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HISTOIRE

DES

ORACLES.

Mon dessein n'est pas de traiter directement l'Histoire des Oracles; je ne me propose que de combattre l'opinion commune qui les attribuë aux Démons, et les fait cesser à la venuë de Jesus-Christ; mais en la combat5 tant, il faudra necessairement que je fasse toute l'Histoire des Oracles, et que j'explique leur origine, leur progrez, les diferentes manieres dont ils se rendoient, et enfin leur décadence, avec la mesme exactitude que si je suivois dans ces matieres l'ordre naturel et histo10 rique.

Il n'est pas surprenant que les effets de la Nature donnent bien de la peine aux Philosophes. Les Principes en sont si bien cachez, que la raison humaine ne peut presque sans témerité songer à les découvrir; mais 15 quand il n'est question que de sçavoir si les Oracles ont pû estre un jeu et un artifice des Prestres Payens, où peut estre la difficulté? Nous qui sommes hommes, ne sçavons-nous pas bien jusqu'à quel point d'autres hommes

13 si cachés 1707.

ont pû estre ou Imposteurs, ou Dupes? Sur tout, quand il n'est question que de sçavoir en quel temps les Oracles ont cessé, d'où peut naistre le moindre sujet de douter? Tous les Livres sont pleins d'Oracles. Voyons en quel 5 temps ont esté rendus les derniers dont nous ayons connoissance.

Mais nous n'avons garde de permettre que la décision des choses soit si facile; nous y faisons entrer des préjugez, qui y forment des embarras bien plus grands que 10 ceux qui s'y fussent trouvez naturellement 2, et ces difficultez, qui ne viennent que de nostre part, sont celles dont nous avons nous-mesmes le plus de peine à nous démesler.

L'affaire des Oracles n'en auroit pas, à ce que je croy, 15 de bien considerables, si nous ne les y avions mises. Elle estoit de sa nature une affaire de Religion chez les Payens; elle en est devenue une sans necessité chez les Chrestiens3, et de toutes parts on l'a chargée de préjugez, qui ont obscurcy des veritez fort claires.

1. Il est à peine besoin de le faire remarquer, ces comparaisons scientifiques, et ces principes si nettement méprisants, si pessimistes, ce n'est pas dans Van Dale que Fontenelle les a trouvés. Il ne fait d'ailleurs que se souvenir de ses Dialogues des Morts et de ses Entretiens sur la pluralité des Mondes.

>>

2. Van Dale, 3: « Laudabile enim juxta atque utile mihi videtur, falsas opiniones, ex praejudiciis aut credulitate natas..... profligare. › 3. «Qui a jamais dit le contraire ? Mais n'y a-t'il donc que les articles de la Religion Chrêtienne que l'on doive croire? n'y a-t'il plus de foy humaine parmi les hommes ? sera-t'il desormais permis de rejetter un sentiment approuvé par le consentement de tous les Chrêtiens durant dix-sept siècles, et appuié solidement sur l'Écriture Sainte, quoyque non proposé comme article de foy, sans se rendre au moins coupable d'une très grande témerité? » Baltus,Suite, 10.- Mais alors pourquoi, si souvent et avec une solennité si voisine de l'emphase, parle-t-il de «l'avantage que les Deffenseurs de la Religion Chrêtienne tirerent du silence miraculeux des Oracles, pour confondre l'idolatrie et établir la vérité du Christ » ? Et surtout pourquoi a-t-il écrit la Réponse dont la première page résume si complètement son esprit et sa manière qu'on nous permettra de la citer ici?

<< Il est certain que l'établissement de la Religion Chrêtienne, qui a

J'avoüe que les préjugez ne sont pas communs d'euxmesmes à la vraye et aux fausses Religions. Ils regnent necessairement dans les fausses Religions, qui ne sont l'ouvrage que de l'esprit humain, mais dans la vraye, qui 5 est un ouvrage de Dieu seul, il ne s'y en trouveroit jamais aucun, si ce mesme esprit humain pouvoit s'empêcher d'y toucher, et d'y mesler quelque chose du sien. Tout ce qu'il y ajoûte de nouveau, que seroit-ce que préjugez sans fondement ? Il n'est pas capable d'ajoûter 10 rien de réel et de solide à l'Ouvrage de Dieu 1.

3 dans celles qui 1687.

des

esté si admirable dans toutes ses circonstances, ne s'est point fait sans un grand nombre de miracles extraordinaires, par lesquels Dieu a fait connoitre évidemment qu'il en estoit l'Auteur..... Or, entre tous ces miracles qui ont accompagné l'établissement du Christianisme sur les ruïnes de l'idolatrie, il n'y en a guère eû de plus éclatant, ny qui ait plus étonné les Payens, que le silence de leurs Oracles. Comme ils n'avoient rien dans leur fausse religion de plus merveilleux ny de plus divin en apparence que ces Oracles: rien de plus magnifique ny de plus fameux que les temples où ils estoient établis rien de plus surprenant que les guérisons que l'on y recevoit en songe, et que les prédictions des faux Prophétes, qui y paroissoient inspirez par leurs fausses Divinitez; rien aussi ne leur causa plus d'étonnement, que lorsqu'ils virent qu'à mesure que JESUS-Christ estoit reconnu et adoré dans le monde, toutes ces prétendues merveilles cessoient par tout: que leur Esculape ne guérissoit plus les malades qui alloient dormir dans son temple: que les faux Prophétes de leur Apollon ne prédisoient plus l'avenir: En un mot, que toutes leurs Divinitez ne donnoient plus comme auparavant des marques sensibles de leur présence.

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<< Plusieurs d'entre eux reconnurent en cet événement le doigt de Dieu et le pouvoir de JESUS-Christ sur leurs idoles, qu'ils abandonnerent pour embrasser le Christianisme.» Préface, 1-4. Cf. aussi le début de la Troisième partie de la Réponse (248-250): « Avouez la vérité, Monsieur............. », qui n'est pas moins significatif.

1. Van Dale, et pour cause, prenait moins de précautions, et surtout, il ne leur donnait pas cette importance, et ne les exprimait pas avec cette netteté. Cependant, nous l'avons vu dans notre Introduction, tous ces ménagements faillirent ne servir de rien à Fontenelle. . Cf. Van Dale, I : « Etiamsi res... controversae, in hanc aut illam partem acceptae, minimè faciant stabiliendae aut destruendae Doctrinae Euangelicae. » Voir encore 12-17.

Cependant ces préjugez qui entrent dans la vraye Religion, trouvent, pour ainsi dire, le moyen de se faire confondre avec elle, et de s'attirer un respect qui n'est

deu qu'à elle seule. On n'ose les attaquer, de peur d'at5 taquer en même temps quelque chose de sacré 1. Je ne reproche point cet excés de Religion à ceux qui en sont capables, au contraire je les en loüe, mais enfin quelque loüable que soit cet excés, on ne peut disconvenir que le juste milieu ne vaille encore mieux, et qu'il ne soit plus. 10 raisonnable de démêler l'Erreur d'avec la Verité, que de respecter l'Erreur mêlée avec la Verité 2.

1. « Quicunque praeconceptas vulgi Opiniones, praesertim jam per aliquot secula inveteratas adeóque in errores conversas ferè catholicos, convellere, nedum extirpare, student, credula ac superstitiosa multitudine, aut pro incredulis et irreligiosis, aut (quod pejùs est, ac facillime tamen accidit) pro hostibus atque oppugnatoribus Christianae Religionis habentur etiamsi res ab ipsis controversae, in hanc aut illam partem acceptae minimè faciant stabiliendae aut destruendae Doctrinae Euangelica; modo pro talibus ab ipsis teneantur. Nimirum in hujusmodi rebus, quo quis minus judicio praeditus sit, eó magis superstitiosus est: quò magis superstitiosus, eó religiosiorem se credit; atque exinde quoque putat se debere patrocinari quaecunque à quocunque, seu bene, seu male, confirmandae suae Opinioni afferuntur. » Van Dale, 1. — Il n'hésite pas cependant à publier son livre, « opusculum ingenuum videlicet atque innocuum, ac praejudiciis Religioni verè noxiis occurrendis fixum». Ibid. Praefatio ad lectorem, 1.

2. << Haec de Oraculis tractatio est, fateor, res invidiae plena, nec carens odio adversariorum. Nemo enim sese opponens Opinioni inveteratae, atque adeo penè catholicae, ita evicit ut plurimorum, nedum omne punctum tulerit, licet armatus solidissimis simul et acutissimis armis. At ingenui hominis generosique animi est veritatem defendere propter veritatem: neque pati se duci alicujus auctoritate contra apertam rationem : Veritatem defendere in honorem Doctrinae veritatis, hoc est, Euangelicae vereque Christianae; quam Sanctus Paulus divino Spiritu ductus Rationalem appellavit Religionem; quae nullis nec fuco nec fraude opus habet; sed propriâ se vi ac virtute sat abunde defendit. >> Van Dale, 17. Cf. aussi 183 et 225.

Bayle avait déjà dit (Nouvelles de la République des Lettres, mars 1684), en rendant compte du livre de Van Dale: « Il n'y a point de prescription contre la vérité : les erreurs pour être vieilles, n'en sont pas meilleures : et il seroit indigne du nom Chrétien d'appuyer la plus sainte, et la plus auguste de toutes les veritez sur une tradition erronée. Non seulement cela seroit indigne du nom Chrétien, mais aussi d'une dangereuse conséquence, sur tout dans un siecle philosophe comme

Le Christianisme a toûjours esté par luy-mesme en estat de se passer de fausses preuves, mais il y est encore presentement plus que jamais, par les soins que de grands Hommes de ce Siecle ont pris de l'établir sur ses 5 veritables fondemens, avec plus de force que les Anciens n'avoient jamais fait. Nous devons estre remplis sur nostre Religion d'une juste confiance, qui nous fasse rejetter de faux avantages, qu'un autre Party que le nostre pourroit ne pas negliger1.

celui où nous vivons, parce qu'un esprit qui demande des preuves solides, et qui verroit qu'on lui en donneroit de fausses, et qu'on les soutiendroit jusques au bout, se formeroit une idée desavantageuse de la crédulité, et de la préoccupation des Chrétiens. Ainsi c'est rendre plus de service que l'on ne pense à la Religion, que de réfuter les faussetez qui semblent la favoriser. Les Pères de l'Eglise n'ont pas été assez délicats dans le choix des preuves: ils ont trop donné dans le principe de la bonne intention, et peut-être que leurs adversaires n'étant pas aussi éclairez qu'on l'est aujourd'hui, ne méritoient pas qu'on y allât avec tant d'exactitude. Quoi qu'il en soit, c'est à nous qui vivons dans un siecle plus éclairé, à separer le bon grain d'avec la paille, je veux dire, à renoncer aux fausses raisons, pour ne nous attacher qu'aux preuves solides de la Religion Chrétienne, que nous avons en abondance. »

Ces principes et ces préoccupations, il est à peine besoin de le faire remarquer, ne sont pas ceux du père Baltus; et rien ne le montre mieux que le début de la Troisième partie de sa Réponse (248). << Avouez la verité, Monsieur, n'avez-vous pas senti quelque répugnance en travaillant dans vôtre seconde Dissertation, à prouver que les Oracles n'avoient point cessé à la venue du Sauveur du Monde?» En effet, «< il est rude à un Chrêtien de se voir obligé de diminuer la gloire de celuy qu'il reconnoit pour son Dieu; et de dissimuler contre son inclination, que c'est à luy qu'il doit le bonheur qu'il a d'estre délivré des tenebres du Paganisme et de la tyrannie du démon. - Vous me direz peut-estre que vous avez crû devoir sacrifier toutes ces répugnances à la vérité, qui doit l'emporter sur toute sorte de considerations. LE PRÉTEXTE EST SPÉCIEUX... ». Il suffit de lire Baltus pour en être convaincu, mais l'aveu n'est pas à négliger. Inutile d'ajouter que le père jésuite se targue quelque part (Reponse, Préface, 20) de n'avoir pas eu «< d'autre dessein que de rechercher sincérement la vérité », et qu'il le répète solennellement encore dans sa conclusion (373-374).

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1. Van Dale pense aussi (3) qu'il faut rejeter toutes ces « fausses preuves », « eo quod semper infelicem talia habeant successum ; ac veritatem Doctrinae et Religionis Christianae apud irreligiosos homines (qui talia si ingenii sint acuti, facile odorantur), adhuc magis reddant suspectam ». Mais c'est Fontenelle seul qui a eu l'idée de parler des grands apologistes << de ce siècle ». On ne pourrait pousser plus loin l'esprit de prudence et de précaution.

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