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la faune et de la flore. Il y a un fait bien remarquable, c'est que ceux des animaux, tels que le porc et le boeuf qui offraient une véritable difficulté de domestication, sont précisément les espèces qui, depuis la fin de l'époque quaternaire, commencent à donner des variétés nombreuses; il est plus que probable que la difficulté d'existence pour certaines races moins robustes que leurs sœurs, les disposa beaucoup à se rapprocher de l'homme qui leur procurait un abri certain. L'homme, de son côté, était déjà assez intelligent pour comprendre que ce voisinage inoffensif lui assurait des provisions de bouche toutes trouvées, sans qu'il eût besoin d'exposer sa vie à la chasse, dans des lieux mal fréquentés; aussi protégea-til la propagation des races les moins féroces, en lieu sûr, en veillant à leur entretien et à leur reproduction; grâce à ce soin, ces races ont survécu à la plupart des autres, malgré les raisons qui les condamnaient à ne pas vivre.

Outre les habitations paludéennes de la Saône, des habitations lacustres ont été trouvées dans le lac du Bourget, en Italie, en Irlande, etc.

L'Angleterre a fourni des stations de cet âge dans les lits récents des rivières, formés par le déblaiement de l'ancien fond de certaines vallées post-glaciaires.

Les tourbières, dans tout le nord de l'Europe, contiennent souvent des traces de cette époque, où l'homme se hasardait hardiment, et voyait son industrie se développer tranquillement au milieu d'animaux dont un petit nombre seulement était hostile; quelques-uns même recherchaient son appui et commençaient à s'attacher à lui.

Dans l'Italie centrale et dans la Sicile, l'homme habitait encore les cavernes ou le voisinage des montagnes, et s'aventurait peu dans la plaine, en dehors des bords des fleuves. En Etrurie, on a trouvé des armes datant de l'époque de la pierre brute et du commencement de la pierre polie; mais on n'a trouvé aucune trace du développement complet de cette dernière phase, qui précéda l'emploi des métaux, tandis que la période de l'emploi des métaux est bien développée.

En Égypte, sur les frontières du Sahara, on a trouvé, sous le sable, des haches de silex semblables à celles d'Europe; à Babylone, dans les fouilles qui exhumèrent les animaux colosses de pierre, on a trouvé des pierres dures parfaitement polies, ayant probablement servi à des rites religieux.

Aussi les faits les plus récents tendent à prouver que la découverte d'un instrument de pierre, taillé d'une certaine façon, est bien loin d'indiquer un âge déterminé pour les hommes qui l'ont produit. L'emploi de la pierre (surtout de la pierre polie) subsiste bien longtemps après l'introduction des métaux, très-probablement pour des usages religieux.

Certains archéologues, admettant que l'introduction d'armes en métal est toujours l'indice de la conquête chez de telles peuplades, en ont conclu qu'il a dû y avoir fusion des vainqueurs avec les vaincus et adoption des mœurs des autochthones, ce qui indique que les deux races en présence étaient peu différentes. Au contraire, le passage de l'âge de la pierre brute à la période suivante paraît, dans une grande partie de l'Europe, dessiner des différences plus radicales. La substitution d'une race qui connaissait l'agriculture et la domestication, à une race de chasseurs disséminés dans des cavernes, se fit probablement très-vite, grâce au nombre des tribus nouvelles.

Les traces de carbonisation visibles dans tous les villages lacustres, traces qui sont bien évidentes sur les pilotis et les céréales, prouvent que les palaffites de l'âge de la pierre ont tous été détruits par l'incendie; l'abondance de toutes les richesses. de ces tribus montre aussi que le feu a englouti des combattants qui avaient emporté tous leurs trésors dans leur asile. Les palaffites de l'âge de bronze s'établirent immédiatement à côté des précédents, et eurent le même sort après une vie analogue à leurs prédéces

seurs.

Il est bien important de remarquer que ces mots âge de la pierre, âge du bronze, ne sont pas destinés à marquer des périodes fatales dans le développement de l'humanité. Les choses ne se sont pas passées partout comme en Europe; ainsi, d'après ce qu'il a été dit des silex du Liban, de l'Égypte, de l'Assyrie, on voit que la pierre était employée comme arme à des périodes peu éloignées des annales historiques, tandis que les sauvages actuels de l'Amérique ont passé subitement de l'âge de la pierre à la phase de l'âge de fer où la poudre est employée dans les armes de jet.

Les armes de silex se trouvent aussi, en dehors des lacs et des vallées, dans les tumulus et les monuments mégalithiques. Dans l'Aveyron, on rencontre des fossés circulaires isolant des pitons dont le sommet forme ainsi un château-fort (M. Cartailhac).

Tous ces monuments mégalithiques, dolmens, tumulus, men

hirs, cromlechs, allées couvertes, sont du plus grand intérêt pour l'histoire des races qui ont occupé le sol; mais, la plupart du temps, il est impossible d'en fixer l'âge d'une façon satisfaisante; les uns ne renferment que des armes de silex, les autres des armes de bronze mélangées avec des armes en silex. Ceux qu'on attribue généralement à l'âge de la pierre polie sont beaucoup plus récents. L'objet de tous ces monuments paraît avoir été l'accomplissement de cérémonies religieuses; et, dans cette hypothèse, il est bien possible que les prêtres de l'âge de bronze ne voulussent employer que la pierre, de même que, dans les rites romains, le bronze seul était employé aux sacrifices. Ces monuments se trouvent surtout en Bretagne, en Irlande, dans le midi de l'Angleterre, où fleurissait l'influence sacerdotale à la limite des temps historiques; comme les ornements qui se voient sur les parois intérieures des grandes pierres sont les mêmes que ceux qui décorent les armes celtiques (M. Henri Martin), il est probable que ces monuments sont bien moins anciens que les palaffites et n'appartiennent pas à l'âge où on ne connaissait que la pierre polie et pas encore le métal. Enfin, il paraît difficile de croire qu'avec des haches en silex on ait pu, sans moyen mécanique plus puissant, parvenir à manier des blocs de plusieurs mètres cubes, et surtout à les disposer en très grand nombre d'une façon régulière. Aussi, croyons-nous que bien peu de ces monuments appartiennent à l'âge de la pierre. Citons cependant le monument d'Argenteuil, dont les murs étaient construits en petits matériaux sans préparation. Le sol paraît avoir servi de tombeau; il contient des armes de la pierre polie, emmanchées comme celles des palaffites, des ossements d'animaux, parmi lesquels on a constaté le castor, preuve de la haute antiquité de ce monument.

Les tumulus donnent lieu aux mêmes observations; comme les monuments mégalithiques, ils sont disséminés dans toute l'Europe, et, dans chaque contrée, disposés d'une façon plus ou moins spéciale. Un assez grand nombre paraît remonter à l'âge de la pierre; ils se distinguent généralement de ceux de l'âge du bronze en ce que les cadavres qu'on y ensevelissait étaient assis intacts au lieu d'être brûlés. Les squelettes ont encore auprès d'eux, comme cela se pratique chez les sauvages, leurs armes et leurs parures. Mais, même pour les tumulus dont l'ancienneté est incontestable, il n'est pas certain que des peuplades plus récentes n'aient fouillé ou habité ces sépultures, bien des siècles plus tard.

Il reste acquis à la science que l'Europe était habitée par l'homme à la fin de la période tertiaire, ou au moins à la première partie de la période quaternaire, celle qui fut témoin des phénomènes glaciaires et de leurs conséquences. Les premiers temps de l'occupation humaine témoignent, pendant une longue série de siècles, de la barbarie la plus ignorante; cet état dura encore au commencement de l'ère moderne pendant laquelle les animaux éteints avaient disparu pour faire place à une faune composée d'animaux vivants sur le sol actuel ou émigrés plus au Nord. Plus tard, l'apparition de la pierre polie assiste dans chaque endroit à l'émigration des espèces qui ne s'y trouvent plus aujourd'hui, à la naissance de l'agriculture, de la domestication, d'une industrie raisonnée. A ce moment, les tribus se groupèrent, soit qu'elles fussent nomades, soit qu'elles en vinssent à peupler de leurs villages les lacs de la Suisse ou les plages de la mer du Nord. La vie d'alors ne peut être mieux comparée qu'à celle des sauvages actuels; etnulle part on n'est parvenu à découvrir de traces d'une civilisation délicate qui serait l'œuvre de peuples intelligents. Aussi estil permis d'affirmer d'après les faits connus, que plus on remonte aux débuts de l'humanité, plus on trouve la main grossière et l'esprit imparfait. Si l'homme a pu étendre sa domination sur tout le globe, c'est par l'ensemble d'une foule de circonstances, parmi lesquelles il faut citer la disparition des animaux quaternaires, la domestication des variétés d'espèces qui étaient à leur déclin, et le perfectionnement graduel de ses moyens d'action, s'exerçant d'abord pour la lutte vitale, puis pour le bien-être quand l'inquiétude des premiers temps vint à disparaître. L'adaptation merveilleuse d'un corps parfait par son port et par sa souplesse avec une intelligence supérieure à celle de tous ses contemporains fit de lui, même à l'époque la plus grossière, le seul être capable de tirer parti de tous les trésors que la nature.déposait en lui. Aussi le premier progrès sur la barbarie fut-il rapidement suivi d'un grand nombre d'autres, qui s'effectuèrent pendant les périodes suivantes, celles pendant lesquelles on connut les métaux, l'âge du cuivre, puis l'âge du bronze, et enfin l'âge du fer qui commence la période historique.

E. JOURDY.

LA SCIENCE GÉOMÉTRIQUE

DANS L'INDE ANCIENNE

(Premier article)

En consultant, il y a quelques mois, le célèbre ouvrage de M. Chasles sur les méthodes en géométrie ', livre si remarquable au point de vue de l'histoire et de la philosophie de la science de l'étendue, j'y rencontrai une assertion historique qui ne laissa pas que de me surprendre.

Dans sa note sur la géométrie des Hindous', après avoir analysé les traités mathématiques de Brahmagupta et de BhascaraAcharya, M. Chasles n'hésite pas à déclarer que les Indiens ont su allier l'algèbre à la géométrie, art inconnu aux Grecs; qu'ils ont employé d'un côté l'algèbre pour abréger et faciliter les démonstrations géométriques, de l'autre la géométrie pour démontrer des règles d'algèbre et les peindre aux yeux par des figures; qu'en un mot ils ont su exprimer graphiquement les formules : procédé que Viète, le premier chez les modernes, a appliqué dans toute sa généralité. Il en conclut, en s'appuyant sur le témoignage de M. Libri, qu'il y a eu dans l'Inde une culture scientifique originale, qui poussa les choses, en algèbre, jusqu'à la solution graphique de l'équation indéterminée du second degré, et, en géométrie, jusqu'à la théorie du quadrilatère inscrit et l'expression de la surface de cette figure en fonction des quatre côtés : deux résultats dont on ne trouve trace chez aucun auteur grec.

Cette conclusion, je le répète, me frappa, et je lui opposai, immédiatement, plusieurs raisons sociologiques qui m'empêchèrent tout d'abord d'y souscrire.

1

1837.

Je me représentai, en premier lieu, l'état de la société hindoue

Aperçu historique sur l'origine et le développement des méthodes en géométrie. Bruxelles

' Voy. loc. cit. note XII, p. 416-456.

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