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de beaux godelureaux, pour donner envie de leur peau! et je voudrois bien savoir quel ragoût il y a à eux!

HARPAGON.

Pour moi, je n'y en comprends point, et je ne sais pas comment il y a des femmes qui les aiment tant.

FROSINE.

Il faut être folle fieffée. Trouver la jeunesse aimable, est-ce avoir le sens commun? Sont-ce des hommes que de jeunes blondins? et peut-on s'attacher à ces animaux-là ?

HARPAGON.

C'est ce que je dis tous les jours. Avec leur ton de poule laitée, leurs trois petits brins de barbe relevés en barbe de chat, leurs perruques d'étoupes, leurs hauts-de-chausses tout tombants, et leurs estomacs débraillés !....

FROSINE.

Hé! cela est bien bâti auprès d'une personne comme vous! Voilà un homme cela. Il y a de quoi satisfaire à la vue; et c'est ainsi qu'il faut être fait et vêtu pour donner de l'amour.

HARPAGON..

Tu me trouves bien?

FROSINE.

Comment! vous êtes à ravir, et votre figure est à peindre. Tournez-vous un peu, s'il vous plaît. Il ne se peut pas mieux. Que je vous voie marcher. Voilà un corps taillé, libre et dégagé comme il faut, et qui ne marque aucune incommodité.

HARPAGON

Je n'en ai pas de grandes, Dieu merci; il n'y a que ma fluxion qui me prend de temps en temps.

FROSIN E.

Cela n'est rien; votre fluxion ne vous sied point mal, et vous avez grace à tousser.

HARPAGON.

Dis-moi un peu : Mariane ne m'a-t-elle point en

core va? N'a-t-elle point pris garde à moi en passant?

FROSIN E.

Non; mais nous nous sommes fort entretenues de vous je lui ai fait un portrait de votre personne; et je n'ai pas manqué de lui vanter votre mérite, et l'avantage que ce lui seroit d'avoir un mari comme

vous.

HARPAGON.

Tu as bien fait, et je t'en remercie.

FROSINE.

J'aurois, monsieur, une petite priere à vous faire. J'ai un procès que je suis sur le point de perdre, fauté d'un peu d'argent; (Harpagon prend un air sérieux.) et vous pourriez facilement me procurer le gain de ce procès, si vous aviez quelques bontés pour moi... Vous ne sauriez croire le plaisir qu'elle aura de vous voir. (Harpagon reprend un air gai.) Ah! que vous lui plairez! et que votre fraise à l'antiqué fera sur son esprit un effet admirable! Mais sur-tout elle sera charmée de votre haut-de-chausses attaché au pourpoint avec des aiguillettes: c'est pour la rendre folle de vous; et un amant aiguilleté sera pour elle un ragoût merveilleux.

HARPAGON.

Certes, tu me ravis de me dire cela.

FROSINE.

En vérité, monsieur, ce procès m'est d'une conséquence tout-à-fait grande. (Harpagon reprend son air sérieux.) Je suis ruinée si je le perds ; et quelque petite assistance me rétabliroit mes affaires... Je voudrois que vous eussiez vu le ravissement où elle étoit à m'entendre parler de vous. (Harpagon reprend un air gai.) La joie éclatoit dans ses yeux au récit de vos qualités; et je l'ai mise enfin dans une împatience extrême de voir ce mariage entièrement conclu.

HARPAGON.

Tu m'as fait grand plaisir, Frosine; et je t'en ai, je te l'avoue, toutes les obligations du monde.

FROSIN E.

Je vous prie, monsieur, de me donner le petit secours que je vous demande. (Harpagon reprend encore son air sérieux.) Cela me remettra sur pied, et je vous en serai éternellement obligée.

HARPAGON.

Adieu. Je vais achever mes dépêches.

FROSINE.

Je vous assure, monsieur, que vous ne sauriez jamais me soulager dans un plus grand besoin.

HARPAGON.

Je mettrai ordre que mon carrosse soit tout prêt pour vous mener à la foire.

FROSIN E.

Je ne vous importunerois pas si je ne m'y voyois forcée par la nécessité.

HARPAGON.

Et j'aurai soin qu'on soupe de bonne heure pour ne vous point faire malades.

FROSIN E.

Ne me refusez pas la grace dont je vous sollicite. Vous ne sauriez eroire, monsieur, le plaisir que...

HARPAGON.

Je m'en vais. Voilà qu'on m'appelle, Jusqu'á tantôt.
FROSINE, seule.

Que la fievre te serre, chien de vilain, à tous les diables! Le ladre a été ferme à toutes mes attaques. Mais il ne me faut pas pourtant quitter la négociation; et j'ai l'autre côté, en tout cas, d'où je suis as, surée de tirer bonne récompense.

FIN DU SECOND ACTE

ACTE TROISIEME.

SCENE I.

HARPAGON, CLÉANTE, ÉLISE, VALERE; DAME CLAUDE, tenant un balai; MAÎTRE JACQUES, LA MERLUCHE, BRINDAVOINE.

ALLONS,

HARPAGON.

LLONS, venez çà tous, que je vous distribue mes ordres pour tantôt, et regle à chacun son emploi. Approchez, dame Claude; commençons par vous. Bon, vous voilà les armes à la main. Je vous commets au soin de nettoyer par-tout; et, sur-tout, prenez garde de frotter les meubles trop fort, de peur de les user. Outre cela, je vous constitue pendant le souper au gouvernement des bouteilles; et, s'il s'en écarte quelqu'une, et qu'il se casse quelque chose, je m'en prendrai à vous, et le rabattrai sur vos gages. Me JACQUES, à part.

Châtiment politique!

Allez.

HARPAGON, à dame Claude.

SCENE II.

HARPAGON, CLÉANTE, ÉLISE, VALERE, MAÎTRE JACQUES, BRINDAVOINE, LA MERLUCHE.

HARPAGON.

Vous, Brindavoine, et vous, la Merluche, je vous établis dans la charge de rincer les verres, et de donner à boire, mais seulement lorsque l'on aura soif, et

non pas selon la coutume de certains impertinents de laquais qui viennent provoquer les gens, et les faire aviser de boire lorsqu'on n'y songe pas. Attendez qu'on vous en demande plus d'une fois, et vous ressouvenez de porter toujours beaucoup d'eau.

Me JACQUES, à part.

Oui, le vin pur monte à la tête.

LA MERLUCHE.

Quitterons-nous nos souquenilles, monsieur?

HARPAGON.

Oui, quand vous verrez venir les personnes ; et gardez bien de gâter vos habits.

BRINDA VOINE.

Vous savez bien, monsieur, qu'un des devants de mon pourpoint est couvert d'une grande tache de l'huile de la lampe.

LA MERLUCHE.

Et moi, monsieur, que j'ai mon haut-de-chausser tout troué par derriere, et qu'on me voit, révérence parler...

HARPAGON, à la Merluche.

Paix; rangez cela adroitement du côté de la muraille, et présentez toujours le devant au monde. (à Brindavoine, en lui montrant comme il doit mettre son chapeau au devant de son pourpoint pour cacher la tache d'huile.)

Et vous, tenez toujours votre chapeau ainsi, lorsque vous servirez.

SCENE III.

HARPAGON, CLÉANTE, ÉLISE, VALERE, MAITRE JACQUES.

HARPAGON.

Pour vous, ma fille, vous aurez l'œil sur ce que l'on desservira, et prendrez garde qu'il ne s'en fasse

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