Page images
PDF
EPUB

Sur ce pied-là, j'avance hardiment que les Oracles, de quelque nature qu'ils ayent esté, n'ont point esté rendus par les Demons, et qu'ils n'ont point cessé à la venuë de Jesus-Christ1. Chacun de ces deux Points merite bien 5 une Dissertation.

1. « Quae tractantur ibi... sunt, I. Oracula praetensa Ethnicorum (verè Divina enim, ac quorum mentio in Sacra Scriptura; sive ea per insomnia Divinitus piis Patribus ac Prophetis immissa, sive aliter data fuerint, minimè hic atingo: nec verè sacra profanis veritatemve mendaciis immiscendam, profanandamque duco) ad minimum ad Theodosium majorem imò et nonnulla ulterius durationis suae terminos extendisse. II. Eadem praetensa Oracula non ulla vi supernaturali, Daemonumve aut Diabolorum præternaturalibus artibus. Sed meris solummodo constitisse praestigiis et imposturis Pythiarum, Prophetarum, atque Antistitum Ethnicorum, qui Templis Fatidicis, aliisve Oraculis aut Sortibus, praeerant: neque ejusmodi impostores ullis aliis ad illa adminiculis opus habuisse. » Van Dale, Praefatio ad Lectorem, 1-2. Nous avons dit plus haut que, dans son édition de 1700, Van Dale adopta le plan de Fontenelle.

PREMIERE DISSERTATION.

Que les Oracles n'ont point esté rendus par les Demons.

Il est constant qu'il y a des Demons, des Genies malfaisans, et condamnez à des tourmens éternels 1. La 5 Religion nous l'aprend, la raison nous apprend ensuite que ces Demons ont pû animer des Statues, et rendre des Oracles, si Dieu le leur a permis; il n'est question que de sçavoir s'ils ont receu de Dieu cette permission 2. ont pu rendre des Oracles 1742.

1. Van Dale, 201: « Fatemur... fuisse, et sub veteri et sub Novo Testamento, et esse adhuc malignos spiritus; eosque per Christum ejusque Apostolos corporibus obsessorum ejectos. Non propterea tamen concedimus artes illas... ulla vi praeternaturali fuisse effectas : aut Diabolum aut ejus praetensas praestigias hîc locum ullum habuisse.»Van Dale commence sa Seconde dissertation par une espèce de petite préface, et il en donne la raison : « Haec autem praeveniendis praejudiciis, sive ex malignitate natis, quasi per talem agendi scribendive modum, indirectè licet, tollere velim Daemonum, seu Diabolorum, existentiam ; adeôque à latere ita infligere vulnus Religioni nostrae Christianae... » 183. La fameuse Relation de l'Isle de Borneo, et les suites qu'elle faillit avoir, avaient appris à Fontenelle à se précautionner.

:

2. C'est, aux yeux de Baltus, une des erreurs capitales de Fontenelle avoir cru que les démons rendaient leurs oracles par des statues, et non point par les prêtres des idoles ! Quelle imprudence en effet, et quelle faute! Et comme le bon Père la souligne ! Avec quel plaisir il cite, pour la plus grande confusion de son adversaire, Lactance, Athénagore, Minutius Felix, Tertullien ! Et comme il montre volontiers que c'est un système ruineux que celui qui a de pareils fondements! Leclerc lui fait observer (Bibliothèque choisie, XIII, 207) que l'erreur, ou plutôt la confusion, n'a peut-être pas une importance capitale ; qu'assurément Fontenelle << entend les faux dieux considerez non pas tant dans leurs

[ocr errors]

Ce n'est donc qu'un Point de fait dont il s'agit; et comme ce Point de fait a uniquement dépendu de la volonté de Dieu, il estoit de nature à nous devoir estre revelé, si la connoissance nous en eust esté necessaire. Mais l'Ecriture Sainte ne nous apprend en aucune maniere que les Oracles ayent esté rendus par des Demons, et dés lors nous sommes en liberté de prendre party sur cette matiere ; elle est du nombre de celles que la Sagesse Divine a jugées assez indiferentes pour les 10 abandonner à nos disputes.

Cependant les avis ne sont point partagez; tout le monde tient qu'il y a eu quelque chose de surnaturel

Statues, qu'en eux-mêmes », et qu'« on ne peut pas soupçonner un aussi habile homme de ne savoir pas que la plupart des Oracles ne se rendoient que par des Prêtres, ou par des Prêtresses, parce que c'est une chose trop connue»: « Je serois fâché, répond simplement Baltus (Suite, 123), d'avoir attribué à Mr. de Fontenelle un sentiment qu'il n'auroit jamais eû je puis dire que j'ai été religieux sur ce point autant qu'on le peut estre et que souvent j'ay mieux aimé dissimuler plusieurs choses qu'il a dites dans son livre que de les relever, comme je le pouvois, et comme quelques-uns même croyoient que je le devois faire, parce que j'ay toûjours appréhendé de le chicaner mal-à-propos et de ne pas juger assez favorablement de ses sentimens » ; mais ici l'erreur était trop claire, trop manifeste, trop répétée !.... On verra dans la suite, et surtout au chap. XII, le parti que Baltus a tiré, ou cru tirer, de l'erreur prétendue de Fontenelle. question était trop importante pour ne pas être traitée à fond: Baltus y est revenu (Suite, 354-380) et il a trouvé jusqu'à sept raisons pour prouver que les oracles n'ont pas été rendus par la bouche des statues, mais par celle des prêtres. Après cela, il espère « que les personnes de mérite qui en ont douté, et qui lui ont fait même quelques objections sur ce sujet, demeureront parfaitement satisfaites ». Encore en 1711, Fontenelle avait laissé subsister le texte primitif.

--

La

I. « Sacram Scripturam nihil tale quid nos de Ethnicorum Oraculis docere. » Van Dale, Préface, 18. Van Dale, 184: « Sufficiat igitur in hisce nobis Sacra Scriptura: neque ita obstrictos nos teneamus antiquis, ut non liceat dissentire ab ipsis circa illa, quae aut nulli satis solido superstructa rationis aut traditionis fundamento, nedum Sacrae Scripturae, aut gratis, aut sine praevio ac debito examine, assumpserunt. »> Il serait d'ailleurs difficile d'être plus modeste que Van Dale. « Unusquisque pro captu aut judicio, judicet de meis sive rationibus sive citationibus, prout ipsi aequum bonumve visum fuerit. Quod si meliora circa hanc materiam me docere potuerit, neque id facere ingenue ac modestè dedignatus fuerit, habebit me facilem atque obsequentem ; nec dedecori mihi reputabo, si abjectis propriis armis, dedisse

dans les Oracles. D'où vient cela? La raison en est bien aisée à trouver pour ce qui regarde le temps present. On a cru dans les premiers Siecles du Christianisme, que les Oracles estoient rendus par des Demons, il ne nous 5 en faut pas davantage pour le croire aujourd'huy. Tout ce qu'ont dit les Anciens, soit bon, soit mauvais, est. sujet à estre bien repeté, et ce qu'ils n'ont pû eux-mesmes prouver par des raisons suffisantes, se prouve à present par leur autorité seule. S'ils ont préveu cela, ils ont bien

manus, et ut transfuga in aliena castra transvolasse, existimer. » Le P. Baltus aurait bien fait de méditer ces lignes et de s'en inspirer un peu plus souvent.

1. « Num Diabolus fuerit Oraculorum auctor aut in totum, aut pro parte saltem, à nemine fere in dubium vocatur. Omnes enim primitivae Ecclesiae scriptores, Omnes (nullo pene excepto) posteriores, id asserunt. » Van Dale, 2-3. Cf. cependant la légère restriction qu'il apporte à cette idée dans sa Préface, p. 17: « Non omnes igitur Ethnici, imo nec omnes Christianae primitivae Ecclesiae, existimarunt ea praeternaturali ulla Daemonum Diabolorumve patratu praestigiisve fuisse peracta. Perpauci fuerunt fateor inter Christianos: at fuisse tam ex Origine quam Clemente Alexandrino patet. Quare verba illa mea, pag. 2 et 3. Dissertationis primae: Omnes enim... asserunt. Ita corrigenda, ut parenthesis illa (nullo pene excepto) ad primitivae Ecclesiae Scriptores retrahenda sit ac si etiam alibi affero omnes primitivae Ecclesiae Scriptores in illa fuisse sententiâ, Clementem et Originem exceptos volo. » — Et c'est justement ce consentement universel qui, d'après Baltus, devrait persuader Fontenelle. Il ose cependant être d'un avis tout opposé! « Vous soûtenez ce sentiment quoyque vous reconnoissiez qu'il est entierement contraire, non seulement à ce que les peuples idolâtres et la pluspart des Philosophes en ont crû; mais encore à ce que tous les Peres de l'Eglise, tous les Auteurs Ecclesiastiques et tous les Chrêtiens en ont pensé jusques à present. Mais bien loin que cette opposition si générale vous effraie, vous vous en faites honneur, et vous témoignez dans vostre Préface que vous seriez faché qu'un autre eût enlevé à vostre ouvrage la gloire de la nouveauté du Paradoxe. C'est là un effet de ce courage dont vous parlez dans vostre digression sur les Anciens et sur les Modernes, et qui vous porte, comme vous le dites, à vous exposer sans crainte, pour l'intérêt de la verité à la critique de tous les autres. Il faut en effet avoir bien du courage pour s'opposer au sentiment de tout le monde, et encore plus pour attaquer, non pas quelques Poëtes ou quelques Orateurs payens; mais tout ce qu'il y a de plus sçavant et de plus respectable dans toute l'antiquité Chrétienne; et pour entreprendre de faire passer les Peres de l'Eglise pour des gens qui raisonnoient mal, et qui avançoient souvent bien des choses qu'ils ne pouvoient prouver par des raisons suffisantes. » P. 7-9.

fait de ne se pas donner toûjours la peine de raisonner si

exactement 1.

Mais pourquoy tous les premiers Chrestiens ont-ils cru que les Oracles avoient quelque chose de surnaturel? 5 Recherchons-en presentement les raisons; nous verrons ensuite si elles estoient assez solides.

CHAPITRE I 2.

Premiere Raison, pourquoy les anciens Chrestiens ont crû que les Oracles estoient rendus par les Demons. Les Histoires

1. Sur le même sujet, Van Dale est plus explicite, et son analyse, plus détaillée, est aussi plus exacte. Cf. p. 2 et 3.- << Je vous avoue que je ne reconnois point dans ce discours ni un Chrêtien sçavant tel que vous estes, qui doit à ce qu'il me semble, connoître un peu mieux les Peres de l'Eglise, et avoir plus de respect pour leur autoritė; ni un zelé partisan des Modernes que vous élevez beaucoup au dessus des Anciens pour ce qui regarde la justesse et la précision du raisonnement; et que je vois neanmoins icy accusez fort universellement de répéter sans discernement les mauvaises choses que les Anciens ont avancé sans preuve. » Baltus, Réponse, 9.

2. On ne saurait mieux montrer les «< changements >> heureux que Fontenelle fait subir à Van Dale, et l'ordre qu'il met dans la confusion du savant hollandais, qu'en indiquant la suite des idées dans les vingt-cinq premières pages du De Oraculis.

Chercher à réfuter des erreurs universellement accréditées, c'est passer pour un ennemi du Christianisme; on reste donc volontiers attaché à ses préjugés, malgré les inconvénients de cette pratique, 1-2; c'est ainsi que dans la question des oracles, où la religion n'est nullement intéressée, tout le monde est d'accord ou à peu près, pour découvrir du surnaturel; mais personne n'en donne des preuves; il faut rejeter ces prétendus secours qu'on apporte à la religion chrétienne, 3. Le moyen, en effet, de croire que des oracles païens ont mieux connu les circonstances de la naissance et de la vie du Christ, que les prophètes eux-mêmes? 4. Pures inventions et supercheries que tous ces Apocryphes, qui n'ont fait que ridiculiser le Christianisme aux yeux des Païens, 5. Et cependant Justin, Clément d'Alexandrie, Lactance n'ont pas craint de se servir du témoignage d'Hermès Trismegiste et d'Hystaspe, qui n'ont jamais existé, 6. Il y a donc des cas où on ne doit pas s'en rapporter aux affirmations des grands hommes, 8. Ces prédictions relatives au Christ ne sauraient être l'œuvre des Démons, 8. Mais de grands savants

[ocr errors]
« PreviousContinue »