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comme fi telle eût été fa nature, il n'eût point regardé autour de lui » pour découvrir fi quelqu'être veil»loit à fa confervation, ou travailloit » à lui nuire. Que c'eft le paffage al»ternatif de l'un à l'autre de ces » états qui l'a fait réfléchir, &... Croyez-vous, Madame, qu'en defcendant de perceptions claires en perceptions claires, (car c'eft la maniere de philofopher de l'Auteur, & la bonne,) il fût jamais parvenu à cette conclufion. Il n'en eft pas du bonheur & du malheur ainfi que des ténebres & de la lumiere; l'un ne confifte pas dans une privation pure & fimple de l'autre. Peut-être euffions-nous affuré que le bonheur ne nous étoit pas moins effentiel que l'existence & la pensée, fi nous en euffions joui fans aucune altération; mais je n'en peux

pas

dire autant du malheur. Il eût été très-naturel de le regarder comme un état forcé de fe fentir innocent, de fe croire pourtant coupable, & d'accufer ou d'excufer la nature tout comme on fait.

M. l'Abbé de Condillac penfe-t-il qu'un enfant ne se plaigne quand il fouffre, que parce qu'il n'a pas fouffert fans relâche depuis qu'il eft au monde? S'il me répond, « qu'exifter » & fouffrir ce feroit la même chofe » pour celui qui auroit toujours fouffert, & qu'il n'imagineroit pas qu'on pût fufpendre fa douleur, » fans détruire fon exiftence »; peutêtre, lui répliquerai-je, l'homme malheureux fans interruption n'eût pas dit, qu'ai-je fait pour fouffrir? mais qui l'eût empêché de dire, qu'ai-je exifter? cependant je ne vois

fait pour

pas pourquoi il n'eût point eu les deux verbes fynonymes, j'exifte & je fouffre, l'un pour la profe & l'autre pour la poéfie; comme nous avons les deux expreffions, je vis & je refpire. Au refte, vous remarquerez mieux que moi, Madame, que cet endroit de M. l'Abbé de Condillac eft très-parfaitement écrit ; & je crains bien que vous ne difiez, en comparant ma critique avec fa réflexion, que vous aimez mieux encore une erreur de Monta gne, qu'une vérité de Charon.

Et toujours des écarts, me direz vous ! Oui, Madame, c'est la condition de notre traité. Voici maintenant mon opinion fur les deux queftions précédentes: Je penfe que la premiere fois que les yeux de l'aveugle né s'ouvriront à la lumiere, il n'appercevra rien du tout, qu'il faudra quelque

temps à fon ceil pour s'expérimenter; mais qu'il s'expérimentera de lui-même & fans le fecours du toucher, & qu'il parviendra non-feulement à diftinguer les couleurs, mais à difcerner au moins les limites groffieres des ob jets. Voyons à préfent fi, dans la fuppofition qu'il acquît cette aptitude dans un temps fort court, ou qu'il l'obtînt en agitant fes yeux dans les ténebres où l'on auroit eu l'attention de l'enfermer & de l'exhorter à cet exercice, pen. dant quelque temps après l'opération & avant les expériences; voyons, dis-je, s'il reconnoîtroit à la vue les corps qu'il auroit touchés, & s'il seroit en état de leur donner les noms qui leur conviennent; c'eft la derniere queftion qui me refte à réfoudre.

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qui vous plaife, puifque vous aimez la méthode, je diftinguerai plufieurs fortes de perfonnes fur lefquelles les expériences peuvent fe tenter. Si ce font des perfonnes groffieres, fans éducation, fans connoiffances, & non préparées, je pense que, quand l'opération de la cataracte aura par faitement détruit le vice de l'organe & que l'oeil fera fain, les objets s'y peindront très-diftinctement; mais que ces perfonnes n'étant habituées à aucune forte de raifonnement, ne

fachant ce que c'eft que fenfation, idée; n'étant point en état de comparer les repréfentations qu'elles ont reçues par le toucher, avec celles qui leur viennent par les yeux, elles prononceront, voilà un rond, voilà un quarré, fans qu'il y ait de fond à faire fur leur jugement; ou même elles

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