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Je n'admirois que Toi. Le plaifir de le dire 70 Vint m'apprendre à louer au sein de la Satyre. Et depuis que tes dons font venus m'accabler, Loin de fentir mes Vers avec eux redoubler, Quelquefois, le dirai-je, un remords légitime Au fort de mon ardeur, vient refroidir ma rime. 75 Il me femble, GRAND ROI, dans mes nouveaux écrits, Que mon encens payé n'est plus du même prix. J'ai peur que l'Univers, qui fait ma récompense, N'impute mes transports à ma reconnoiffance; Et que par Tes présents mon Vers décrédité 80 N'ait moins de poids pour Toi dans la Postérité.

Toutefois je fai vaincre un remords qui Te bleffe. Si tout ce qui reçoit des fruits de Ta largeffe, A peindre Tes exploits ne doit point s'engager Qui d'un fi jufte foin fe pourra donc charger ? 85 Ah ! plutôt de nos fons redoublons l'harmonie. Le zele à mon Esprit tiendra lieu de génie. Horace tant de fois dans mes Vers imité,

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REMARQUES.

» mina la difficulté, en difant que la pensée de l'Epitre I, faifoit plus d'honneur au Roi, & que celle de Epitre VIII, en faifoit plus au Poëte. En effet, » difoit M. DESPRÉAUX, la pensée de ma I. Epitre fait plus d'honneur au Roi, parce que je dis que les actions font fi extraordinaires, que pour les rendre croyables à » la postérité, il faudra confirmer le récit de l'Histoire par » le témoignage irreprochable d'un Satyrique. Mais la penfée de l'Epitre VIII, me fait plus d'honneur, parce que j'y fais l'éloge de ma générosité, & du défintéressement » avec lequel je voudrois louer le Roi, de peur que mes louanges ne foient fufpectes de flatterie «. On ne peut que foufcrire à cette décifion. De St. Marc.

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De vapeurs, en fon temps, comme moi tourmenté, Pour amortir le feu de fa rate indocile, 90 Dans l'encre quelquefois fut égayer sa bile. Mais de la même main qui peignit Tullius, Qui d'affronts immortels couvrit Tigellius, Il fut fléchir Glycere, il fut vanter Augufte, Et marquer fur la lyre une cadence jufte. 95 Suivons les pas fameux d'un fi noble Ecrivain. A ces mots quelquefois prenant la lyre en main, Au récit que pour Toi je fuis prêt d'entreprendre, Je croi voir les Rochers accourir pour m'entendre, Et déja mon Vers coule à flots précipités; 100 Quand j'entends le Lecteur qui me crie, Arrêtez.

REMARQUES.

VERS 88. De vapeurs. Ce mot fe doit prendre au fens figuré & fignifie l'humeur chagrine & Satyrique. Dans le temps auquel notre Auteur compofa cette Epitre, on ne connoiffoit de Vapeurs qu'aux femmes; & les hommes ne s'étoient pas encore avifés d'être attaqués de cette indifpofition.

VERS 91.

Tullius. ] Sénateur Romain. César l'exclut du Sénat ; mais il y rentra après fa mort. Desp. Voyez Horace, Liv. I, Sat. VI.

VERS 92.

Tigellius. ] Fameux Muficien, le plus eftimé de fon temps, & fort chéri d'Augufte. DESP. Ed. 1701. Voyez Horace, Liv. I. Sat. III.

VERS 93. Il fut fléchir Glycere, &c.] Sa Maîtreffe. Ode XIX, Liv. I.

VERS 99. Et déja mon Vers coule à flots précipités. ] On ne devine pas pourquoi l'Editeur de 1740, a mis: à pas précipités, au lieu d'à flots précipités, qui fe lit dans toutes les Editions. DE ST. MARC.

Horace eut cent talents: mais la Nature avare
Ne vous a rien donné qu'un peu d'humeur bizarre.
Vous paffez en audace & Perfe & Juvenal:

Mais fur le ton flatteur Pinchêne est votre égal.
105 A ce difcours, GRAND ROI, que pourrois-je répondre?
Je me fens fur ce point trop facile à confondre.
Et fans trop relever des reproches fi vrais,
Je m'arrête à l'inftant, j'admire, & je me tais.

REMARQUES.

VERS 104. Mais fur le ton flatteur Pinchêne eft votre égal. ETIENNE MARTIN, Sieur de Pinchêne, neveu de Voiture. Il avoit fait imprimer un gros Recueil de mauvaises Poéfies, contenant les Eloges du Roi, des Princes

Princeffes de fon Sang, & de toute la Cour. C'est à quoi l'Auteur fait allufion dans cet endroit. Voyez Epitre X, Vers 36; Lutrin, Chant V, Vers 163.

AVIS SUR LA IX. ÉPITRE.

MONSIEUR DESPRÉAUX, après avoir attaqué

fortement l'Erreur & le Menfonge dans beaucoup de fes Ouvrages, ne devoit pas manquer d'en faire un pour infpirer l'amour de la Vérité. C'est dans cette vue qu'il a compofé l'Epitre IX.

Rien n'eft beau que le Vrai: le Vrai feul eft aimable.

Ce Vers explique tout le fujet de cette Piece, dans laquelle l'Auteur a fait briller tout fon génie, en traitant une matiere fi conforme à fes fentiments. C'est ici qu'il a fu de la maniere la plus agréable unir tout le fublime de la Morale à toutes les douceurs de la Poéfie. L'Epitre IX fut compofée au commencement de 1675, avant l'Epitre VIII.

EPITRE

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EPITRE IX.

A MONSIEUR

LE MARQUIS DE SEIGNELAY,

SECRÉTAIRE D'ÉTAT. DANGEREUX Ennemi de tout mauvais Flatteur,

SEIGNELAY, c'eft en vain qu'un ridicule Auteur Prêt à porter ton nom de l'Ebre jufqu'au Gange, Croit te prendre aux filets d'une fotte louange. 5 Auffi-tôt ton Esprit, prompt à fe révolter, S'échappe, & rompt le piege où l'on veut l'arrêter. Il n'en eft pas ainfi de ces Efprits frivoles, Que tout Flatteur endort au fon de fes paroles : Qui dans un vain Sonnet placés au rang des Dieux io Se plaisent à fouler l'Olympe radieux;

REMARQUES.

VERS 2. Seignelay, &c.] Jean-Baptifte Colbert, Miniftre & Secrétaire d'Etat, mort en 1690, Fils de JeanBaptifte Colbert, Miniftre & Secrétaire d'Etat. Des

PRÉAUX.

VERS 3. De l'Ebre jufqu'au Gange. ] (L'Ebre) Riviere d'Espagne. (Le Gange) Riviere des Indes DESP.

L'Auteur fit imprimer ces mots en caracteres différents, pour marquer qu'il frondoit une expreffion, qui, bonne la premiere fois qu'on l'avoit employée, étoit devenue triviale & ridicule par le fréquent usage que les plus mauvais Poëtes en avoient fait. DE ST. MARC. Tome II.

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