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du foleil, occafionnoient une altération affez fenfible dans l'action des rayons fur fon vifage, pour lui marquer les momens favorables ou contraires aux obfervations. Vous croirez peut-être qu'il fe faifoit dans fes yeux quelqu'ébranlement capable de l'avertir de la présence de la lumiere, mais non de celle des objets; & je l'aurois cru comme vous, s'il n'étoit certain que Saunderfon étoit privé non-feulement de la vue, mais de l'organe.

Saunderfon voyoit donc par la peau; cette enveloppe étoit donc en lui d'une fenfibilité fi exquife, qu'on peut affurer qu'avec un peu d'habitude, il feroit parvenu à reconnoître un de fes amis, dont un Deffinateur lui auroit tracé le portrait fur la main, & qu'il auroit prononcé fur la fucceffion des fenfations excitées par le

crayon;

crayon; c'est Monfieur un tel. Il y a donc auffi une peinture pour les aveugles; celle à qui leur propre peau ferviroit de toile. Ces idées font fi peu chimériques, que je ne doute point que fi quelqu'un vous traçoit fur la main la petite bouche de M... vous ne la reconnuffiez fur le champ : convenez cependant, que cela feroit plus facile encore à un aveugle né qu'à vous, malgré l'habitude que vous avez de la voir & de la trouver charmante. Car il entre dans votre jugement deux ou trois chofes, la comparaifon de la peinture qui s'en feroit fur votre main, avec celle qui s'en eft faite dans le fond de votre oil; la mémoire de la maniere dont on eft affecté des chofes que l'on fent, & de celle dont on eft affecté par les chofes qu'on s'eft contenté

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de voir & d'admirer; enfin l'applica tion de ces données, à la question qui vous eft propofée par un Deffinateur qui vous demande fur la peau de votre main, avec la pointe de fon crayon, à qui appartient la bouche que je deffine? au lieu que la fomme des fenfations excitées par une bouche fur la main d'un aveugle, eft la même que la fomme des fenfations fucceffives, réveillées par le crayon du Deffinateur qui la lui représente.

Je pourrois ajouter à l'hiftoire de l'aveugle du Puifeaux & de Saunderfon, celle de Didyme d'Alexandrie, d'Eufebe l'Afiatique, de Nicaife de Mechlin, & de quelques autres qui ont paru fi fort élevés au-deffus du refte des hommes, avec un fens de moins ; que les Poëtes auroient pu feindre fans exagération, que les

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Dieux jaloux les en priverent, de peur d'avoir des égaux parmi les mortels. Car qu'étoit-ce que ce Tiréfie qui avoit lu dans les fecrets des Dieux & qui poffédoit le don de prédire l'avenir, qu'un Philofophe aveugle dont la Fable nous a confervé la mémoire? Mais ne nous éloignons plus de Saunderfon, & fuivons cet homme extraordinaire jusqu'au tombeau.

Lorfqu'il fut fur le point de mourir, on appella auprès de lui un Miniftre fort habile, M. Gervaife Holmes: ils eurent ensemble un entretien fur l'exiftence de Dieu, dont il nous refte quelques fragmens que je vous traduirai de mon mieux, car ils en valent bien la peine. Le Ministre commença -par lui objecter les merveilles de la -nature: « Eh! Monfieur, lui difoit le

Philofophe aveugle, laiffez-là tout

» ce beau fpectacle qui n'a jamais été » fait pour moi. J'ai été condamné à » paffer ma vie dans les ténebres, & » vous me citez des prodiges que je » n'entends point, & qui ne prou» vent que pour vous & que pour » ceux qui voient comme vous. Si » vous voulez que je croie en Dieu, » il faut que vous me le faffiez tou» cher.

Monfieur, reprit habilement le Mi niftre, portez les mains fur vous-même, & vous rencontrerez la Divinité dans le mécanifme admirable de vos organes.

M. Holmes, reprit Saunderfon; »je vous le répete; tout cela n'est » pas auffi beau pour moi que pour » vous. Mais le mécanisme animal fût» il auffi parfait que vous le préten

dez, & que je veux bien le croire,

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