Page images
PDF
EPUB

fruit; & l'on ne peut douter que

fi

l'article le eût été inventé, il n'eût dit le beau fruit! j'ai faim: je mangerois volontiers icelui, ou icelui je mangerois volontiers. L'article le ou icelui n'eft dans cette occafion & dans toutes les femblables, qu'un figne employé pour défigner le retour de l'ame fur un objet qui l'avoit antérieurement occupée; & l'invention de ce figne eft, ce me femble, une preuve de la marche didactique de l'efprit.

N'allez pas me faire des difficultés fur le lieu que ce figne occuperoit dans la phrase, en fuivant l'ordre naturel des vues de l'efprit. Car quoi. que tous ces jugemens, le beau fruit! j'ai faim, je mangerois volontiers icelui, foient rendus chacun par deux ou trois expreffions, ils ne fuppofent tous qu'une feule vue de l'ame; celui du milieu

j'ai faim, fe rend en latin par le feul mot efurio. Le fruit & la qualité s'apperçoivent en même-temps; & quand un Latin difoit efurio, il croyoit ne rendre qu'une feule idée. Je mangerois volontiers icelui, ne font que des modes d'une feule fenfation. Je, marque la perfonne qui l'éprouve; mangerois, le défir & la nature de la fenfation éprouvée; volontiers, fon intenfité ou fa force; icelui, la présence de l'objet défiré; mais la fenfation n'a point dans l'ame ce développement fucceffif du difcours; & fi elle pouvoit commander à vingt bouches, chaque bouche difant fon mot, toutes les idées précédentes feroient rendues à la fois; c'est ce qu'elle exécuteroit à merveille fur un clavecin oculaire, file fyftême de mon muet étoit inf titué, & que chaque couleur fût l'élé

ment d'un mot. Aucune langue n'ap procheroit de la rapidité de celle-ci. Mais au défaut de plufieurs bouches voici ce qu'on a fait on a attaché plufieurs idées à une feule expreffion; fi ces expreffions énergiques étoient plus fréquentes, au lieu que la langue fe traîne fans ceffe après l'efprit, la quantité d'idées rendues à la fois pourroit être telle que la langue allant plus vîte que l'efprit, il feroit forcé de courir après elle. Que deviendroit alors l'inverfion qui fuppofe décompofition des mouvemens fimultanés de l'ame, & multitude d'expreffions? Quoique nous n'ayons gueres de ces termes qui équivalent à un long difcours, ne fuffit-il pas que nous en ayons quelques-uns, que le grec & le latin en fourmillent, & qu'ils foient employés

& compris fur le champ, pour vous convaincre que l'ame éprouve une foule de perceptions, finon à la fois, du moins avec une rapidité fi tumultueuse, qu'il n'eft gueres poffible d'en découvrir la loi.

Si j'avois affaire à quelqu'un qui n'eût pas encore la facilité de faifir des idées abftraites, je lui mettrois ce fyftême de l'entendement humain en relief, & je lui dirois : Monfieur, confidérez l'homme automate comme une horloge ambulante ; que le cœur en repréfente le grand reffort, & que les parties contenues dans la poitrine foient les autres pieces principales du mouvement. Imaginez dans la tête un timbre garni de petits marteaux, d'où partent une multitude infinie de fils qui fe terminent à tous les points de la boîte élevez fur ce timbre une

de ces petites figures dont nous ornons le haut de nos pendules, qu'elle ait l'oreille penchée comme un Muficien qui écouteroit fi fon-inftrument eft bien accordé; cette petite figure fera lame. Si plufieurs des petits cordons font tirés dans le même instant, le timbre fera frappé de plufieurs coups, & la petite figure entendra plu fieurs fons à la fois. Suppofez qu'entre ces cordons il y en ait certains qui foient toujours tirés; comme nous ne nous fommes affurés du bruit qui fe fait le jour à Paris que par le filencè de la nuit, il y aura en nous des fenfations qui nous échapperont fouvent par leur continuité; telle fera celle de notre existence. L'ame ne s'en apperçoit que par un retour fur elle-même, fur-tout dans l'état de fanté. Quand on fe porte bien, aucune partie du

« PreviousContinue »