Page images
PDF
EPUB

Mais qu'entendez-vous par des expreffions heureufes, me demanderezvous peut-être ? Je vous répondrai, Madame, que ce font celles qui font propres à un fens, au toucher par exemple, & qui font métaphoriques en même-temps à un autre fens, comme aux yeux; d'où il réfulte une double lumiere pour celui à qui l'on parle; la lumiere vraie & directe de l'expreffion, & la lumiere réfléchie de la métaphore. Il est évident que dans ces occafions Saunderfon, avec tout l'efprit qu'il avoit, ne s'entendoit qu'à moitié; puifqu'il n'appercevoit que la moitié des idées attachées aux termes qu'il employoit. Mais qui eft-ce qui n'eft pas de temps en temps dans le

même cas? cet accident eft commun aux idiots, qui font quelquefois d'excellentes plaifanteries, & aux per

fonnes qui ont le plus d'efprit, à qui il échappe une fottife, fans que ni les uns ni les autres s'en apperçoivent.

J'ai remarqué que la difette de mots produifoit auffi le même effet fur les étrangers à qui la langue n'eft pas encore familiere; ils font forcés de tout dire avec une très-petite quantité de termes, ce qui les contraint d'en pla cer quelques-uns très-heureufement. Mais toute langue en général étant pauvre de mots propres pour les Ecrivains qui ont l'imagination vive, ils font dans le même cas que les étran gers qui ont beaucoup d'efprit; les fituations qu'ils inventent, les nuances délicates qu'ils apperçoivent dans les caracteres, la naïveté des peintu res qu'ils ont à faire, les écartent à tout moment des façons de parler ordinaires, & leur font adopter des

tours de phrafes qui font admirables toutes les fois qu'ils ne font ni précieux ni obfcurs, défauts qu'on leur pardonne plus ou moins difficilement, felon qu'on a plus d'efprit foi-même & moins de connoiffance de la langue. Voilà pourquoi M. de M... est de tous les Auteurs François celui qui plaît le plus aux Anglois, & Tacite celui de tous les Auteurs latins que les Penfeurs eftiment davantage. Les licences de langage nous échappent, & la vérité des termes nous frappe feule.

Saunderfon profeffa les Mathématiques dans l'Univerfité de Cambridge avec un fuccès étonnant. Il donna des leçons d'optique, il prononça des difcours fur la nature de la lumiere & des couleurs, il expliqua la théorie de la vifion, il traita des effets des

verres, des phénomenes de l'arc-enciel, & de plufieurs autres matieres relatives à la vue & à son organe.

Ces chofes perdront beaucoup de leur merveilleux, fi vous confidérez, Madame, qu'il y a trois chofes à diftinguer dans toute queftion mêlée de Phyfique & de Géométrie; le phéno. méne à expliquer les fuppofitions du Géometre, & le calcul qui réfulte des fuppofitions. Or il eft évident que, quelle que foit la pénétration d'un aveugle, les phénomènes de la lumiere & des couleurs lui font inconnus. Il entendra les fuppofitions, parce qu'elles font toutes relatives à des caufes palpables; mais nullement la raifon que le Géometre avoit de les préférer à d'autres ; car il faudroit qu'il pût comparer les fuppofitions mêmes avec les phénomenes. L'aveugle prend

donc les fuppofitions pour ce qu'on les lui donne; un rayon de lumiere, pour un fil élaftique & mince, ou pour une fuite de petits corps qui viennent frapper nos yeux avec une vîteffe incroyable; & il calcule en conféquence. Le paffage de la Phyfique à la Géométrie eft franchi, & la queftion devient purement mathématique.

Mais que devons-nous penfer des résultats du calcul? 1°. Qu'il eft quelquefois de la derniere difficulté de les obtenir; & qu'en vain un Phyficien feroit très-heureux à imaginer les hypothefes les plus conformes à la nature, s'il ne favoit les faire valoir par la Géométrie auffi les plus grands Phyficiens, Galilée, Defcartes, Newton, ont-ils été grands Géometres. 2o. Que ces résultats font plus ou

« PreviousContinue »