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ris au païs; ceulx qui naissent des mauvais, en soyent mis hors toutesfois si quelqu'un de ces bannis venoit, par cas d'adventure, à montrer en croissant quelque bonne esperance de soy, qu'on le puisse rappeller; et exiler aussi celuy d'entre les retenus qui montrera peu d'esperance de son adolescence1. I'en veoy qui estudient et glosent leurs almanacs, et nous en alleguent l'auctorité aux choses qui se passent. A tant dire, il fault qu'ils dient et la verité et le mensonge : quis cst enim, qui totum diem iaculans non aliquando collineet? le ne les estime de rien mieulx, pour les veoir tumber en quelque rencontre. Ce seroit plus de certitude, s'il y avoit regle et verité à mentir tousiours: ioinct que personne ne tient registre de leurs mescomptes, d'autant qu'ils sont ordinaires et infinis; et faict on valoir leurs divinations de ce qu'elles sont rares, incroiables, et prodigieuses. Ainsi respondit Diagoras, qui feut surnommé l'athee, estant en la Samothrace, à celuy qui, en luy montrant au temple force vœux et tableaux de ceulx qui avoient eschappé le nauffrage, lui dict: « Eh bien! vous qui pensez que les dieux mettent à nonchaloir les choses humaines, que dictes vous de tant d'hommes sauvez par leur grace?» «Il se faict ainsi, respondit il; ceulx là ne sont pas peincts qui sont demourez noyez, en bien plus grand nombre 3. »

Cicero dict que le seul Xenophanes colophonien, entre touts les philosophes qui ont advoué les dieux, a essayé de desraciner toute sorte de divination 4. D'autant est il moins de merveille si nous avons veu, par fois à leur dommage, aulcunes de nos ames principesques s'arrester à ces vanitez. Ie vouldrois bien avoir recogneu de mes yeulx ces deux merveilles, du livre de Ioachim, abbé calabrois, qui predisoit touts les papes futurs, leurs noms et formes; et celuy de Leon l'empereur, qui predisoit les empereurs et patriarches de Grece.

1 PLATON, République, V, 8, etc., édition de M. Ast, 1844. J. V. L.

Si l'on tire tout le jour, il faut bien que l'on touche quelquefois au but. Cic., de Divin., II, 59.

3 CIC., de Nat. deor., I, 57. C.

4 ID., de Divinat., I, 3. C.

Cecy ay ie recogneu de mes yeulx, qu'ez confusions publicques, les hommes, estonnez de leur fortune, se vont reiectants, comme à toute superstition, à rechercher au ciel les causes et menaces anciennes de leur malheur; et y sont si estrangement heureux de mon temps, qu'ils m'ont persuadé qu'ainsi que c'est un amusement d'esprits aigus et oysifs, ceulx qui sont duicts à cette subtilité de les replier et desnouer, seroyent en touts escripts capables de trouver tout ce qu'ils y demandent mais sur tout leur preste beau ieu le parler obscur, ambigu et fantastique du iargon prophetique, auquel leurs auteurs ne donnent aulcun sens clair, à fin que la posterité y en puisse appliquer de tels qu'il luy plaira.

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Le daimon de Socrates estoit à l'adventure certaine impulsion de volonté, qui se presentoit à luy sans le conseil de son discours en une ame bien espuree, comme la sienne, et preparee par continu exercice de sagesse et de vertu, il est vraysemblable que ces inclinations, quoyque temeraires et indigestes, estoient tousiours importantes et dignes d'estre suyvies. Chacun sent en soy quelque image de telles agitations d'une opinion prompte, vehemente, et fortuite: c'est à moy de leur donner quelque auctorité, qui en donne si peu à nostre prudence; et en ay eu de pareillement foibles en raison, et violentes en persuasion, ou en dissuasion, qui estoient plus ordinaires à Socrates, auxquelles ie me suis laissé emporter si utilement et heureusement, qu'elles pourroient estre iugees tenir quelque chose d'inspiration divine.

CHAPITRE XII.

DE LA CONSTANCE.

La loy de la resolution et de la constance ne porte pas que nous ne nous debvions couvrir, autant qu'il est en nostre puissance, des maulx et inconvenients qui nous menacent,

De sa raison.

PLATON, Théages. J. V. L.

ny par consequent d'avoir peur qu'ils nous surprennent : au rebours, touts moyens honnestes de se guarantir des maulx, sont non seulement permis, mais louables; et le ieu de la constance se ioue principalement à porter de pied ferme les inconvenients où il n'y a point de remede. De maniere qu'il n'y a souplesse de corps ny mouvement aux armes de main, que nous trouvions mauvais, s'il sert à nous guarantir du coup qu'on nous rue.

Plusieurs nations tresbelliqueuses se servoyent, en leurs faicts d'armes, de la fuyte pour advantage principal, et montroyent le dos à l'ennemy plus dangereusement que leur visage les Turcs en retiennent quelque chose; et Socrates, en Platon, se mocque de Laches qui avoit definy la fortitude, << Se tenir ferme en son reng contre les ennemis. » Quoy, feit il, seroit ce doncques lascheté de les battre en leur faisant place? et luy allegue Homere, qui loue en Aeneas la science de fuir. Et, parce que Laches, se r'advisant, advoue cet usage aux Scythes et enfin generalement à touts gents de cheval, il luy allegue encores l'exemple des gents de pied lacedemoniens, nation sur toutes duicte à combattre de pied ferme, qui, en la iournee de Platees, ne pouvant ouvrir la phalange persienne, s'adviserent de s'escarter et sier' arriere; pour, par l'opinion de leur fuyte, faire rompre et dissouldre cette masse, en les poursuivant; par où ils se donnerent la victoire".

Touchant les Scythes, on dict d'eux, quand Darius alla pour les subiuguer, qu'il manda à leur roy force reproches, pour le veoir tousiours reculant devant luy, et gauchissant la meslee. A quoy Indathyrses3, car ainsi se nommoit il, feit response, «Que ce n'estoit pour avoir peur de luy ny d'homme vivant; mais que c'estoit la façon de marcher de sa nation, n'ayant ny terre cultivee, ny ville, ny maison à deffendre, à craindre que l'ennemy en peust faire proufit: mais s'il avoit si grand'faim d'y mordre, qu'il approchast pour veoir le lieu

Sier, pour se placer, du latin sedere. E. J.

9 PLATON, Lachés, page 488, édit. de Francfort, 1602. J. V. L. 3 Ou Idanthyrse. HERODOTE, IV, 127. J. V. L.

et

de leurs anciennes sepultures, et que là il trouveroit à qui parler tout son saoul. »

Toutesfois aux canonades, depuis qu'on leur est planté en butte, comme les occasions de la guerre portent souvent, il est messeant de s'esbranler pour la menace du coup; d'autant que, par sa violence et vistesse, nous le tenons inevitable; et en y a maint un qui pour avoir ou haulsé la main, ou baissé la teste, en a, pour le moins, appresté à rire à ses compaignons. Si est ce qu'au voyage que l'empereur Charles cinquiesme feit contre nous en Provence, le marquis de Guast estant allé recognoistre la ville d'Arles, et s'estant iecté hors du couvert d'un moulin à vent, à la faveur duquel il s'estoit approché, feut apperçu par les seigneurs de Bonneval et seneschal d'Agenois, qui se pourmenoyent sus le theatre aux arenes: lesquels l'ayant montré au sieur de Villiers, commissaire de l'artillerie, il braqua si à propos une couleuvrine, que sans ce que ledict marquis, veoyant mettre le feu, se lancea à quartier, il feut tenu qu'il en avoit dans le corps1. Et de mesme quelques annees auparavant, Laurent de Medicis, duc d'Urbin, pere de la royne mere du roy', assiegeant Mondolphe, place d'Italie, aux terres qu'on nomme du Vicariat, veoyant mettre le feu à une piece qui le regardoit, bien luy servit de faire la cane; car aultrement le coup, qui ne lui raza que le dessus de la teste, lui donnoit sans doubte dans l'estomach. Pour en dire le vray, ie ne croy pas que ces mouvements se feissent avecques discours; car quel iugement pouvez vous faire de la mire haulte ou basse en chose si soubdaine? et est bien plus aisé à croire que la fortune favorisa leur frayeur; et que ce seroit moyen une aultre fois aussi bien pour se iecter dans le coup, 'que pour l'eviter. Ie ne me puis deffendre, si le bruit esclatant d'une harquebusade vient à me frapper les aureilles à l'improuveu, en lieu où ie ne le deusse pas attendre, que ie n'en tressaille : ce que i'ay veu encores advenir à d'aultres qui valent mieulx que moy.

Mémoires de GUILLAUME DU BELLAY, liv. VII, fol. 342, vers. C.

* Catherine de Médicis, mère de François II, de Charles IX, et de Henri III, alors régnant. J. V. L.

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N'y n'entendent les Stoïciens que l'ame de leur sage puisse resister aux premieres visions et fantasies qui luy surviennent; ains, comme à une subiection naturelle, consentent qu'il cede au grand bruit du ciel ou d'une ruyne, pour exemple, iusques à la pasleur et contraction, ainsin aux aultres passions, pourveu que son opinion demeure saulve et entiere, et que l'assiette de son discours n'en souffre atteinte ny alteration quelconque, et qu'il ne preste nul consentement à son effroy et souffrance. De celuy qui n'est pas sage, il en va de mesme en la premiere partie; mais tout aultrement en la seconde : car l'impression des passions ne demeure pas en luy superficielle, ains va penetrant iusques au siege de sa raison, l'infectant et la corrompant; il iuge selon icelles, et s'y conforme1. Veoyez bien disertement et plainement l'estat du sage stoïque :

Mens immota manet; lacrymæ volvuntur inanes 2.

Le sage peripateticien ne s'exempte pas des perturbations, mais il les modere.

CHAPITRE XIII.

CERIMONIE DE L'ENTREVEUE DES ROYS.

Il n'est subiect si vain qui ne merite un reng en cette rapsodie. A nos regles communes, ce seroit une notable discourtoisie, et à l'endroict d'un pareil, et plus à l'endroict d'un grand, de faillir à vous trouver chez vous quand il vous auroit adverty d'y debvoir venir : voire, adioustoit la royne de Navarre Marguerite à ce propos, que c'estoit incivilité à un gentilhomme de partir de sa maison, comme il se faict le plus souvent, pour aller au devant de celuy qui le vient trouver, pour grand qu'il soit; et qu'il est plus respectueux et civil de

Toutes ces pensées sont presque traduites d'AULU-GELLE ( XIX, 4), qui les avoit traduites lui-même du cinquième livre, aujourd'hui perdu, des Mémoires d'Arrien sur Épictete. J. V. L.

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Il pleure, mais son cœur demeure inébranlable.

VIRG., Énéid., IV, 449, trad. de Delille.

TOME I.

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