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ni Brahmagupta, ni Bhascara-Acharya, ni leurs commentateurs n'ont compris les formules de l'aire du triangle et du quadrilatère en fonction des côtés, puisqu'ils ont tous ignoré la condition indispensable à l'exactitude de la seconde formule. Leur ignorance sur ce point s'oppose à ce qu'ils aient eu une part quelconque dans l'invention de la formule, en même temps qu'elle démontre qu'ils n'ont pu posséder aucune connaissance spéculative originale sur la théorie du quadrilatère inscrit.

Tous les énoncés qu'ils donnent, énoncés dont plusieurs, particulièrement la formule des aires, supposent une géométrie savante, ils les ont donc copiés; mais la manière dont ils les ont disposés prouve, en outre, qu'ils n'ont pu les tirer d'ouvrages dogmatiques originaux, où, avec l'ordre rationnel des propositions, ils auraient généralement trouvé la suite des raisonnements qui expliquent les théorèmes, et où, spécialement, avec la démonstration de la formule de l'aire du quadrilatère, ils auraient appris les limites imposées à l'application de cette formule.

En résumé, la partie géométrique du traité de Brahmagupta, analogue à la partie astronomique, n'est donc, comme cette dernière, qu'une compilation, un recueil de règles présentées sans méthode ni intelligence. Quelques-unes de ces règles ne peuvent être que le résultat d'une culture géométrique assez avancée; mais l'absence de démonstrations et l'oubli de certaines conditions géométriques essentielles nous prouvent que le compilateur n'a même pas compris l'esprit des propositions qu'il énonçait. Loin de les avoir trouvées lui-même, il n'a donc fait que les copier; et, comme la littérature indienne ne nous présente, pour les temps antérieurs au VII° siècle, aucune trace des travaux spéculatifs qui eussent pu conduire les Hindous à la découverte des vérités géométriques mentionnées par Brahmagupta, nous devons conclure que cet auteur a puisé, médiatement ou immédiatement, ces vérités à une source étrangère et qu'il s'est probablement contenté de reproduire servilement des recueils de second ordre, qui devaient être, par rapport aux ouvrages de géométrie spéculative, à peu près ce qu'étaient les manuels des astrologues alexandrins, par rapport aux ouvrages scientifiques d'Hipparque et de Ptolémée.

Il me reste à prouver l'existence de ces recueils, à montrer qu'ils ont tous une origine grecque, et qu'ils furent, pour la plupart, composés avec des extraits plus ou moins bien faits des ouvrages du mathématicien Héron l'ancien. Je m'appuierai, pour

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cela, sur un savant mémoire de M. Th. H. Martin où l'auteur a étudié, comparé et classé, suivant leur nature, leur origine et l'époque de leur rédaction, les différents fragments mathématiques grecs qui nous sont parvenus sous le nom d'Héron, les uns imprimés, les autres conservés seulement en manuscrits dans diverses bibliothèques. Mais ici je ne pourrai que citer les résultats auxquels une analyse minutieuse des textes a conduit M. Th. H. Martin, et je prierai le lecteur d'accepter ces résultats sans démonstrations, me réservant de ne discuter avec détails que les points qui intéressent directement mon sujet.

G. NOEL.

1 Recherches sur la vie et les ouvrages d'Heron d'Alexandrie, disciple de Ctesibius, et sur tous les ouvrages mathématiques grecs, conservés ou perdus, publiés ou inédits, qui ont été attribués à un auteur nommé Héron. Dans les Mémoires présentés par divers savants à l'Academie des Inscript., 1re série, t. IV.

T. V

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LA FRANCE NOUVELLE

I

Sous ce titre, M. Prévost-Paradol a écrit un livre qui a préoccupé l'opinion et éveillé à la fois les sympathies et la controverse. Il a esquissé, suivant qu'il le dit dans la préface, le plan d'une réforme générale qui embrasse tout l'État, depuis l'exercice du droit de suffrage, source de toute autorité, jusqu'à l'organisation et au fonctionnement du pouvoir suprême. Nous avons en main la huitième édition de ce livre, qui a donc fait son chemin sans encombre, ce qui est assez rare aujourd'hui. L'auteur, rappelant certaines paroles prononcées au Sénat en 1866, avait pris ses précautions pour se défendre et par la même occasion défendre ceux qui traiteraient ailleurs que dans le journal de semblables sujets, des rigueurs administratives. M. Troplong avait dit, assure-t-il, que, si Platon, Aristote, Cicéron, Montesquieu revenaient au monde, ils ne seraient pas empêchés de produire leurs méditations sur la politique, et de rechercher la meilleure forme de gouvernement. Ce n'était pas trop promettre, et cependant M. Prévost-Paradol ne paraît pas avoir eu dans ces encouragements une confiance absolue'. Nous ne saurions l'en blâmer.

Suivons ici le conseil de M. Troplong, et laissons un mo

'Depuis les élections dernières, la situation en ce sens est heureusement modifiée. Le gouvernement, sur une initiative nettement déterminée, a compris le besoin, sinon de couronner l'édifice de sa constitution, du moins de le réparer et de le recrépir.

ment parler Platon dans son « Traité de la République. » Ce Traité servit de point de départ à la plupart des œuvres qui devaient depuis être faites sur le même thème. Nous ne croyons pas utile de l'analyser ici; on en connaît la substance. Il n'est personne qui n'en ait lu quelque fragment. Il a été traduit dans toutes les langues, nous voulons dire dans celles des pays où l'on a souci des études de l'antiquité. Nous en mentionnerons seulement les parties qui se rattachent à notre sujet. Le corps politique, pour Platon, se compose de trois ordres : le peuple, les guerriers et les magistrats. Le peuple et les guerriers, c'est-à-dire la majorité des citoyens et la force physique de la cité, obéissent aux magistrats; · les magistrats obéissent à la loi. Platon, sentant le besoin de ne pas laisser croire que ces divisions sont arbitraires, prétend les appuyer sur la nature intime de l'homme, chez lequel il découvre la passion, qui correspond au peuple, le courage, représenté par la classe ou la caste guerrière, la raison figurée par les magistrats. Tout cela, on le voit, n'est ni d'une logique très-serrée ni bien solide. Les institutions de sa République seraient aussi impraticables que l'ont été en effet les constitutions qu'il a données. Ce que Platon a établi avec plus de succès, c'est que l'éducation, que nous commençons à peine à comprendre, et que la Grèce avait au moins entrevue, est un objet essentiel pour tous; qu'elle doit former chez l'enfant des dispositions que puisse approuver un jour sa raison. Nous n'en sommes pas là. Une grande partie de l'éducation qui nous est fournie doit être malheureusement par nous rejetée à certains moments, comme un bagage nuisible.

De Platon et sa République, passons à saint Augustin et à la Cité de Dieu, du philosophe grec au philosophe d'Afrique. La distance est grande, et nous ne sommes pas bien sûr que le livre si vanté de la « Cité de Dieu » mérite la réputation qui lui a été faite.

Rome avait été saccagée. Le monde ancien était ébranlé, les fortes digues étaient brisées. Un flot de barbares, une véritable inondation d'hommes s'était répandue sur l'Italie. Nul n'était en état

Ce sujet de la République ou, pour être plus exact, du meilleur gouvernement de la cité, fut un de ceux qui passionnèrent les Grecs. Les Grecs ne pensaient pas qu'on pût se désintéresser de la politique. Protagoras, avant Platon et vant Aristote, qui avait recueilli les lois de cent cinquante-huit États, aujourd'hui perdues, et à qui nous devons une Politique, Antisthènes, Diogène le Cynique, Zénon le Stoïcien, Théophras Démétrius de Phalère ont fait leur traité du gouvernement ou de la République.

D

de prévoir si cette alluvion nouvelle n'allait pas tout détruire. Ceux de la vieille religion disaient hautement que, depuis que le culte chrétien avait pris racine sur ce sol voué à tant d'autres dieux, de plus en plus les calamités étaient venues fondre sur lui. Vengeance divine! Le champion du Christ entreprit de démontrer,—pourquoi non? que l'idolâtrie ou l'adoration des vieux dieux ne pouvait suffire à procurer le bonheur aux hommes « sur cette terre, quand même on y joindrait la philosophie. C'était prendre le monde par ses intérêts matériels. Il oppose à la cité terrestre, celle des élus, le royaume d'en haut, dont quelques fragments subsistent dispersés dans la cité d'en bas. Pour lui, cette cité terrestre, militante, accablée de maux comme la cité dolente du poète du moyen âge et à laquelle on offre d'être toute en Dieu, n'est qu'un fantôme. Que nous sommes loin de Platon, qui du moins avait l'idée d'un ensemble harmonieux et humain, pour qui les institutions sociales doivent tendre à la liberté, à l'unité; qui considère la liberté comme la soumission de tous aux lois de la raison, et l'unité comme le résultat de l'accord de toutes les volontés faisant plier l'intérêt indivi– duel devant l'intérêt général ! Le type de perfection morale que l'homme peut concevoir et trouver en lui-même est appliqué par Platon à la société humaine. Pour le Père de l'Eglise, c'est ailleurs, dans un objet hors de sa portée, qu'il doit prendre son modèle. Sa cité divine est quelque chose qui tient de la Jérusalem céleste et de l'Eglise toujours assiégée, humble et sûre d'elle-même, parce que les portes de l'enfer, -nous n'avons jamais bien su ce que c'étaient que ces portes, ne prévaudront pas contre elles. Cette cité céleste est toute métaphysique et surnaturelle. Il suffit d'aimer Dieu jusqu'à nous mépriser nous-mêmes, pour nous y éle– ver, comme il suffit de nous aimer jusqu'à mépriser Dieu, pour nous abaisser jusqu'à la cité terrestre.

On ne peut pas dire qu'il y ait là, dans aucun des vingt-deux livres qui composent le Traité, une constitution pour une société. La Cité de Dieu est une homélie souvent éloquente, une amplification chrétienne et non point philosophique, comme le voudraient ceux qui font profession de l'admirer. Saint Augustin établit assez bien l'inanité des anciens dieux de Rome, ce qui n'était pas difficile; il plaint tour à tour et il raille les sectateurs du vieux culte : « O erreur! s'écrie-t-il, digne d'une immense pitié! » Quand Rome fut prise et brûlée par les Gaulois, les oies veillèrent sur les dieux assoupis!» Le trait est sanglant, mais le dialecticien échoue

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