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en Suisse et dans les pays du Nord, les Lièvres deviennent blancs pendant l'hiver, et reprennent, pendant l'été, leur couleur ordinaire. Le froid occasionne cette blancheur, à la faveur de laquelle ils échappent aux Oiseaux de proie, qui ne les voient pas sur la neige. Paisibles pendant le jour, la nuit est pour eux le temps des promenades, des danses et des amours. C'est un plaisir de les voir au clair de la lune jouer ensemble, courir les uns après les autres; mais inquiets, défians et peureux par nature, le moindre mouvement, le bruit d'une feuille les alarme, et suffit pour les mettre en fuite.

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe? Vers devenu proverbe. « Je crois qu'il est impossible de mêler plus rapidement le récit et la réflexion: et c'est ainsi qu'écrit toujours La Fontaine ». ( M. de la Harpe, Eloge de La Fontaine.) Témoins les autres exemples qu'en fournit cette même fable.

(2) Jamais un plaisir pur. Comparez à ce monologue celui du Bûcheron, dans la fable 16e. du Ier. Livre. Ce sont les mêmes idées; mais les sentimens et l'expression en sont aussi différens les personnages. La misère et la peur rendent bien également malheureux; mais par des causes et des résultats divers. La Fontaine, selon le précepte d'Horace, sait parfaitement assortir le langage au caractère :

que

Reddere personis scit convenientia quæque.

Il y a ici un mélange de sérieux et de comique qui donne à la situation du Lièvre un intérêt vraiment dramatique.

(3) Il étoit douteux. Cet adjectif ne s'applique qu'aux choses, et non aux personnes. Cela est douteux; on ne dira point je suis douteux.

(4) Une ombre, un souffle un rien, tout lui donnoit la fièvre, Gradation pleine de vérité et de naturel. La Fontaine en a bien senti le mérite; car il l'a répètée dans son excellente fable des Deux Amis:

Un songe, un rien, tout lui fait peur,

Quand il s'agit de ce qu'il aime.

(Liv. VIII. fab. 11.)

(5) Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes ;

Grenouilles de rentrer dans leurs grottes profondes. Ces vers ont été cités cent fois, et le seront toutes les fois que l'on cherchera des exemples d'un style léger, naïf, élégant.

(6) Oh! dit-il, j'en fais faire autant

Qu'on m'en fait faire. Cette répétition seroit vicieuse dans un style noble et soutenu : elle ne l'est point dans le langage familier. Ma présence est emphatique: il lui suffit de se montrer; c'est Achille dont l'aspect met en fuite l'armée troyenne.

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(7) Effraie aussi les gens ! Les gens: c'est bien plus que de faire peur à des animaux.

(8) Je mets l'alarme au camp, donne l'idée d'un ennemi terrible, entreprenant. Analysez chacune de ces expressions, vous y découvrez un trait de génie.

(9) Et d'où me vient cette vaillance? Il s'en étonne lui-même, comme on s'étonne d'un prodige. Vaillance, terme chevaleresque : il est bien plus noble que valeur.

(10) Comment! des animaux qui tremblent devant moi! C'est l'orgueil d'un vainqueur contemplant ses trophées.

(11) Je suis donc un foudre de guerre? Ce Lièvre qui tout-àl'heure avoit pcur d'une ombre, et qui se croit tout-à-coup devenu terrible comme la foudre dans les mains d'un guerrier, dans celles d'un Dieu irrité, forme un contraste aussi piquant qu'inattendu. Malherbe :

Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,
D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre.

(Paraphr. du Ps. 145.)

FABLE X V.

Le Coq et le Renard.

(Avant La Fontaine). GRECS. Esope, fab. 36.

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ITAL. Luig.

Le Pogge, Facetiæ, p. 441.- FRANÇAIS, Marie (Ysopet, fable du Renard et du Pigeon manusc. du 13e. siècle ). · Grillo, fav. 65.

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SUR la branche d'un arbre étoit en sentinelle
Un vieux Coq adroit et matois.

Frère, dit un Renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle ;

Paix générale cette fois.

Je viens te l'annoncer; descends

que je t'embrasse:

Ne me retarde point, de grace;

Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer :
Les tiens et toi pouvez vaquer,
Sans nulle crainte, à vos affaires :
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir (1);
Et cependant viens recevoir

Le baiser d'amour fraternelle.
Ami, reprit le Coq, je ne pouvois jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle,
Que celle

De cette paix :

Et ce m'est une double joie

De la tenir de toi. Je vois deux lévriers,

Qui, je m'assure (2), sont couriers,
Que pour ce sujet on envoie.

Ils vont vîte, et seront dans un moment à nous. Je descends: nous pourrons nous entrebaiser tous. Adieu, dit le Renard, ma traite est longue à faire : Nous nous réjouirons du succès de l'affaire

Une autre fois. Le galant aussitôt

Tire ses gregues, gagne au haut (3),
Mal content de son stratagême;

Et notre vieux Coq (4), en soi-même,
Se mit à rire de sa peur;

Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.

(Depuis La Fontaine). ANGLOIs. Dryden, Conte dans le Spectat. Anglois, T. VI. pag. 302 (traduct. franç.). — LATINS. Car. Le Beau, Carmina, pag. 13. FRANÇAIS. Benserade, f. 77% Fables en chansons, L. I.'fab. 16. Florian, L. IV. fab. 2.

NOTES D'HISTOIRE NATURELLE.

LE COQ. V. L. I. fab. 20. LE RENARD. Ibid. f. 2, LEVRIER, une des espèces de Chiens nommés ainsi, de l'usage où l'on est de s'en servir particulièrement à la chasse du Lièvre.

OBSERVATIONS DIVERSES.

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Le Pogge ajoute à la réponse du Cóq ce nouveau dialogue. « Le Coq Eh! la paix n'est-elle pas faite entre les animaux ? Le Renard: Peut-être que les deux Chiens n'en savent pas encore la nouvelle». Jacques l'Enfant, qui a publié le Poggiana, voudroit que La Fontaine n'eût pas omis cette répartie du Renard fugitif, comme ayant, dit-il, beaucoup de sel. Cela est vrai; mais elle étend la morale de la fable bien au-delà du but du poète, et par-là devient inutile. Ce n'est pas un combat d'esprit qu'il a voulu rendre, mais une leçon qu'il donne aux trompeurs.

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(1) Faites-en les feux. Feux de joie, illuminations.

(2) Je m'assure. Il pouvoit mettre : j'en suis sûr.

(3) Tire ses grègues, ou ses chausses, faire retraite. Expression tirée du langage burlesque et familier. Régnier avoit dit:

Ses grègues aux genoux, au coude son pourpoint.
(Satyre II. vers 45.)

On croit que ce mot vient des chausses à la grecque.
(4) Et notre vieux Coq. Comme il dira plus bas :
C'étoit un vieux routier; il savoit plus d'un tour.

FABLE XVI.

Le Corbeau voulant imiter l'Aigle.

( Avant La Fontaine). GRECS. Esope, fab. 207. Gabrias, f. 25. Aphtone, 19.

L'OISEAU de Jupiter (1) enlevant un mouton,
Un Corbeau témoin de l'affaire,

Et plus foible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l'heure autant faire.

Il tourne à l'entour du troupeau (2),

Marque entre cent Moutons, le plus gros, le plus beau, Un vrai Mouton de sacrifice:

On l'avoit réservé pour la bouche des Dieux (3).
Gaillard Corbeau disoit, en le couvant des yeux :
Je ne sais qui fut ta nourrice,

Mais ton corps me paroît en merveilleux état ;
Tu me serviras de pâture.

Sur l'animal bêlant, à ces mots, il s'abat (4).
La moutonnière créature

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