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Fils de Dieu ne leur a pas imposé silence. Il est certain que selon la liaison que l'opinion commune a mise entre ces deux choses, ce qui détruit l'une, ébranle beaucoup l'autre, ou mesme la ruine entierement; et peut-estre aprés la lecture de 5 ce Livre entrera-t-on encore mieux dans cette pensée ; mais ce

qui est plus remarquable, c'est que par l'Extrait de la Republique des Lettres il paroist qu'une des plus fortes raisons de M. Moebius contre M. Van-Dale, est que Dieu défendit aux Israëlites de consulter les Devins et les Esprits de Pithon, 10 d'où l'on conclut que Pithon, c'est à dire les Demons, se mêloient des Oracles, et apparemment l'Histoire de l'aparition de Samuël vient à la suite. M. Van-Dale répondra ce qu'il jugera à propos; pour moy, je declare que sous le nom d'Oracles je ne pretens point comprendre la Magie, dont il est indubitable 15 que le Demon se mêle ; aussi n'est-elle nullement comprise

1. C'est le passage qui paraît avoir le plus indisposé Van Dale contre Fontenelle.

<< Mais je vous prie, à quoi peut avoir pensé nôtre Auteur de vouloir prouver, que la Magie et particulierement la Necyomantie s'exerçoient par l'intervention du Diable, par l'Autorité des Poëtes, surtout de Lucain? Depuis quand les plus hardies fictions de ces gens-là, à qui tout est permis aussi bien qu'aux Peintres, ont-elles acquis le droit d'entrer en preuve des veritez contestées ? Nôtre Auteur ayant humilié si agreablement et si justement le grave et sage Plutarque, à cause des historiettes fabuleuses dont il a farci ses écrits, peut-il serieusement canonizer l'Ericto de Lucain, comme une Histoire veritable? Je dis canonizer, car ce n'est pas sans quelque scandale, que je la voi mettre en parallèle de la Prophetesse d'Endor que le Roi Saul consulta. En verité la pieté ne permet aucunement de confondre si legerement une verité, avec l'imagination d'un Poëte, », etc., etc. Lettre à un de ses amis (Nouvelles de la République des Lettres, mai 1687). Le passage est long, et presque rude à l'égard de ceux qui confondent, avec tant d'imprudente légèreté, la vérité et la fiction. Il faut le lire, si l'on veut avoir une idée de la gravité, et de la lourde ironie, de Van Dale, dans la polémique.

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Le P. Baltus proteste naturellement contre l'interprétation de Fontenelle. Il se livre à une longue discussion sur « le mot hébreu qui signifie un Esprit de Python » et conclut (Réponse, 95):

« Ainsi Mr. ce que l'Ecriture appelle consulter les Devins et les Pythons, et ce qu'elle deffend et déteste si souvent, comme une abomination execrable, c'estoit entierement, quoy que vous en puissiez dire, ce que les Payens appelloient aller à l'oracle. Il n'y a de diffe

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dans ce que nous entendons ordinairement par ce mot, non pas mesme, selon le sens des anciens Payens, qui d'un costé regardoient les Oracles avec respect comme une partie de leur Religion, et de l'autre avoient la Magie en horreur aussi-bien 5 que nous. Aller consulter un Necromantien, ou quelqu'une de ces Sorcieres de Thessalie, pareille à l'Ericto de Lucain, cela ne s'appelloit pas aller à l'Oracle; et s'il faut marquer encore cette distinction méme selon l'opinion commune, on pretend que les Oracles ont cessé à la venuë de Iesus-Christ, 10 et cependant on ne peut pas pretendre que la Magie ait cessé. Ainsi l'objection de M. Moebius ne fait rien contre moy, s'il laisse le mot d'Oracle dans sa signification ordinaire et naturelle, tant ancienne que moderne 1.

rence que du nom seul. Or les Pythons qui rendoient des Réponses par le moyen de ceux qui en estoient possedez, estoient des démons, comme l'Ecriture le fait entendre fort clairement: Les Peres de l'Eglise avaient donc grande raison de croire, que les Prêtres et les Prêtresses des idoles, qui rendoient les Oracles des Payens, estoient pareillement possedez par des démons. L'Ecriture ne leur permettoit pas d'en juger autrement. Et certainement tous ceux qui reconnoissent sincerement son autorité, ne peuvent pas estre avec quelque apparence de raison, dans une autre pensée ». D'ailleurs Van Dale luimême l'a reconnu son système conduit infailliblement à mépriser Pères et Ecriture, ou du moins les Commentaires des Pères sur l'Ecriture; et « un autre protestant, beaucoup plus habile et de meilleure foy que luy» (J. Vossius), a toujours remarqué que tous ces gens qui croyent que tout ce que l'on rapporte des Pythonisses et de leurs semblables n'a jamais esté que de l'imposture et de la fourberie toute pure, ont peu de connoissance de l'Ecriture sainte, ou quoyqu'ils dissimulent, qu'ils l'estiment fort peu en effet, et ne se mettent gueres en peine de son autorité ». Ce n'est pas au moins Fontenelle contre qui l'on puisse élever de pareils soupçons. « Pour vous Mr. je suis persuadé que vous estes très-éloigné de tomber dans un pareil égarement, et que comme vous reconnoissez sincerement l'autorité toute divine de l'Ecriture Sainte, vous avoüerez avec tous les Peres de l'Eglise, comme à la réserve de quelques incredules, seduits peutestre par votre livre, on le croit encore aujourd'huy, que les Oracles des Gentils estoient rendus en effet par les démons, ainsi que la même Ecriture sainte nous l'apprend assez clairement pour en estre convaincus. » Réponse, 97. — Îl semble difficile de pousser la naïveté plus loin.

1. « Les Oracles estoient toûjours accompagnez de magie », déclare le P. Baltus, après avoir rapporté le sentiment d'Eusèbe, d'Origène, de

La seconde chose que j'ay à dire, c'est que l'on m'a averty que le R. Pere Thomassin, Prestre de l'Oratoire, fameux par tant de beaux Livres, où il a accordé une pieté solide avec une profonde érudition, avoit enlevé à ce Livre-cy l'honneur de la 5 nouveauté du Paradoxe, en traitant les Oracles de pures fourberies dans sa Methode d'étudier et d'enseigner chrestiennement les Poëtes. J'avoue que j'en ay esté un peu fâché; cependant je me suis consolé par la lecture du Chap. XXI. du Liv. II. de cette Methode, où je n'ay trouvé que dans l'Article XIX. 10 en assez peu de paroles, ce qui me pouvoit estre commun avec luy. Voicy comme il parle. La veritable raison du silence imposé aux Oracles, estoit que par l'invocation du Verbe Divin la Verité éclairoit le monde, et y répandoit une abondance de lumieres tout autres qu'auparavant. 15 Ainsi on se détrompoit des illusions des Augures, des Astrologues, des observations des entrailles des Bestes, et de la pluspart des Oracles, qui n'estoient effectivement

12 l'Incarnation 1687.

Porphyre, de Jamblique et d'Eunapius. « Puis donc que vous avoüez que les démons sont les auteurs de la magie, vous devez par consequent avoüer aussi, qu'ils estoient les veritables auteurs des Oracles.» En effet, << qu'estoit-ce autre chose par exemple, que l'Oracle de Delphes, qu'une fille ou une femme appellée Pythie, que l'on alloit consulter de toute part, pour apprendre d'elle l'avenir, et que l'on croyoit possedée et inspirée par Apollon, lors qu'elle estoit assise sur le Trépié? Elle l'estoit en effet, mais cet Apollon n'estoit qu'un démon qui avoit emprunté le nom de ce faux Dieu, ainsi que les Peres de l'Eglise l'ont toujours crû ». Le même raisonnement vaudra pour les Oracles de Dodone, de Claros, etc. Réponse, 92-95.

I. « La Methode d'étudier et d'enseigner chrétiennemeut et solidement les Lettres humaines par rapport aux Lettres divines et aux Ecritures. Divisée en six Parties. Dont les trois premieres regardent l'étude des poètes : et les trois suivantes celle des Historiens, des philosophes et des grammairiens. Par le P. L. Thomassin, Prestre de l'Oratoire. A Paris, chez François Muguet, Imprimeur du Roy et de Monseig. l'Archevesque, ruë de la Harpe, aux trois Roys. MDCLXXXI. Avec approbation et Privilege.

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que des impostures, où les hommes se trompoient les uns les autres par des paroles obscures, et à double sens. Enfin s'il y avoit des Oracles où les Démons donnoient des réponses, l'avenement de la Verité incarnée avoit 5 condamné à un silence éternel le Pere du mensonge. Il est au moins bien certain qu'on consultoit les Demons lors qu'on avoit recours aux Enchantemens et à la Magie, comme Lucain le rapporte du jeune Pompée, et comme l'Ecriture l'assure de Saül 1. Ie conviens que 10 dans un gros Traité où l'on ne parle des Oracles que par occasion, tres-brièvement, et sans aucun dessein d'aprofondir la matiere, c'est bien en dire assez que d'attribuer la pluspart des Oracles à l'imposture des hommes, de révoquer en doute s'il y en a eu où les Demons ayent eu part, de ne donner une 15 fonction certaine aux Demons que dans les Enchantemens et dans la Magie, et enfin de faire cesser les Oracles, non pas precisement parce que le Fils de Dieu leur imposa silence tout d'un coup, mais parce que les Esprits plus éclairez par la publication de l'Evangile, se desabuserent, ce qui suppose

1. Sur toutes ces questions, le P. Thomassin est beaucoup plus explicite qu'il plaît à Fontenelle de le dire. Le chapitre xxi du livre second de sa Methode a pour titre « Des Oracles. Des Devins. Des Propheties. Convenances des Poëtes avec les Ecritures sur ce sujet »; le chapitre est divisé en trente-et-un paragraphes, et voici le contenu de quelques-uns, d'après le P. Thomassin lui-même :

III. De la maniere de prophetiser avec une espece de fureur, selon les Ecritures.

IV. Et selon les Poëtes aussi.

V. VI. Les raisons que

Lucain en rend.

VII. Sentimens de Ciceron sur ces fureurs prophetiques.

VIII. IX. Suite des sentimens de Ciceron.

X. Sentimens de Plutarque sur les vers des Devins et des Prophetes et sur les fautes qu'ils y faisoient.

XI. Pourquoi les Oracles se rendoient autrefois en vers.

XIX. Raison du silence des Oracles. (C'est le paragraphe que cite Fontenelle, avec les premières lignes du xx.)

XXXI. De la cessation des Oracles, sentimens de Plutarque », etc. Évidemment l'auteur de la Methode ne parle pas des Oracles « par occasion » et « tres brièvement ».

encore des fourberies humaines, et ne s'est pû faire si promptement. Cependant il me paroist qu'une question décidée en si peu de paroles, peut estre traitée de nouveau dans toute son étenduë naturelle, sans que le Public ait droit de se plaindre de sla repetition; c'est luy remettre en grand ce qu'il n'a encore veu qu'en petit, et tellement en petit, que les objets en estoient quasi imperceptibles.

Ie ne sçay s'il m'est permis d'allonger encore ma Préface par une petite observation sur le stile dont je me suis servy. 10 Il n'est que de conversation; je me suis imaginé que j'entretenois mon Lecteur d'autant plus aisement, qu'il falloit en quelque sorte disputer contre luy, et les matieres que j'avois en main estant le plus souvent assez susceptibles de ridicule, m'ont invité à une maniere d'écrire fort éloignée du sublime. 15 Il me semble qu'il ne faudroit donner dans le Sublime qu'à son corps défendant. Il est si peu naturel ! l'avoue que le stile bas est encore quelque chose de pis; mais il y a un milieu, et mesme plusieurs. C'est ce qui fait l'embaras; on a bien de la peine à prendre juste le ton qu'il faut, et à n'en point

20 sortir.

II j'ay pris cette idée, d'autant plus aisément 1687 veut 1687.

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