nous. Nos fens nous ramenent à des fignes plus analogues à l'étendue de notre efprit & à la conformation de

nos organes: nous avons même fait enforte que ces fignes puffent être communs entre nous, & qu'ils ferviffent, pour ainsi dire, d'entrepôt au commerce mutuel de nos idées. Nous en avons inftitué pour les yeux, ce font les caracteres; pour l'oreille, ce font les fons articulés ; mais nous n'en avons aucun pour le toucher, quoiqu'il ait une maniere propre de parler à ce fens, & d'en obtenir des réponses. Faute de cette langue, la communication eft entiérement rompue entre nous & ceux qui naiffent fourds, aveugles & muets. Ils croiffent, mais ils reftent dans un état d'imbécillité. Peut-être acquerroient-ils des idées, fi l'on fe faifoit entendre à eux dès

y

l'enfance, d'une maniere fixe, déterminée, constante & uniforme; en un mot, fi on leur traçoit fur la main les mêmes caracteres que nous traçons fur le papier, & que la même fignifi

cation leur demeurât invariablement attachée.

Ce langage, Madame, ne vous paroît-il pas auffi commode qu'un autre? n'eft-il pas même tout inventé ? & oferiez-vous nous affurer qu'on ne vous a jamais rien fait entendre de cette maniere? Il ne s'agit donc que de le fixer, & d'en faire une Grammaire & des Dictionnaires; fi l'on trouve que l'expreffion par les caracteres ordinaires de l'écriture foit trop lente pour ce fens.

Les connoiffances ont trois portes pour entrer dans notre ame; & nous en tenons une barricadée par le défaut

de fignes. Si l'on eût négligé les deux autres, nous en ferions réduits à la condition des animaux : de même que nous n'avons que le ferré pour nous faire entendre au fens du toucher, nous n'aurions que le cri pour parler à l'oreille. Madame, il faut manquer d'un fens pour connoître les avantages des fymboles deftinés à ceux qui reftent; & des gens qui auroient le malheur d'être fourds, aveugles & muets, ou qui viendroient à perdre ces trois fens par quelqu'accident, feroient bien charmés qu'il y eût une langue nette & précise pour le toucher.

Il est bien plus court d'ufer de sym boles tout inventés, que d'en être inventeur, comme on y eft forcé, lorf qu'on eft pris au dépourvu. Quel avantage n'eût-ce pas été pour Saun;

derfon de trouver une arithmétique palpable toute préparée à l'âge de cinq ans, au lieu d'avoir à l'imaginer à l'âge de vingt-cinq? Ce Saunderfon, Madame, eft un autre aveugle dont il ne fera pas hors de hors de propos de

vous entretenir. On en raconte des prodiges; & il n'y en a aucun que fes progrès dans les Belles-Lettres, & fon habileté dans les Sciences mathé matiques ne puiffent rendre croyable.

La même machine lui fervoit pour les calculs algébriques, & pour la defcription des figures rectilignes. Vous ne feriez pas fâchée qu'on vous en fît l'explication, pourvu que vous fuffiez en état de l'entendre; & vous allez voir qu'elle ne fuppofe aucune connoiffance que vous n'ayez, & qu'elle vous feroit très-utile, s'il vous prenoit jamais envie de faire de longs calculs à tâtons.

Imaginez un quarré tel que vous le voyez planche 2, divifé en quatre parties égales, par des lignes perpendiculaires aux côtés, en forte qu'il vous offrît les neuf points 1, 2, 3, 4,5,6,7,8,9. Suppofez ce quarré percé de neuf trous capables de recevoir des épingles de deux efpeces, toutes de même longueur & de même groffeur, mais les unes à tête un peu plus groffe que les autres.

Les épingles à groffe tête ne fe plaçoient jamais qu'au centre du quarré; celles à petite tête, jamais que fur les côtés, excepté dans un feul cas, celui du zéro. Le zéro se marquoit par une épingle à groffe tête, placée au centre du petit quarré, fans qu'il y eût aucune autre épingle fur les côtés. Le chiffre étoit repréfenté par une épingle à petite tête, placée au centre