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rapports avec son espèce. Et l'on peut dire que l'individu a non moins besoin de ses semblables, pour exercer sa vie morale et intellectuelle, que pour subsister physiquement du lait de sa mère.

La morale a pour base la sociabilité; car il est évident que la loi morale ne pourrait être contraire à cette condition fondamentale, attendu que, la société disparaissant, l'homme disparaît avec elle. On peut affirmer avec la certitude la plus entière que la seule condition nécessaire, pour que la morale soit bonne et efficace, c'est que la morale soit favorable à la sociabilité. Là est la pierre de touche de toute règle des mœurs. L'homme le plus moral est, sans contredit et en réalité, l'homme le plus utile à la société.

Ce n'est pas en vertu de la liberté humaine, (entendue plus ou moins exactement) que les hommes ont fondé des sociétés, mais parce qu'ils sont nés sociables et que la société est leur premier besoin. Ce n'est pas en vertu de la liberté que les hommes ont fait des lois morales, mais parce qu'ils sont doués du sentiment du juste et de la raison, facultés sans lesquelles la société humaine serait impossible.

Le livre de M. C. Coignet est presqu'entièrement consacré à établir, à défendre cette thèse de la liberté humaine, comme base exclusive de la morale. L'auteur a déployé beaucoup de zèle et de talent pour soutenir cette affirmation, si chère à l'école des criticistes. MM. Renouvier et Pillon ne parlent pas autrement. Tout en reconnaissant le mérite et les travaux consciencieux de cette école, nous ne pouvons que regretter de la voir persévérer dans cette œuvre chimérique de fonder la morale sur la liberté.

S'il est facile de reconnaître que l'homme est spontané, conscient, raisonnable et pourvu d'idéal, partant que l'homme peut se modifier et se perfectionner, rien de plus impossible que de déterminer la valeur de l'autonomie humaine et de mesurer ce que l'on entend par libre arbitre. Qui pourrait marquer exactement le degré de liberté, apporté dans leurs actes par des criminels tels que Poulman, Dumolard, et des hommes tels que Fénelon et Franklin? Personne assurément. C'est là un inconnu, impossible à pénétrer. Au point de vue de ceux qui fondent la morale sur la liberté, on ne peut rien dire de certain sur la moralité des uns et des autres.

La théorie des criticistes les place ici sous le coup d'une radicale impuissance. Cependant, la pratique sociale exige qu'on prenne un parti et qu'on juge les actes des hommes sur un mètre commun, certain, indiscutable.

Il n'y en a qu'un, un seul, et ce criterium c'est l'utilité sociale. Les actes de l'homme sont bons ou mauvais, selon qu'ils sont utiles ou nuisibles à la société. On ne peut abandonner ce terrain solide sans se jeter dans les ténèbres et les chimères. Chacun de nous est nécessairement responsable à l'égard de ses semblables; mais nous ne pouvons nous rendre compte ni

nous occuper d'aucune autre responsabilité, qu'elle soit intérieure ou ultraterrestre.

Tout cela sort du domaine de la réalité, le seul où la vie pratique de chacun puisse être appréciée, le seul où la loi puisse faire entendre sa voix et faire agir son bras.

J'étonnerais peut-être jusqu'au scandale l'auteur de ce livre et la plupart des criticistes, si je leur affirmais, qu'en allant au fond des choses par l'analyse, la formule des naturalistes et positivistes ne diffère pas de celle des criticistes.

Essayer de montrer qu'il n'y a pas de différence entre dire : être libre c'est agir conformément à la nature de son être et dire, être libre c'est pouvoir s'imposer une obligation morale au nom de la justice et de par la raison; n'estce pas une mauvaise plaisanterie? Point du tout, et il ne me siérait pas de plaisanter en si grave matière. Je vais tenter l'esquisse de ma preuve, en évitant de le faire en règle et de m'appesanlir sur la forme.

D'abord, en fait de liberté, nous ne pouvons être certains que de la spontanéité de l'homme, comme de sa conscience et de sa faculté d'idéaliser. Sa volonté ne peut avoir d'autre signification que d'exprimer la résultante, à un moment donné, de tous les désirs, de toutes les forces constitutives de son être. Quant à ce qui est de la raison et de la justice, nous avons vu que les notions de l'intelligence aussi bien que les sentiments de notre cœur, bien que partant d'un fonds commun à l'espèce, grandissaient et se développaient avec l'individu, avec les âges de l'humanité. Donc, raison, justice, conscience, volonté, spontanéité, tous ces éléments constitutifs de ma manière d'être, sont déterminés et sont les causes déterminantes de mes actions.

Eh bien! que je dise maintenant : je m'impose une obligation, au nom de la justice et de par ma raison; ou que je dise tout uniment : j'agis conformément aux développements intellectuels, moraux et physiques de mon être, n'est-ce pas au fond dire la même chose? Et l'homme pourrait-il dire et faire autrement?

Chacun de nous raisonne à sa façon et selon son pouvoir, bien que, lorsqu'il raisonne juste, sa parole soit en parfaite conformité avec l'évidence. Chacun de nous voit et sent le juste selon son pouvoir, et sa notion comme son sentiment de justice, à moins d'anomalie exceptionnelle, sont nécessairement en rapport avec l'idée et le sentiment de justice communs à l'espèce. Si ces affirmations n'étaient pas exactes, aucun lien ne se fût établi entre les hommes et la société n'existerait pas.

Pour s'expliquer avec quelque justesse sur l'individu, il faut le voir indivisiblement uni à son espèce. On ne peut comprendre l'homme que par l'humanité. Et nous croyons que les criticistes, dans leurs recherches, n'ont pas assez tenu compte de cette condition, rigoureusement nécessaire. E. DE POMPERY.

Le Concile, par PETRUCCELLI DE LA GATTINA. Paris, Armand

Lechevalier, 1869.

Nous ne sommes pas de ceux qui attachent une grande importance philosophique au Concile qui ya se réunir dans un mois à Rome. Quoi qu'on y dise el quoi qu'on y fasse, la théologie ne se relèvera pas des rudes coups que la science positive lui a involontairement portés, et le mouvement philosophique, qui se poursuit depuis tantôt deux siècles, ne s'arrêtera pas devant les anathèmes que la cour de Rome va lui jeter encore une fois. Mais si cette réunion des princes de l'Eglise n'a rien qui puisse intéresser une doctrine qui a son terrain hors du christianisme, elle offre au sociologiste un double intérêt, un intérêt politique et un intérêt historique. Au point de vue politique, le Concile peut avoir, en effet, une certaine importance à cause de la question toujours pendante du pouvoir temporel du pape. Dans l'état de trouble que traversent toutes les puissances de l'Europe, le Vatican demeure suivant les caprices de la diplomatie, tantôt comme un point de ralliement, tantòt comme un sujet de discorde. Les Etats catholiques qui se détachent de plus en plus de Rome, adhéreront-ils explicitement au Concile? L'Italie après Castelfidardo, l'Espagne après sa révolution, l'Autriche après la modification de son concordat, la France à la veille d'une crise profonde, quelle attitude prendront-ell es? Ce sera là comme un baromètre qui permettra d'apprécier leurs vues politiques et la situation des divers partis dans chacun de ces pays. Au point de vue historique, il y a un intérêt de curiosité. Depuis trois cents ans, aucun Concile ne s'est réuni; et, occupés des questions vitales qui s'agitent autour de nous, nous avons depuis longtemps perdu le souvenir de ces assemblées si fréquentes aux temps prospères du catholicisme. Le Concile de 1869, qui se fera probablement un devoir de copier la mise en scène des anciens Conciles, sera une curiosité archéologique qui aura sa valeur. Il est vrai qu'en dehors de la partie décorative, l'assemblée œcuménique de Rome ne ressemblera guère à celles dont l'histoire nous parle. Les temps sont changés, et ils sont devenus durs pour l'Eglise. Jadis elle régnait en maitresse, elle ne discutait pas, elle proclamait les dogmes et brûlait tous ceux qui osaient y contredire maintenant elle est obligée de s'incliner devant le fait accompli, devant les hérésies sans nombre qui naissent à chaque pas et de se tenir prudemment sur la défensive.

Au double point de vue de la politique et de l'histoire, le livre de M. Petrucelli de la Gattina est entièrement à lire; c'est une histoire abrégée de tous les conciles, faite par un homme qui nous a déjà donné une excellente histoire des Conclaves. Nous recommandons ce petit livre à nos lecteurs, qui y trouveront de curieuses pages d'histoire et des appréciations généralement très-impartiales.

G. W.

TABLE DES MATIÈRES

DU

TOME CINQUIÈME

CH. ROBIN.

RAYMOND FRANÇOIS.

TROISIÈME ANNÉE

No 1. Juillet-Août 1869.

Pages. De l'appropriation des parties organiques et de l'organisme à l'accomplissement d'actions déterminées. (Deuxième article)................. Louis XIV et la révocation de l'Edit de Nantes. (Troisième et dernier article).......... Etudes sur l'art moderne 1822-1855. (Deuxième article)........

39

PIERRE PÉTROZ.

47

G. NOEL.

La numération décimale. (Troisième et der-
nier article)......

79

E. LITTRÉ.

G. WYROUBOFF.
G. BOCCARDO.

Un fragment de médecine rétrospective...... 103
De l'espèce et de la classification en zoologie. 121
Mobilité de la surface terrestre...

BIBLIOGRAPHIE.

139

CH. D'HENRIET: Le van

157

dalisme révolutionnaire, par M. Eugène
Despois...

CH. ROBIN.

E. LITTRÉ.

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De l'appropriation des parties organiques et
de l'organisme à l'accomplissement d'actions
déterminées. (Troisième et dernier article). 161
Centième anniversaire de la naissance de Na-

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488

E. JOURDY.

PAUL ROBIN.
CLERC.

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E. LITTRÉ.

E. DE ROBERTY.

Novembre-Décembre 1869.

Du mythe de l'arbre de vie et de l'arbre de la
science du bien et du mal dans la Genèse.. 329
De quelques lois de l'Economie politique.
(Deuxième article).....

358

E. JOURDY.

Les restes les plus anciens de l'homme d'a-
près les travaux les plus récents. (Deuxième
partie)......

383

G. NOEL.

La science géométrique dans l'Inde ancienne.
(Premier article)..

408

CH. D'HENRIET.
G. WYROUBOff.

La France nouvelle...

426

Le Congrès de Lausanne.

467

VARIÉTÉS. - Débat dans le journal la Gironde
au sujet d'une conférence faite par M. de
Blignières à Bordeaux, sur la politique po-
sitive....

467

BIBLIOGRAPHIE.-E. DE POMPERY. La morale indépendante, par C. Coignet.-G. W. Le Concile, par Petruccelli de la Gattina....... 479

E. LITTRÉ,

Directeur, gérant responsable.

VERSAILLES. IMPRIMERIE CErf, 39, rue du PLESSIS.

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