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remplacer l'ancienne division provinciale, et contrairement au parti pris par ses collègues de l'extrême droite, il s'opposa à ce que l'assemblée se séparât avant d'avoir voté les lois organiques découlant de la constitution. Sa demande ayant été écartée, il se retira dans sa belle terre de Pescheseul, près Sablé, où il eut bientôt à se défendre contre une action juridique que lui intenta l'infortuné Latude. La Gallissonnière, comme petit-fils de M. Poisson de Malvoisin, parent de la marquise de Pompadour, avait recueilli une très-faible partie des biens de la célèbre courtisane, dont l'opulente succession avait presque entièrement passé au marquis de Marigny, son frère. Quoi qu'il en soit, Latude forma contre la Gallissonnière une demande de dommages-intérêts, et ce dernier, soit qu'il reconnût que sa cause était douteuse, soit qu'il voulût prévenir le scandale qu'aurait infailliblement causé un tel débat, surtout en ce moment, préféra transiger et abandonner à la victime de l'ancienne maîtresse de Louis XV plusieurs métairies dépendant de sa terre de la Guerche, en Saint-Aubin-de-Luigné.

La Gallissonnière, qui n'avait pas voulu suivre le torrent de la première émigration, et qui avait refusé de déserter son poste à l'Assemblée nationale avant l'achèvement de la constitution, se crut dégagé de ses scrupules et de ses serments quand il vit les progrès de la révolution. S'étant rendu à l'armée des princes, il fut l'un des officiers généraux de l'avant-garde qui pénétra en Champagne, en septembre 1792. Licencié à la fin de cette courte campagne, il passa à l'armée de Condé et y servit jusqu'à sa dispersion. Rentré en France en 1801, il fut élu, en 1809, par le département de la Sarthe, député au Corps législatif, et désigné, l'année suivante, comme candidat au Sénat. Réélu en 1811, il devint, en 1814, membre de droit

de la Chambre des députés où, malgré son grand âge, il formula, dans divers discours ou rapports sur l'importation des grains, la dotation de la liste civile, l'organisation de la garde royale, la responsabilité des ministres, la liberté de la presse, etc., des opinions où se retrouvaient la netteté et la dialectique qui caractérisent celles qu'il avait émises en 1789. Louis XVIII, pour le récompenser de son dévouement, l'avait nommé lieutenant-général et grand'croix de Saint-Louis.

Revue du Maine et de l'Anjou, t. iv, livraisons de mars, avril 1855. Moniteur universel.

DOCUMENTS

SUR LA

COMPAGNIE DE MADAGASCAR

PRÉCEDÉS D'UNE NOTICE HISTORIQUE

publiés par les soins

de M. le baron de Richemont, sénateur, ancien gouverneur de la compagnie.

(In-8°, Paris, Challamel.)

COMPTE-RENDU

PAR CH. MOURAIN DE SOURDEVAL,

Membre correspondant de la Société Académique de la Loire-Inférieure.

:

Le travail et la justice sont les deux pôles de la civilisation l'un s'impose au corps et à l'esprit, l'autre est le sacrifice des instincts au profit de l'âme. A ces deux caractères essentiels, le sauvage et le barbare opposent la paresse, qui ne produit pas, et la rapine, qui se substitue à la production. Aussi les voyons-nous regarder en pitié les peines que nous nous donnons pour jouir des bienfaits de la vie civilisée. Le récent épisode de Madagascar et la mort tragique d'un jeune monarque, entraîné par un noble élan vers le développement moral et l'amélioration matérielle de son peuple, est un triste exemple de l'obstination que met la barbarie à rester elle-même.

Les documents qui viennent d'être publiés, par les soins de M. de Richemont, sur l'événement de Madagascar et sur la compagnie qui fut formée, en France, pour aider à l'œuvre de Radama II, abondent en enseignements sur ces

questions. Jamais révolution ne fut tentée avec plus de douceur, et elle a échoué par l'excès même de la générosité. Les mauvais instincts ont eu facilement raison des principes salutaires, présentés avec trop de bonne foi et d'abandon.

La population de Madagascar se compose des anciens indigènes nommés Malgaches, et d'un peuple moins nombreux appelé Hova. Ce dernier, que l'on croit originaire de la Malaisie, est entreprenant, cruel et fourbe. Il a, depuis le commencement de ce siècle, étendu ses victoires et sa domination sur les Malgaches, doux et nonchalants. Les Hovas règnent sur ceux-ci comme les Tartares sur l'immense peuple chinois; mais ils font sentir leur joug plus durement. Ils ont pour capitale Tananarive, ville située dans la région centrale de l'île, parmi les montagnes dont la chaîne traverse ce grand pays.

La dynastie régnante était représentée naguère par la reine Ranavolo, sorte de Messaline qui, après la mort de Radama Ier, son époux, fut proclamée reine avec la restriction de ne pouvoir se remarier. Mais cette veuve, éminemment consolable, obtint que la disposition prohibitive fût tempérée par deux amendements: le premier l'autorisait à avoir des amants, et le second déclarait légitimes tous les enfants qui naîtraient d'elle, à quelque date que ce fût, et leur attribuait pour père feu Radama Ier. Grâce à une précaution si habile, Radama II put naître très-légitime deux ans après la mort de son père légal. Ce jeune prince, d'une origine si étrange, était pourtant né avec les instincts les plus généreux qui eurent la bonne fortune de se développer dans la société d'un Français. M. Laborde avait été jeté par les chances du naufrage, depuis maintes années, sur la rive de Madagascar, et son habileté en mécanique lui avait créé une position à la cour Hova. Radama prenait un plaisir singulier à voir les inven

tions et les constructions de Laborde, qui, dirigé surtout par les manuels Roret, avait établi diverses usines industrielles où dix mille ouvriers travaillaient sous sa direction. Dans ces établissements on fondait les canons, on fabriquait le verre, la faïence, ainsi que toutes les machines. nécessaires au fonctionnement des fabriques. Radama écouta avec non moins d'intérêt l'expression des sentiments religieux et l'influence de la religion chrétienne sur la civilisation dont aimait à l'entretenir M. Laborde, en souvenir de la patrie. Il était, dans le même temps, vivement affecté des exécutions sanglantes ordonnées chaque jour par le gouverneur hova, et son vœu le plus ardent était de pouvoir mettre fin à l'influence d'un favori de la reine et à celle du premier ministre, qui exerçaient sur Ranavolo un empire déplorable.

Cependant un autre Français, M. Lambert, négociant à l'île Maurice, avait cherché à lier des relations commerciales avec Madagascar, malgré les prohibitions dominantes. Il y réussit en ravitaillant les troupes hovas, assiégées dans Fort-Dauphin. A l'avénement de Radama II, qui eut lieu en 1861 par suite du décès de Ranavolo, M. Lambert trouva le jeune prince fort disposé, non-seulement à accueillir ses avances personnelles, mais encore à s'intéresser à toutes les vues économiques, qui font la force des Etats civilisés. Radama brûlait du désir d'élever sa nation à la hauteur des peuples de l'Europe. Dans ce but, il écrivit à l'empereur Napoléon pour lui demander son aide, en déclarant en même temps sa porte ouverte au commerce français. L'Empereur ne répondit pas au premier appel; mais une seconde proposition apportée par M. Lambert lui-même, créé duc d'Emyrne et muni de pleins pouvoirs, fut présentée, avec une charte passée à M. Lambert, et lui concédant les priviléges les plus avantageux pour l'ex

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