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souvent stériles. Celles des Gaulois dans l'Europe, à partir du moment où leur nom prend place dans l'histoire, les immenses mouvements des croisades, ceux de la République et du premier Empire sont là pour en témoigner. Nous n'avons pas l'idée d'émigration comme l'eurent autrefois les Grecs, ni la science de la colonisation. Dans notre pays même on citerait des terrains assez vastes, où la population pourrait au besoin déverser son trop plein; l'espace est moins limité encore à l'étranger, à supposer que le sol français ne soit pas propre à nourrir une quantité d'hommes double de celle qui l'occupe aujourd'hui. Sans quitter la terre réputée française, l'Algérie, conquise par nous il y a quarante ans, n'a reçu qu'un nombre restreint de colons. Elle n'est point devenue une autre France, une France du midi. Nous n'avons pas dompté les races qui vivaient sur ce sol; nous ne les avons point absorbées; nous ne nous sommes point mêlés à elles. A peine on peut dire que cette terre d'Afrique est autre chose pour nous qu'un champ de manoeuvres, une station militaire. C'est que là aussi il faut des coeurs vaillants, des hommes qui ne redoutent pas le grand air de la liberté, qui se gouvernent eux-mêmes et fassent leurs propres affaires. Il faut la libre action, la libre expansion, que les administrations militaires ont peu de penchant à développer. C'est ce qu'on doit d'abord conquérir, le reste ne viendra qu'après. Jusque-là, ce ne sera point assez que les individus se marient jeunes et que les familles soient nombreuses. La Russie, qui a de si grands espaces à peine peuplés, en peut fournir un exemple. On ne colonise point chez elle, elle ne colonise guère au dehors. Cependant les mariages ont lieu le plus souvent sitôt que les individus sont nubiles, et les ménages sont surchargés d'enfants. Les émigrations allemandes peuvent nous fournir un autre moyen de vérification : l'élément germanique dans le nouveau monde se trouve lui-même absorbé par l'élément anglais, plus actif, plus expansif que celui des familles tudesques. C'est à l'initiative de l'individu que sont dus en grande partie de tels résultats.

A cette initiative, nous l'avouons, à l'emploi de procédés plus éprouvés, plus scientifiques dans la gestion des affaires des sociétés humaines, nous ne pouvons nous empêcher d'attribuer l'amélioration future des conditions dans lesquelles se trouvent nonseulement notre pays, mais tous les autres. Nous nous associons à peine, bien que nous soyons attaché à la terre française par tous

les liens qui retiennent l'homme à son sol natal, nous nous associons à peine « au vœu ardent qu'exprime en finissant l'auteur de la France nouvelle pour notre redoutable avenir. Nous avons une autre espérance, parce que nous avons une autre foi, et nous n'acceptons qu'à titre d'hypothèse et d'induction un peu hasardée, l'infranchissable dilemme dans lequel il prétend resserrer comme dans les deux branches d'un étau, ce qu'il appelle notre destinée : « Ou bien de quatre-vingts à cent millions de Français...... ce n'est pas à un moindre prix, ni avec de moindres forces.... établis sur les deux rives de la Méditerranée, au cœur de l'ancien continent, maintiendront à travers le temps, le nom, la langue et la légitime considération de la France....

› Ou bien nous resterons ce que nous sommes, nous consumant sur place dans une agitation intermittente et impuissante, au milieu de la rapide transformation de ce qui nous entoure, et nous tomberons dans une honteuse insignifiance sur ce globe occupé par la postérité de nos anciens rivaux..... » Heureusement il y a place pour d'autres horizons et d'autres hypothèses. Nous ne les énoncerons pas, ne voulant pas refaire M. Prévost-Paradol. L'Europe s'unira un jour en une vaste confédération; et chacun y comptera beaucoup pour son passé, encore plus pour son avenir. CH. D'HENRIET.

LE CONGRÈS DE LAUSANNE

J'ai fait, pour les lecteurs de cette Revue, le compte rendu des congrès de Genève et de Berne; c'est presque uniquement pour cette raison que je veux dire quelques mots du congrès qui a eu lieu cette année, à Lausanne.

Le congrès de Lausanne, en effet, peut offrir un certain intérêt pour les journaux quotidiens, qui sont obligés de se tenir au courant de tout ce qui se passe dans le monde, surtout dans le monde politique; il n'en offre point pour nous, qui ne pouvons que noter les grands phénomènes, qu'indiquer les grandes manifestations sociales. Si nous avons parlé du congrès de Genève, c'est parce qu'il nous a paru être une importante manifestation; c'était la première fois qu'on tentait de réunir les hommes politiques de tous les pays dans une pensée commune, dans une pensée hostile à l'ordre existant des choses; si nous avons parlé du congrès de Berne, c'est que nous y avons vu les symptômes caractéristiques de cette anarchie mentale, de cette confusion doctrinaire qui est e signe le plus frappant de l'époque dans laquelle nous vivons. Il n'y a rien de pareil dans le congrès de Lausanne, ce congrès à grand spectacle où on a beaucoup parlé, fort bien parlé, mais où il est impossible à l'observateur le plus attentif de dégager une pensée générale quelconque. Trois semaines se sont déjà écoulées depuis la réunion; l'impression produite par l'éloquence des orateurs a disparu ; le calme a succédé à l'émotion; et, quand je repasse dans ma mémoire toutes ces belles phrases que j'ai applaudies comme tout le monde, je suis tout surpris de n'y trouver que fort peu de chose qui aisse un souvenir.

On se demande tout naturellement comment il se fait que de cette réunion d'hommes d'élite, il ne soit sorti à peu près rien qui ait quelque portée théorique ou quelque valeur pratique, et comment il se fait aussi que cette année, au lieu d'avancer, dans le développement des idées fondamentales de la Ligue, on ait considérablement reculé? A cette question il n'est pas inutile de chercher une réponse, si ce n'est pour expliquer le passé, du moins pour améliorer l'avenir des congrès en général, et en particulier de celui de la Paix. Pour moi, la réponse est toute simple: c'est la vicieuse organisation de ces réunions. Quel est le but pratique des congrès? Personne n'a jamais pu croire sérieusement, et, si quelques-uns avaient cette illusion, l'expérience de ces deux années a dû la dissiper, qu'en deux ou trois jours on parviendrait à résoudre ces grandes questions qui agitent le monde depuis si longtemps, et sur lesquelles tant d'esprits ont travaillé pendant des siècles sans arriver à un résultat satisfaisant. Il y a des personnes qui pensent que le congrès est un moyen d'agir sur les masses et de faire pénétrer dans leur sein, de plus en plus profondément, l'horreur de la guerre et l'amour de la fraternité des peuples; mais il n'est pas besoin de longs développements pour démontrer que c'est là une œuvre à peu près inutile. La guerre, depuis bien longtemps déjà, n'est pas le résultat de haines personnelles; l'immense majorité de ceux qui combattent et s'entre-tuent n'ont aucun intérêt à ce jeu sanglant, et préféreraient certainement mille fois le paisible champ qu'ils cultivaient au champ de bataille sur lequel ils sont presque sûrs de trouver la mort. A cet égard, l'éducation du peuple est déjà faite depuis longtemps, et il n'y aura qu'une bien faible minorité pour regretter le passé, le jour où la guerre sera devenue absolument impossible. Il est puéril de dire, comme l'a fait un naïf orateur au congrès de Lausanne, que, lorsque les mères ne donneront plus à leurs enfants des sabres et des fusils pour jouets, et lorsque quelques centaines de jeunes gens refuseront de se faire soldats, la paix s'établira dans le monde; c'est méconnaître l'histoire, c'est oublier les conditions d'existence des sociétés, que de croire que les conflits armés sont de simples accidents, de simples résultats de la mauvaise éducation des hommes. Les bons comme les méchants, les savants comme les ignorants, se sont battus, se battent et se battront encore dans les guerres civiles si ce n'est dans les guerres internationales, tant que les causes profondes qui rendent les guerres fatales ne seront pas extirpées. Or, ces causes

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sont graves, elles sont surtout multiples, elles appartiennent à tous les ordres des phénomènes sociaux. Chercher ces causes et les détruire, c'est achever la grande révolution que le xvi siècle a commencée, c'est remplacer l'ancienne civilisation par une civilisation nouvelle, c'est refaire l'édifice social. Il est évident que ce n'est pas avec la foule, que ce n'est même pas devant la foule, malheureusement encore ignorante, qu'on peut s'occuper de cette recherche; elle est, jusqu'à présent du moins, trop théorique, trop abstraite, pour être à la portée de tous les esprits. Personne n'a encore, que je sache, convié les masses pour résoudre un problème de chimie ou de physique, et on rirait, à coup sûr, de celui qui ferait une semblable proposition; je ne vois pas pourquoi il serait moins ridicule de s'adresser à ces masses pour ré– soudre une question sociologique. Sans doute, si le congrès de la Paix était une assemblée législative (et il est heureux qu'il ne le soit pas, car quel chaos de lois sortirait de ce chaos de discours!) il serait de son devoir d'appeler tout le monde à y prendre part; car, les lois une fois décrétées, tout le monde doit y obéir; mais il n'est qu'une espèce de concile discutant les questions d'ordre politique et social, où les doctrines les plus diverses peuvent se rencontrer, s'entre-choquer sans faire de mal à personne.

Non, l'utitité des congrès internationaux n'est pas la propagande illusoire de ces généralités sur la paix et la guerre qui sont devenues insupportables à force d'être répétées sur tous les tons, elle est dans la rencontre d'hommes séparés par d'immenses distances et de pressantes occupations, qui viennent tous les ans, pendant plusieurs jours, se communiquer leurs travaux, leurs observations, leurs espérances. A ces rendez-vous annuels, que l'hospitalité suisse entoure de toutes les libertés possibles, la démocratie européenne se compte, les partis qui la composent se dessinent, et les idées nouvelles, si elles ne parviennent pas à convaincre, se font du moins connaître; un programme commun peut être élaboré, et quelques points fondamentaux résolus et élucidés. Ce but, le seul qu'on puisse raisonnablement poursuivre dans les conditions où se trouve placé le congrès, s'il était atteint chaque année, serait d'une grande importance. Mais, malheureusement, si au congrès de Berne on s'en est beaucoup rapproché, on a tout fait à Lausanne pour le rendre impossible.

Le Congrès de Lausanne offrait l'aspect de ces bazars, comme on en voit tant à Paris, portant cette invariable inscription: Entrée

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