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135 Si quelque foi encore agite mon repos,
C'est l'ardeur de louer un fi fameux Héros ;
Ce foin ambitieux me tirant par l'oreille,
La nuit, lorsque je dors, en furfaut me réveille,
Me dit que ces bienfaits, dont j'ofe me vanter,

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Par des Vers immortels ont dû fe mériter. C'eft là le feul chagrin qui trouble encor mon ame. Mais fi dans le beau feu du zele qui m'enflâme, Par un ouvrage enfin des Critiques vainqueur, Je puis, fur ce fujet, fatisfaire mon cœur ; 145 Guilleragues, plains-toi de mon humeur légere, Si jamais entraîné d'une ardeur étrangere, Ou d'un vil intérêt reconnoiffant la loi,

Je cherche mon bonheur autre part que chez moi,

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LA fixieme Epitre fut composée après la septieme,

en l'année 1677. M. Defpréaux étoit allé passer une partie de l'Eté à la Campagne. Il y reçut une Lettre de M. PAvocat-Général de Lamoignon, qui lui reprochoit fa trop longue abfence de Paris, & l'exhortoit d'y revenir promptement. M. Despréaux lui répondit par cette Epitre, dans laquelle il décrit les douceurs dont il jouit à la Campagne, & les chagrins qui l'attendent à la Ville. Horace a traité le même fujet dans une partie de la fixieme Satyre du fecond Livre.

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EPITRE VI.

A M. DELAMO IG NON,

OUI,

AVOCAT-GÉNÉRAL.

UI, Lamoignon, je fuis les chagrins de la Ville, Et contre eux la Campagne eft mon unique afyle. Du lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau ? C'est un petit Village, ou plutôt un Hameau Bâti fur le penchant d'un long rang de collines, D'où l'œil s'égare au loin dans les plaines voifines. La Seine au pied des monts que fon flot vient laver,

REMARQUES.

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VERS 1. Oui, Lamoignon, &c. J Chrétien-François de Lamoignon Avocat-Général) depuis Préfident à Mortier, Fils de Guillaume de Lamoignon, Premier Préfident du Parlement de Paris. DESP.

Il étoit né le 26 de Juin 1644, & mourut le 7 d'Août 1709, après s'être fait admirer fucceffivement dans les charges d'Avocat-Général & de Préfident à Mortier.

VERS 4. C'est un petit Village, &c. J Hautile, petite Seigneurie près de la Roche-Guyon, appartenant à mon Neveu l'illuftre M. Dongois, Greffier en chef du Parle→ ment. DESP.

Dans toutes les Editions il y avoit à la marge: Hautile, proche la Roche-Guyon. Je fis remarquer à l'Auteur cette confonnance vicicufe, proche la Roche, & il la corrigea dans fa derniere Edition de 1701. Hautile eft du côté de Mantes à treize lieues de Paris. La defcription que l'Auteur fait de ce Village & des environs, eft très-exacte & d'après nature. BROSSETTE.

Voit du fein de fes eaux vingt Ifles s'élever.

Qui partageant fon cours en diverses manieres, 10 D'une riviere feule, y forment vingt rivieres. Tous fes bords font couverts de faules non plantés, Et de noyers fouvent du Paffant infultés. Le Village au-deffus forme un amphithéatre. L'Habitant ne connoît ni la chaux, ni le plâtre, Et dans le roc qui cede & fe coupe aisément, Chacun fait de fa main creufer fon logement. La maifon du Seigneur feule un peu plus crnée, Se préfente au-dehors de murs environnée. Le Soleil en naiffant la regarde d'abord: 20 Et le mont la défend des outrages du Nord.

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C'est là, cher Lamoignon, que mon efprit tranquille
Met à profit les jours que la Parque me file.
Ici dans un vallon bornant tous mes defirs,
J'achete à peu de frais de folides plaifirs..

Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies.
J'occupe ma raifon d'utiles rêveries.

Tantôt cherchant la fin d'un Vers que je conftrui,
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avoit fui.

REMARQUES.

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VERS 25. Tantôt un livre en main, &c.] Il s'occupoit alors à la lecture des Effais de Montagne; & c'est pour le caractériser, qu'il dit dans le Vers fuivant :

J'occupe ma raifon d'utiles rêveries.

En effet, Montagne donne lui-même à ses Ecrits le nom de rêveries. Aussi moi, dit-il, je vois mieux que tout autre, que ce font ici des rêveries d'homme, qui n'a goûté des fciences que la croûte premiere. Liv. I, Ch. XXV.

Quelquefois aux appas d'un hameçon perfidé,

30 J'amorce, en badinant, le poiffon trop avide; Ou d'un plomb qui fuit l'oeil, & part avec l'éclair, Je vais faire la guerre aux habitants de l'air. Une table au retour propre & non magnifique Nous préfente un repas agréable & ruftique. 35 Là fans s'affujettir aux dogmes du Brouffain, Tout ce qu'on boit eft bon, tout ce qu'on mange eft fain,

REMARQUES.

VERS 29. Quelquefois aux appas d'un hameçon, &c.] On croit que l'Auteur auroit dû mettre à l'appat. Ce mot ne s'emploie au pluriel, que dans le fens figuré: les appas d'une Belle. BROSSETte.

M. Broffette a raifon. Aux appas d'un Hameçon, eft une vraie faute de Langue. L'ufage veut que l'on dife, l'appât d'un hameçon. C'eft ce que confirme la phrafe proverbiale, mordre à l'appât, qui fe dit auffibien, que mordre à l'hameçon. Mais on ne dit point mordre aux appas. On s'appuie ici d'une phrase proverbiale, parce que ces fortes de phrafes font autorité dans la Langue. Au refte, appât au fingulier s'emploie fort bien dans le fens figuré. Nos Prédicateurs difent tous les jours l'appât trompeur des vanités humaines; l'appât des richeffes. DE ST. MARC.

IMIT. Ibid. Quelquefois aux appas, &c.] M. Broffette veut que ce Vers & le fuivant foient imités de celuici de Martial, Liv. I, Epigr. LVI :

Et pifcem tremulâ falientem ducere fetâ.

VERS 31. Ou d'un plomb qui fuit l'œil, & part avec l'éclair. 1 Le choix des mots, leur fon, & la légéreté du Vers entier, peignent très-bien l'éclat & le prompt effet d'un coup de fufil. Au refte il faut lire: fuit l'oeil, & non pas fuit, comme quelques-uns l'ont cru.

VERS 35.

Aux dogmes du Broussain. }RENÉ BRULART, Comte du Brouain, Fils de Louis Brulart, Sei

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