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TROISIÈME LEÇON.

DE LA MÉTHODE AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

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Scholastique.

Sujet de cette leçon: De la méthode philosophique au dix-huitième siècle. - De la méthode. Ses deux procédés nécessaires, analyse et synthèse. Histoire. Orient. Grèce. Philosophie moderne. Bacon et Descartes. Dix-septième siècle. Début de la méthode. Dix-huitième siècle. Triomphe de la méthode dans son premier principe, l'analyse. 1o Le dix-huitième siècle généralise ce principe et l'élève à toute sa rigueur. 2o Ille répand partout. Condillac. Reid. Kant: même méthode. 3° Il en fait une puissance. - Le bien. Le mal. - Différence de la position du dix-huitième siècle et du dix-neuvième.

J'ai dû commencer par mettre sous vos yeux le dixhuitième siècle avec tous ses éléments essentiels, et vous faire saisir son caractère le plus général. De là j'ai pu déduire le caractère de la philosophie du dixnuitième siècle; et comme d'abord le dix-huitième siècle nous avait paru la dernière lutte de l'esprit nouveau contre l'esprit du moyen âge, la philosophie de ce siècle ne pouvait être que la victoire définitive de l'esprit de liberté sur le principe de l'ancienne autorité. La plus haute indépendance de la raison humaine, tel est le trait distinctif de la philosophie du dix-huitième siècle, telle est l'unité de cette philosophie. Il s'agit de

descendre de cette unité à la variété qu'elle contient, de rechercher les systèmes nombreux et divers qu'embrasse le dix-huitième siècle. Mais, avant d'entrer dans cette recherche, il en est une autre encore qui doit précéder, il est un point intermédiaire sur lequel je veux appeler votre attention.

On ne connaît bien un ensemble de systèmes, ou un système particulier, qu'après l'avoir étudié sous trois points de vue différents, après l'avoir soumis à trois épreuves. Ce qu'il faut avant tout demander à un système, c'est son caractère le plus général, s'il est ou s'il n'est pas un système philosophique, s'il appartient ou s'il n'appartient pas à la libre réflexion qui, pouvant le rejeter ou l'admettre, l'a admis par ce seul motif qu'il lui a plu de l'admettre, sur la foi de la vérité qui était ou qui paraissait en lui, et par la seule autorité de la raison. Voilà d'abord ce qu'il faut demander à un système; c'est aussi ce que nous avons demandé à la philosophie du dix-huitième siècle. Il est trop clair aussi qu'on ne connaît pas un système si on ne connaît pas les solutions spéciales qu'il donne des divers problèmes philosophiques, si on ne connaît pas sa logique, sa métaphysique, sa morale, sa théodicée, sa politique, etc.; c'est là la matière même de toute histoire de la philosophie, et ce sera celle de ce cours sur la philosophie du dix-huitième siècle. Mais s'il importe de connaître les solutions des problèmes philosophiques qu'un système présente, il n'importe pas moins de savoir comment et par quelle route, c'est-à-dire par quelle méthode l'auteur de ce système est arrivé à ces solutions. C'est là

d'ailleurs, c'est dans la méthode qu'est essentiellement le génie d'un système, et un système n'est guère qu'une méthode en action, une méthode appliquée. On peut toujours, étant donné un système, remonter à la méthode qui a dû y conduire; ou, une méthode étant donnée, prédire le système qui sortira de son application rigoureuse. Mettez une méthode dans le monde, vous y mettez un système que l'avenir se chargera de développer. Entre un système et sa méthode, il y a presque la relation de l'effet à la cause: c'est donc à cette cause qu'il faut s'élever d'abord pour dominer tout le système. Voilà pourquoi, après vous avoir exposé le caractère de la philosophie du dix-huitième siècle, et avant d'entrer dans l'examen des divers systèmes qu'elle a produits, il est nécessaire de reconnaître la méthode ou les méthodes qu'elle a employées, et qui sont les principes mêmes des systèmes que nous aurons à examiner un jour. La méthode philosophique qui a régné au dixhuitième siècle, tel sera donc et tel doit être le sujet de cette leçon.

Qu'est-ce que la méthode philosophique du dix-huitième siècle? Quels sont les rapports de cette méthode à celle des siècles précédents? en quoi lui ressemble-t-elle, en quoi en diffère-t-elle? Elle lui ressemble en ce qu'elle la continue; elle en diffère en ce qu'elle la continue sur une plus grande échelle.

Et quelle est cette méthode qui remplit et mesure de ses progrès le seizième, le dix-septième et le dix-huitième siècle, c'est-à-dire toute la philosophie moderne? Est-elle particulière à la philosophie moderne, ou lui

est-elle antérieure, et a-t-elle des racines profondes dans la nature même de la philosophie? N'est-elle pas née avec elle, et ne l'a-t-elle pas accompagnée dans toutes ses vicissitudes? C'est là ce qu'il s'agit de reconnaître. Ainsi, vous le voyez, comme la seconde leçon n'était qu'une contre-épreuve de la première, de même cette troisième leçon ne sera qu'un développement de la seconde : même marche et même conclusion.

Nous avons distingué deux moments dans la pensée, deux modes essentiels, deux formes fondamentales, la spontanéité et la réflexion. Suivons cette distinction féconde.

Vous le savez nos facultés entrent en exercice par la vertu qui est en elles, et non par notre volonté propre, et elles y entrent toutes simultanément. Il ne faut pas croire que la raison prend l'initiative, et atteint seule et abstractivement le vrai, le juste, le beau en soi; non; la sensibilité accompagne au moins la raison, et introduit dans l'âme, avec la sensation, l'impression du monde extérieur. Bientôt l'imagination se met de la partie, et vivifie ce tableau ; le cœur aussi entre en jeu, et ajoute au tableau primitif de nouveaux traits. Tout cela se fait en même temps, ou à peu près en même temps. Mais si tout se passe d'abord sans la participation de notre volonté, rien ne se fait à notre insu; et l'action de nos facultés se redouble dans la conscience. Nous ne sentons pas seulement, mais nous savons que nous sentons; nous n'agissons pas seulement, mais nous savons que nous agissons; nous ne pen

sons pas seulement, mais nous savons que nous pensons; jusque-là que penser sans savoir qu'on pense, c'est comme si on ne pensait pas, et que la qualité propre, l'attribut essentiel de la pensée est d'avoir connaissance d'elle-même 1. La conscience est cette lumière intérieure qui éclaire tout ce qui se passe dans l'âme; elle accompagne l'exercice de toutes nos facultés, elle est pour ainsi dire leur retentissement in`térieur. D'où il suit que, comme toutes nos facultés agissent d'abord simultanément, et confusément par conséquent, la conscience, qui en est le témoin, le miroir en quelque sorte, est, à son tour, très-complexe, confuse, indistincte.

Quand je dis que toutes nos facultés se développent ensemble, je me trompe, j'oublie que la plus élevée de toutes, ou du moins celle qui est la plus inhérente à la personnalité humaine, intervient la dernière : cette faculté est la réflexion, dont le caractère propre est la liberté. La réflexion ne crée rien, et ne peut rien créer; tout préexiste à la réflexion dans la conscience, mais tout y préexiste confusément, ainsi que nous l'avons dit; c'est l'œuvre de la réflexion, en s'ajoutant à la conscience, d'y éclaircir ce qui était obscur, d'y développer ce qui était enveloppé. La réflexion est à la conscience ce que le microscope et le télescope sont à la simple vue ni l'un ni l'autre de ces instruments ne fait et ne change les objets; mais en les examinant sous toutes leurs faces, en les pénétrant dans leurs

Sur la conscience comme la forme nécessaire de la pensée, voyez l'INTRODUCTION A L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE, leçon v, p. 96, et la note.

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