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plus qu'il ne s'agissait pas de verser le sang, disait-on, et de faire des violences, mais seulement d'inviter le peuple à ce retour par une terreur salutaire. »

Par respect pour l'autorité royale d'essence divine, tout sujet protestant doit changer de religion, sur l'ordre du maître. « C'est une illusion, disait Foucault, qui ne vient que d'une préoccupation aveugle de vouloir distinguer les obligations de la conscience, d'avec l'obéissance qui est due au roi. » — Aussi, beaucoup d'actes d'abjurations portaient cette mention: pour obéir à la volonté du roi. Ceux qui persévèrent dans le culte réformé sont donc des rebelles, et c'est un des arguments derrière lesquels le clergé essayait de se retrancher et de couvrir sa responsabilité. Bruyei, un nouveau converti, répondait victorieusement à Claude «que les protestants n'étaient pas persécutés 1° parce que l'idée de persécution implique celle de mort; 2° que les supplices n'étaient pas des persécutions, mais des peines infligées à des rebelles. »

Louis qui était l'Etat était aussi Dieu. Il le croyait et on le croyait. Ce qui précède est horrible, ce qui suit dégoûte. Après la cruauté, la bassesse. L'homme féroce est lâche. De toutes parts, des acclamations étouffent les cris des victimes; partout retentit un concert de louanges. L'allégresse est universelle. Le clergé, comme il est naturel, jubile. Le courtisan Bossuet entonne le cantique de sa voix solennelle. Le pape tient un consistoire ad hoc et chante un Te Deum. Tous les corps constitués se mettent à l'unisson. Les particuliers, les écrivains (on sait que Louis avait accaparé les lettres) font chorus. La tendre madame de Sévigné, qui jetait un regard si sec sur le cadavre des paysans pendus pour avoir demandé du pain, se pâme; elle trouve « l'ouvrage parfait. Rien n'est si bon que tout ce qu'il contient (l'édit) et jamais aucun roi n'a fait et ne fera rien de plus mémorable! » — « « C'est la plus grande et la plus belle chose qui ait été imaginée et exécutée. » La Fontaine lui-même s'empresse de brûler un peu d'encens :

<< C'est proprement de lui (du roi) qu'on a sujet de dire
Que le sage a tout en ses mains.

Vient-il pas d'attirer et par divers chemins,
La dureté du cœur et l'erreur envieillie,
Monstre dont les projets se sont évanouis.

On voit l'œuvre d'un siècle en un mois accomplie

Par la sagesse de Louis. »

(ép. à Bonperaux, 28 janv. 1687.)

On lit dans le moraliste La Bruyère analysant les qualités d'un grand roi: « Je repasse les moyens extrêmes mais nécessaires dont il use souvent pour une bonne fin. Je sais qu'il doit répondre à Dieu même de la félicité de ses peuples; que le bien et le mal est entre ses mains (toujours le dogme royal!) - et que toute ignorance ne l'excuse pas.. Un roi.. qui.. bannit un culte faux, suspect et ennemi de la royauté, celui-là est bien digne du nom de grand. >>

Du reste qu'y a-t-il d'étonnant que les persécuteurs montrent autant d'enthousiasme, quand les persécutés eux-mêmes célèbrent la gloire du bourreau? A La Haye, les ministres émigrés font des prières pour le grand roi. Ne faut-il pas toujours courber la tête devant la puissance et bénir l'auguste main qui frappe! Souffrir et se taire, tel est en effet, comme l'a remarqué notre illustre Michelet, « le vrai christianisme, ennemi né de la résistance. Quand il est conséquent, il reproduit son origine, la soumission à l'empire, la résignation sous Tibère, l'oubli de la patrie pour la patrie céleste, un pieux consentement à la mort de la liberté. Les ministres ici parlent aussi bien que les évêques. Basnage ou Saurin vaut Bossuet. En Languedoc comme aux Alpes, les ministres empêchèrent d'armer. Il ne tint pas à eux que le roi n'eût un triomphe durable et éternel. »

L'humanité avait évidemment perdu ses titres, qu'elle ne devait retrouver qu'un siècle plus tard. Elle ne connaissait plus les droits de la conscience, et ce qu'ils valent. Elle se les laissait enlever en chantant un hosanna; elle amnistiait le coupable. Il y a des absolutions plus honteuses que les crimes.

Cet arrêt des contemporains, nous refusons de le sanctionner. Pour nous, les génuflexions sont passées, le luminaire entretenu autour de l'idole est éteint. Le roi soleil n'éblouit plus. Il a perdu à nos yeux cette auréole empruntée à l'éclat des génies qu'il se vantait d'avoir fait éclore.

Fermons l'oreille aux beautés des Molière et des Racine; ce que nous entendons ce sont les soupirs de la France esclave, les gémissements du peuple affamé, les imprécations des protestants.

Fermons les yeux devant la colonnade du Louvre, les toiles de Lebrun, les splendeurs de Versailles. Ce que nous voyons, ce sont l'incendie du Palatinat, le ravage, la destruction à l'intérieur, à l'extérieur, la ruine, la misère partout, la coalition, le sol envahi,⚫ la persécution, la terreur, le triomphe de l'absolutisme monarchique et religieux.

Devant un tel spectacle, il faut dire avec le citoyen Pelletan : L'homme que la France a le plus admiré c'est Louis XIV; l'homme qui a fait le plus de mal à la France, c'est Louis XIV 1. »

Brisons, une fois pour toutes, avec certaines traditions! N'allons plus nous agenouiller sur la pierre qui recouvre les ossements des faux grands hommes! Imitons l'exemple de ce peuple de l'antiquité qui évoquait devant son tribunal les mânes de ses rois et leur faisait le seul procès qu'on puisse faire aux monarques, le procès au mort! Que la postérité tire les orgueilleux contempteurs des droits de l'humanité du fond de leurs tombeaux où ils semblent encore insulter les vivants, et qu'au milieu des malédictions vengeresses elle leur inflige une juste condamnation! RAYMOND FRANÇOIS.

1 Cette phrase est trop absolue, il y en a d'autres.

ÉTUDES SUR L'ART MODERNE

1822-1855

DEUXIÈME ARTICLE 1.

LE MOUVEMENT

La Convention, organisant dans son avant-dernière séance l'Institut national créé par la Constitution de l'an III, avait réuni dans une seule et même classe les littérateurs et les artistes. Sous le Consulat, lorsque huit ans après on avait supprimé la classe des sciences morales et politiques comme nuisible à la sûreté de l'État, on avait séparé les littérateurs des artistes, et l'on avait créé une classe nouvelle, celle des Beaux-Arts ou quatrième classe de l'Institut. A la seconde Restauration on avait ressuscité pour chacune des différentes classes le vieux nom d'Académie, et la quatrième devenue l'Académie des Beaux-Arts avait été placée dans des conditions analogues à celles où avait été l'ancienne Académie royale. A l'exemple de celle-ci, elle présidait aux concours pour les grands prix, choisissait les sujets, rédigeait les programmes, jugeait en dernier ressort, distribuait chaque année le blâme et l'éloge aux pensionnaires de l'Académie de France à Rome, appréciait leurs progrès, décidait s'ils avaient oui ou non rempli les obligations qui leur étaient imposées, enfin donnait son avis sur toutes les questions d'art que lui soumettait le gouvernement. Mais la faculté de s'adjoindre des agréés, participant à quelquesuns des avantages inhérents au titre d'académicien, sans toutefois avoir droit à ce titre, ne lui avait pas été accordée, le nombre de ses membres avait été limité, et par là sa constitution était moins libérale que celle de sa devancière.

L'Institut, dans la pensée de ses fondateurs, devait concourir activement au perfectionnement et à l'avancement des sciences et 1 Voyez le numéro précédent.

des arts; c'était une espèce d'encyclopédie vivante appelée à provoquer, à favoriser le progrès en toutes choses. La mission des Académies restaurées par la monarchie était autre elle avait un caractère essentiellement conservateur. Isolées, n'ayant pas de travaux communs, pas de relations entre elles, sauf une fois l'an dans une séance solennelle, les Académies n'avaient plus qu'à veiller au maintien de certains principes et de certaines traditions. Elles se renfermaient volontiers dans leurs spécialités respectives, dédaignaient les idées nouvelles qui avaient surgi en philosophie, en histoire, en poésie, attachaient une assez médiocre importance à ce qui se produisait en dehors de leur influence immédiate, et repoussaient formellement bien entendu tout ce qui, de près ou de loin, était en contradiction avec leurs principes et leurs traditions. C'était en particulier le cas de l'Académie des Beaux-Arts, presque entièrement composée d'émules et d'élèves de David, plus absolus peut-être et plus exclusifs dans leurs opinions et leurs théories que le maître lui-même. Mieux qu'aucune autre elle était à même de faire prévaloir sa doctrine et de se défendre contre toutes les attaques. Maîtresse de l'enseignement, à peu près souveraine aux expositions, grâce au jury d'admission où elle était en majorité, elle avait pour elle une notable portion du public et des artistes.

I

Le parti académique ne s'était pas beaucoup préoccupé du Chasseur de Géricault, de son Cuirassier, ni même de son Radeau de la Méduse. On les y avait considérés comme des essais intéressants d'un jeune artiste bien doué à quelques égards, mais manquant de goût et d'études sérieuses, et l'on s'y était figuré qu'ils avaient attiré l'attention surtout à cause du sujet, les deux premiers parce qu'ils rappelaient la gloire militaire et la défense de la patrie, le dernier parce qu'il flattait les passions du moment contre le gouvernement de la Restauration. Mais on commença à s'y inquiéter lorsque parut le Dante et Virgile d'Eugène Delacroix. Il y avait évidemment chez les jeunes artistes une tendance à imiter Géricault, à poursuivre avant tout la vérité et la justesse d'impression, à négliger les détails pour l'ensemble, à préférer la

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