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» Qui tient notre Bretagne à la France asservie,
» Vos bras disputeront sa couronne et sa vie.

>>

Nous le jurons !

Enfants, ces deux là, je les hais !

>> Pourtant à les frapper ma haine hésite... Mais...
>> Jurez d'exterminer sans pitié ces vingt juges,

» Violateurs du droit, de l'honneur vils transfuges.

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Nous le jurons ! Jurez d'exécrer tout repos

» Avant que d'avoir vu blanchir à l'air leurs os...

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>> Ecoute ces serments... que reçoit votre mère.
» Si jamais l'un de vous osait les transgresser,
>> Puisse son déshonneur contre lui se dresser!
>> Moi-même pour lui faire encore un destin pire,

» Du fond de mon tombeau je viendrais le maudire. »

Herblain aussi participe au serment de vengeance, et cependant

« Sous ces explosions d'impitoyable haine

» La nature restait impassible et sereine,

» Les étoiles brillaient doucement dans les cieux,

» Et jamais plus d'azur n'a réjoui les yeux. »

Le pacte a été cimenté par une implacable alliance.
Maintenant à l'œuvre !

Jeanne regagne le rivage; puis, rentrée dans le canót, elle remonte la Loire jusqu'au bout des ponts, et se rend, conduite par Herblain, à l'auberge de Gueneuf, ancien vassal dévoué aux Clisson, chez lequel rendez-vous a été donné à Péan de Malestroit.

Ce chevalier, dont le père et le frère étaient, sous l'accusation injuste de trahison, retenus prisonniers par le roi Philippe, ne demandait qu'à s'associer à toute vengeance; et, certain d'avance que Jeanne ne faillirait pas à son devoir, il avait dirigé déjà vers Clisson, par terre et par bateaux, les nombreux sicaires qu'il tenait à sa solde.

Alors Gueneuf raconte que, la veille, deux vieillards se sont arrêtés dans sa maison; il a surpris leur conversation. Le roi, pour les récompenser de services indignes, leur avait laissé le choix entre les fiefs de Clisson, et ils discutaient le prix du sang.

L'un de ces vieillards est le seigneur de Touffou; l'autre est un des juges assassins.

Jeanne et Malestroit ont bientôt arrêté leur plan de campagne.

Ils se séparent en se disant: A demain, à ChâteauThébaud, au repaire de Regnaud de Montrelais, le dénonciateur infâme, et ensuite à Touffou...

La haine dédaigne la fatigue et ne connaît pas la distance.

Avant le jour, la veuve de Clisson est de retour au château. Feignant de continuer la fête commencée la veille, elle a ordonné une grande chasse; mais ses affidés sont prévenus.

Elle s'élance à travers champs, le faucon au poing, accompagnée de son fils Olivier, escortée d'une troupe nombreuse de cavaliers et de varlets, tous secrètement armés. Elle se rapproche de Château-Thébaud, et bientôt elle se présente devant le manoir.

Le Galois de la Heuse, un brave écuyer, qui commande en l'absence du maître, ouvre la porte à Jeanne et lui offre une courtoise hospitalité. Fatale confiance! A peine entrés, les compagnons de Jeanne se précipitent traîtreusement sur les soldats de garde, les terrassent, les lient et les baillonnent.

La Heuse résiste seul; son courage ne le sauve pas. Il subit le sort des vaincus. Il espère cependant encore. La

garnison dispersée se rassemble; elle fera payer cher à Jeanne son insigne perfidie.

Hélas! la déception est prompte. Péan de Malestroit, qui a déjà fait cerner le château, accourt à un signal convenu, suivi de toute sa bande de mercenaires.

Jeanne, autrefois la noble Jeanne, ne connaît plus les lois de charité, de justice, de loyauté, qu'elle enseignait, il y a si peu de temps, à son fils. Elle viole l'hospitalité sainte; elle a soif de sang.

« Soldats, dit-elle,

» Soldats, j'ai trop longtemps retardé ma vengeance!

» Ce château tout entier tombe en votre puissance :
» Caves, bijoux, trésors, ici tout est à vous;

» Hommes, femmes, enfants, je vous les livre tous.
» Sur eux pèse un arrêt de mort irrévocable,

>> J'ai fait à mon mari serment d'être implacable.

>>

Péan de Malestroit veut délier les gardes de ChâteauThébaud et lutter les armes à la main.

Jeanne ne le permet pas :

«Que tout périsse ici par le fer ou le feu :

» J'ai beau sentir en moi crier ma conscience,

» Je ne puis pardonner, car je suis la Vengeance ! »>

Péan de Malestroit résiste encore.

A ce moment, un chevalier vêtu de deuil et couvert de poussière, poussant son cheval à grands coups d'éperons, s'élance dans la cour. Il embrasse Malestroit et lui annonce de sinistres événements. Les prisonniers du roi, le père et le frère du compagnon de Jeanne, sont morts sur l'échafaud. Une autre victime a encore été sacrifiée. Henri de Malestroit, un prêtre, un vieillard, n'a pu trouver grâce devant une haine aussi impitoyable qu'injuste. Traîné sur une claie à travers les rues de Paris, le prélat inoffensif a été massacré par la populace.

Péan, ivre de fureur, se précipite sur la Heuse désarmé.... Tout à coup il s'arrête; un sentiment de noble pudeur retient son bras. Il délie les mains de l'écuyer; il coupe, à l'aide de son poignard, les cordes des hommes garrottés qu'il envoie rejoindre la troupe des défenseurs du château.

Il veut tuer en combattant et non assassiner.

La mêlée s'engage, terrible, désespérée. Le sang coule à grands flots; mais les chances ne sont pas égales, et les soldats de Château-Thébaud sont tous impitoyablement massacrés.

Un seul parvient à se sauver : c'est Le Galois de la Heuse; suspendu à une corde, il se laisse glisser le long des murailles, et traverse la rivière à la nage. Les traits pleuvent sur lui; aucun ne l'atteint, et le fugitif disparaît dans les profondeurs d'une épaisse forêt.

Alors Jeanne commande le pillage. Elle allume la première torche qui doit communiquer la flamme au manoir des Montrelais.

L'œuvre de destruction assurée, elle donne rendez-vous à Malestroit, à minuit, au château de Touffou.

A l'heure convenue, Jeanne et Malestroit se sont rencontrés. Un affidé, un traître, leur a livré les portes du château de Touffou. Surprise dans le sommeil, la garnison a été égorgée.

Cependant le seigneur de Touffou, retiré dans une salle écartée en compagnie d'un autre vieillard, n'avait rien entendu. Tous deux se livraient gaiement, la coupe en main, à des épanchements intimes, et calculaient ce que leur rapporterait l'héritage du décapité, lorsque tout-àcoup une femme, enveloppée de longs vêtements de deuil, apparaît devant eux, tenant par la main deux enfants. En

même temps des langues de flammes, se tordant alentour des croisées, éclairent la sinistre figure de la veuve de Clisson, et des hurlements frénétiques et sauvages ébranlent le château jusque dans ses profondeurs.

Les bandits avaient bien fait leur besogne: partout le feu et la mort !...

Les deux vieillards comprennent qu'ils sont perdus ; ils se jettent lâchement aux pieds de Jeanne, implorant sa clémence, s'accusant l'un l'autre. Mais Jeanne est incapable de pitié le châtelain de Touffou est tué sous ses yeux.

Quant à l'autre, le juge, elle lui réserve de plus atroces souffrances; il doit mourir aussi, mais plus tard.

Par l'ordre de Jeanne, il est entraîné dans une cour du château, où les sicaires, ivres de vin et de sang, se livrent à d'effroyables excès.

Alors Olivier, qui avait déjà fait ses preuves au carnage de Château-Thébaud, leur adresse la parole :

« Aidez-nous, amis, à châtier son crime;
>> Pourvu que vous gardiez la vie à la victime,
>> Versez-lui sans mesure et la honte et l'affront;
» Oui, qu'il en soit sali des pieds jusques au front.
>> Cet homme est un jouet que je vous abandonne;
» La bourse que voici, pleine d'or, je la donne
» En prix à ceux de vous qui sauront inventer
» Quelque outrage qu'on n'ait jamais osé tenter. »

Ici commence une horrible scène.

« L'injure, les soufflets, les crachats à la face,
»Ne sont de ses tourments que la simple préface,
» Non content des affronts dans l'histoire enfouis,
» Pour lui l'on inventa des affronts inouïs. ››

Le vieillard demandait à grands cris la mort.

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