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vage et du commandement par droit de nature, et qui ressemble un peu trop à la théorie du droit divin1.

Enfin, dans ses vues historiques, Aristote ne vante jamais le passé. Nul emploi des formes mythologiques; jamais un appel, jamais une allusion favorable aux religions connues et à celle de son pays et de son temps2. Son indépendance ressemble au mépris ou à une absolue indifférence. Il ne faut pas oublier qu'il a créé presque la prose didactique; car autant la majesté et la grâce dominent dans le style de Platon, autant la rigueur et la précision dominent dans celui d'Aristote. Mais, comme il s'est trouvé un critique pour reprocher à Platon, dans quelques endroits, un peu de luxe poétique, on peut aussi quelquefois reprocher à Aristote une grande sécheresse. Si l'un abuse de l'abstraction et de la généralisation, l'autre à son tour abuse de ce talent de décomposition à l'infini qui, s'exerçant à la fois sur les idées et sur leurs signes (car Aristote avait trèsbien vu leur influence), aboutit quelquefois à une subti

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1 Nous renvoyons pour un jugement plus étendu et plus approfondi sur la politique d'Aristote à l'argument des Lois, t. VII de notre traduction de Platon.

Simplic. ad Aristot. Categor., édit. princ., Venetiis, 1499, fol. 4; et edit. Basil., 1551, fol. 2 : Οὐ μὲν οὐδὲ μύθοις οὐδὲ συμβολικοῖς αἰνίγμασιν, ὡς τῶν πρὸ αὐτοῦ τινές, Αριστοτέλης ἐχρήσατο.

3 Denys d'Halicarnasse.

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Il y a dans les ouvrages authentiques d'Aristote des passages d'une mâle simplicité et d'une sobre élégance que le vrai goût doit placer très-haut, par exemple, des chapitres de la Politique, des pages nombreuses des Morales, et dans la Métaphysique tout le premier livre, écrit de main de maître, et qui nous paraît un modèle de style philosophique, grave sans pédanterie, concis sans obscurité, et semé à propos de traits ingénieux.

lité excessive, et réduit tout méthodiquement en une poussière imperceptible; tandis que Platon, alors même qu'il s'égare dans les cieux, est toujours entouré de brillants nuages.

Tels sont, bien rapidement mais fidèlement représentés1, les deux grands génies, ou plutôt les deux grands

1 En terminant cette imparfaite esquisse de la philosophie de Platon et de celle d'Aristote, indiquons aux lecteurs instruits sans être hellénistes les traductions modernes où ils peuvent étudier les monuments immortels laissés par ces deux grands hommes.

Il y a quatre traductions complètes des œuvres de Platon. La plus ancienne est en italien par Dardi Bembo, en cinq petits volumes in-12, Venise, 1601, réimprimés en 1742, en trois volumes in-4°, à Venise, avec les arguments et les notes de Serranus, l'auteur de la version latine employée par H. Étienne dans sa magnifique édition de Platon en trois volumes in-folio, 1578. La traduction du gentilhomme vénitien est faite avec soin et d'un style agréable. Au commencement du dix-neuvième siècle, Thomas Taylor publia à Londres, en 1804, une traduction anglaise de Platon en cinq beaux volumes in-4°, avec une introduction générale et des introductions particulières. La partie de cette traduction qui est empruntée à Sydenham est fort estimable, mais celle qui appartient à Taylor mérite moins de confiance, et les introductions et les notes sont imbues de l'esprit néoplatonicien qui n'est pas toujours l'esprit de Platon. La traduction allemande de Schleiermacher, dont cinq volumes ont paru de 1804 à 1828, et qui comprend aussi une introduction générale et des introductions particulières, est un travail d'un tout autre ordre : c'est un chef-d'œuvre de critique qui a ouvert une ère nouvelle pour l'intelligence historique et philosophique de Platon; malheureusement il est inachevé. Notre traduction, en treize volumes, de 1823 à 1840, laisse beaucoup à désirer sans doute, mais peut-être tient-elle une assez juste balance entre une élégance infidèle et une exactitude à ce point littérale qu'elle est souvent équivoque et obscure. Nous en préparons une seconde édition qui présentera les dialogues dans un ordre meilleur, ajoutera quelques arguments nouveaux, réformera quelquefois et perfectionnera les anciens.

Aristote a été moins heureux que Platon. Nous n'en connaissons qu'une seule traduction complète, celle de Thomas Taylor en onze volumes in-4°, de 1801 à 1812. Ce nouveau et gigantesque labeur du savant anglais deit imprimer le respect et désarmer le critique. M. B. Saint

systèmes que produisit presque en même temps la phi losophie grecque en ses beaux jours, dans son âge de vigueur, de maturité et de sagesse; et déjà ces deux systèmes contiennent le sensualisme et l'idéalisme en des limites raisonnables.

Hilaire, qui embrasse si heureusement dans ses études la philosophie indienne et la philosophie grecque, a entrepris une traduction d'Aristote qu'il poursuit avec un talent égal à sa persévérance: dix volumes en ont déjà paru.

HUITIEME LEÇON.

PHILOSOPHIE GRECQUE. SES DÉVELOPPEMENTS ET SA FIN

L'école platonicienne et l'école péripatéticienne inclinent de plus en plus à l'idéalisme et au sensualisme - L'épicuréisme et le stoïcisme bien plus encore. Lutte des deux systèmes.

Scepticisme. Première école sceptique, née de l'idéalisme : Nouvelle Académiei. Seconde école sceptique, née du sensualisme : Ænésidème et Sextus. - Retour du besoin de savoir et de croire : mysticisme. École d'Alexandrie. Sa théodicée. Sa psychologie. Extase.

Théurgie.

Fin de la philosophie grecque.

Vous avez vu Platon et Aristote, presque au sortir des mains de Socrate, encore tout pénétrés de son esprit et de sa méthode, diviser d'abord la philosophie grecque en deux grands systèmes qui, bien que retenus en de sages limites par le génie plein de bon sens de ces deux grands hommes, inclinent pourtant vers l'idéalisme et vers le sensualisme, et se rapportent davantage, l'un à l'école ionienne, l'autre à l'école pythagoricienne. Une analyse sans doute imparfaite a dû vous en convaincre ; mais si cette analyse ne vous suffisait pas, vous pouvez consulter un dialecticien bien autrement sûr que moi, le temps, l'histoire, qui sait tirer infailliblement des principes qu'on lui confie les conséquences qu'ils recè

lent, et qui éclaire ces principes de la lumière de leurs conséquences. Je vous ai dit que le système d'Aristote se rapportait davantage au sensualisme ionien, et le système de Platon à l'idéalisme pythagoricien. Interrogeons les faits et l'histoire. Qu'a fait des principes de Platon l'école platonicienne? qu'a fait des principes d'Aristote l'école péripatéticienne?

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Après la mort de Platon, cinq hommes soutiennent à l'Académie la philosophie platonicienne avec talent et avec fidélité. La fidélité est ici précieuse à constater, et un très-bon juge l'atteste. Eh bien ! quel caractère a pris le platonisme entre les mains de ces disciples si fidèles à leur maître, et surtout du plus illustre, Xénocrate? Je lis dans Aristote que Xénocrate définit l'àme un nombre qui se meut lui-même, définition pythagoricienne; et Cicéron déclare que Xénocrate séparait tellement l'âme du corps, qu'il était difficile de dire ce qu'il en faisait. Enfin, en morale ce même Cicéron nous apprend que Xénocrate exagérait la vertu et déprimait tout le reste. Voilà donc l'Académie devenue presque ouvertement idéaliste et pythagori

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1 Speusipe, Xénocrate, Polémon, Cratès et Crantor.

2 Cicéron, Academ., 1, 9. Speusipus et Xenocrates, qui primi Platonis << rationem auctoritatemque susceperunt, et post hos Polemon et Cra<< tes unaque Crantor in Academia congregati diligenter ea quæ a su<< perioribus acceperant, tuebantur. >>

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Aca

Arist., de l'Ame, 1, 2. Cicéron dit la même chose, Tusc., 1, 10. Cicéron, Academ., 1, 11. « Expertem... corporis animam. » — dem., 11, 59: « Mentem quoque sine ullo corpore, quod intelligi quale << sit vix potest. >>

5 Tusc., v, 18. « Exaggerabat virtutem, extenuabat cætera et abjicie

<< bat1. >>

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