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mez les yeux; féparez vos doigts; examinez immédiatement après cette féparation ce qui fe paffe en vous, & dites-moi fi la fenfation ne dure pas long-temps après que la compreffion a ceffé; fi pendant que la compreffion dure, votre ame vous paroît plus dans votre tête qu'à l'extrémité de vos doigts; & fi cette compreffion ne vous donne pas la notion d'une furface, par l'efpace qu'occupe la fenfation. Nous ne diftinguons la préfence des êtres hors de nous, de leur représentation dans notre imagination , que par la force & la foibleffe de l'impreffion: pareillement, l'aveugle né ne difcerne la sensation d'avec la préfence réelle d'un objet à l'extré mité de fon doigt, que par la force ou la foibleffe de la fenfation même.

Si jamais un Philofophe aveugle &

fourd de naiffance fait un homme à l'imitation de celui de Defcartes, j'ofe vous affurer, Madame, qu'il placera l'ame au bout des doigts; car c'eft de là que lui viennent fes principales

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fenfations & toutes fes connoiffances. Et qui l'avertiroit que fa tête eft le fiege de fes penfées ? Si les travaux de l'imagination épuisent la nôtre, c'eft que l'effort que nous faifons pour imaginer, est assez semblable à celui que nous faifons pour appercevoir des objets très-proches ou trèspetits. Mais il n'en fera pas de même de l'Aveugle & Sourd de naiffance: les fenfations qu'il aura prifes par le toucher, feront, pour ainfi dire, le moule de toutes fes idées; & je ne ferois pas furpris qu'après une profonde méditation il eût les doigts auffi fatigués que nous avons la tête. Je ne

craindrois point qu'un Philofophe lui objectât que les nerfs font les causes de nos fenfations, & qu'ils partent tous du cerveau : quand ces deux propofitions feroient auffi démontrées qu'elles le font peu, fur-tout la premiere, il lui fuffiroit de fe faire expliquer tout ce que les Phyficiens ont rêvé là-deffus, pour persister dans fon fentiment.

Mais fi l'imagination d'un aveugle n'eft autre chofe que la faculté de se rappeller & de combiner des fenfa tions de points palpables; & celle d'un homme qui voit, la faculté de se rappeller & de combiner des points vifibles ou colorés ; il s'enfuit que l'aveugle né apperçoit les chofes d'une maniere beaucoup plus abftraite que nous, & que dans les questions de pure spéculation, il eft peut-être moins

fujet à fe tromper. Car l'abstraction ne confifte qu'à féparer par la pensée les qualités fenfibles des corps, ou les unes des autres, ou du corps même qui leur fert de bafe; & l'erreur naît de cette féparation mal faite, ou faite mal à propos; mal faite dans les queftions métaphyfiques, & faite mal à propos dans les questions phyficomathématiques. Un moyen prefque fûr de fe tromper en Métaphyfique, c'eft de ne pas fimplifier affez les objets dont on s'occupe; & un fecret infaillible pour arriver en phyficomathématique, à des résultats défectueux, c'eft de les fuppofer moins compofés qu'ils ne le font.

Il y a une espece d'abstraction dont fi peu d'hommes font capables, qu'elle femble réservée aux intelligences pu res; c'eft celle par laquelle tout fe réduiroit

réduiroit à des unités numériques. Il faut convenir que les réfultats de cette géométrie feroient bien exacts, & fes formules bien générales; car il n'y a point d'objets, foit dans la nature, foit dans le poffible, que ces unités fimples ne puffent représenter des points, des lignes, des furfaces, des folides, des penfées, des idées, des fenfations, & .... fi par hafard c'étoit là le fondement de la doctrine de Pythagore, on pourroit dire de lui qu'il échoua dans fon projet, parce que cette maniere de philofopher eft trop au-deffus de nous, & trop approchante de celle de l'Etre fuprême, qui, felon l'expreflion ingénieufe d'un Géometre Anglois, géométrie perpétuellement dans l'Univers.

L'unité

pure & fimple eft un fym

bole trop vague

& trop général pour Y

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