement aux deux derniers.

Cette manière de voir est aussi la seule qui puisse être acceptée par la géologie. Tandis qu'aujourd'hui la création de la terre ne subsiste que par l'équilibre des productions des deux règnes des animaux et des plantes, il est évident que la première pierre fondamentale de la nature organique n'a pu être posée qu'avec des êtres qui renfermaient cet équilibre en eux-mêmes et se trouvaient par conséquent sur la limite entre l'animal et la plante. Parmi ces êtres merveilleux, un des plus importants, auquel l'histoire de la terre rapporte la formation de la craie, a été mis en lumière par les récentes explorations de la mer, et est appelé Bathybius. C'est encore aujourd'hui une énigme que d'expliquer de quelle manière peut se nourrir et prospérer,

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