de la civilisation. C'est lui qui régit l'ère moderne et qui régira encore davantage l'ère future à titre de doctrine philosophiquement positive. Mais il eut un long et difficile passage à franchir entre notre ère moderne et le vieux paganisme; la civilisation chrétienne se chargea de cet office; et l'histoire doit lui en garder une profonde et durable reconnaissance. En présence des résultats fournis par l'histoire des théologies et la recherche des origines de leurs mythes, l'érudition déclare que la religion est psychologique. Il faut pénétrer dans le sens de cette proposition. Dire que la religion est psychologique, c'est dire qu'elle provient d'un travail des facultés mentales; et, comme en remontant, les dogmes ou mythes revêtent des formes de plus en plus simples et concrètes, on reconnaît que cette création rentre dans la grande catégorie des passages du concret à l'abstrait, qui forment un degré si important de l'évolution humaine. Autre chose, on le sentira bien vite, est d'énoncer à un point de vue rationaliste, que la crainte la première a fait les dieux dans le monde, ou que les dieux sont une adroite invention de fourbes qui ont subjugué de la sorte les hommes, ou que l'homme a supposé les dieux par l'impulsion qui le portait à assimiler les mouvements qu'il voyait autour de lui, à la volonté qu'il sentait en lui; autre chose, dis-je, est de combiner ces inductions plus ou moins · plausibles, ou d'arriver de proche en proche à un terme, à un objet dans lequel l'homme introduit une idée supérieure destinée à devenir à son tour matière de développements plus grands. Le procédé est meilleur, et le résultat l'est aussi; car on substitue une observation effective à une conjecture rationnelle. M. Ch. Robin. dans un important mémoire que la Revue vient de publier, a montré que l'embryogénie est une œuvre d'antécédent à conséquent, c'està-dire que la partie préexistante produit, à l'aide de matériaux apportés par la nutrition et ayant aussi leur manière d'être, une nouvelle partie complètement déterminée par ce qui l'a produit et par ce qu'elle est; cette nouvelle partie est, de la même façon, cause de la genèse d'une partie suivante, et ainsi successivement jusqu'au complément de l'être organisé. Tout à fait semblable est l'embryogénie mentale qui, à l'aide de la conception préexistante et de matériaux nouveaux amenés par l'expérience et la réflexion, engendre un nouvel ordre de conceptions, et ainsi de suite jusqu'aux plus compliquées qui forment la trame de nos opinions et de nos mœurs. Dans cette embryogénie, les religions ont leur pláce; il est un temps où elles n'existent pas, elles naissent de quelque conception concrète proportionnée à l'intelligence rudimentaire des hommes primitifs; elles se développent en étendue et en profondeur, à mesure que la théologie met à profit tout ce qui s'acquiert d'éléments intellectuels; enfin l'ébranlement en commence quand on reconnaît qu'elles sont psychologiques, c'est-à-dire des produits de l'embryogénie mentale. Une fois sur cette voie, il est naturel que l'érudition recherche l'origine précise de l'idée de dieux ou de dieu. Déjà on a tenté des essais, du moins pour le groupe aryen. Plusieurs indices dans le culte, dans les anciens usages, dans la langue, portent à croire que c'est le feu qui a suggéré l'idée d'une puissance divine ou surnaturelle. La découverte de ce puissant agent, les effets terribles qu'il produit quelquefois sur la terre, la liaison qu'on établit avec les feux de l'éclair et de la foudre, enfin l'assimilation plus lointaine avec le soleil et les étoiles, tout cela réuni paraît avoir produit chez les nations aryennes la notion abstraite de Dieu. Il n'est pas du tout sûr, il n'est pas même probable que cettè origine ait été la même chez tous les groupes humains. C'est à l'érudition à reconnaître, si elle peut, dans les faibles indices laissés de temps si reculés, les échelons par lesquels les anciens hommes s'y sont élevés; car il paraît bien que cette ascension a été opérée partout. Cependant, même encore aujourd'hui, on cite quelques rares peuplades, très-misérables d'ailleurs de toute façon, chez qui cette idée ne s'est pas dégagée. Cela, qui ne semblait pas concevable dans l'ancienne théorie des idées innées, c'est pleinement du moment qu'il a fallu passer par une ascension du concret à l'abstrait. Du concret à l'abstrait! Qu'on se figure, avec la connaissance qu'on a maintenant de l'homme pré-historique, quel a été ce concret dans sa simplicité et sa nudité primordiales ! Les langues nous conservent maintes traces de cette idéalisation; et, quand on considère qu'un radical pivo, manere, demeurer, rester sur, a produit pévog, mens, l'intelligence, et qu'un autre radical signifiant souffler, a produit spiritus, l'esprit, on reconnaît que l'abstraction est un vrai symbolisme. C'est de la sorte qu'à mesure du développement sont nés le mythe, la religion, la poésie. Cela, j'en conviens, a produit dans le détail parfois d'étranges choses; mais ceux qui accusent de déraison l'ensemble, aveuglés par l'idée métaphysique d'une raison absolue, perdent de vue la trame de la raison relative que tisse l'humanité. Cet ensemble a pour lui le fait, le résultat ; car il a conduit l'homme aux hauteurs de la civilisation; mais il a aussi pour lui la théorie; car on ne peut passer du concret à l'abstrait que par le symbole. Nous venons de voir comment l'idée de dieu s'est faite parmi les hommes; il faut voir comment elle s'y défait; car il est manifeste qu'aujourd'hui elle s'est défaite parmi beaucoup, et qu'elle va tous les jours se défaisant. Ici j'ai des réserves à énoncer, réserves qui sont le propre de la philosophie positive. Je ne veux substituer et défendre ni un panthéisme, ni un matérialisme quelconque, ni le hasard ni le destin. L'idée de causes premières et d'univers nous est absolument inaccessible; nous ne connaissons, en fait de causes, que des causes secondes, et en fait d'univers, que le coin où nous sommes placés, coin toujours très-petit quand même on y adjoindrait les millions de soleils que découvre le télescope. Au-delà, affirmer ou nier est devenu également puéril. Oh! si, par le discours, je pouvais représenter, comme je la sens, la faiblesse de l'esprit humain, qui ne s'élève que du simple au composé et de proche en proche, et pour qui l'immensité n'est toujours qu'un abîme et jamais une solution, j'inspirerais le regret de perdre en spéculations vaines désormais les forces effectives de l'intelligence. De même que, dans l'ancienne loi, la crainte du Seigneur est le com mencement de la sagesse, de même, dans l'ère moderne, ce regret est le commencement de la vraie philosophie. L'idée de dieu se défait de deux manières différentes : l'une objective, l'autre subjective. La manière objective est celle qui cherche dans les objets extérieurs les conditions de leur existence; la manière subjective est celle qui cherche dans le sujet les conditions de la production de ses idées. La recherche des conditions de l'existence des objets, de quelque façon qu'elle ait été conduite, même avec tous les préjugés d'éducation que les savants avaient reçus comme les autres, n'a jamais, en aucun de ses domaines, rencontré quoi que ce soit de surnaturel, aucun être suprême ou autre qui fût en dehors du monde et eût son existence à part; l'idée de Dieu n'est au bout d'aucun des chemins que les sciences ont suivis et suivent encore; et elle est devenue une hypothèse dont non-seulement on peut se passer, mais dont on est obligé de se passer dès qu'on spécule scientifiquement. La recherche des conditions de la production des idées a d'abord, par un travail opi niâtre et régulièrement conduit, dissipé l'entité des idées innées, hypothèse provisoire de la métaphysique; puis, à l'aide de l'association des idées et du passage du concret à l'abstrait, qui n'est qu'une dérivation de l'association, elle a ramené le développement de l'esprit humain, non à une révélation suprême ou à une innéité primitivement savante, mais à un progrès qui part des plus humbles rudiments. De son côté, l'érudition retrouve archéologiquement les traces des vieilles associations d'idées et du passage du concret à l'abstrait. Ainsi tout concourt et se confirme. La destruction n'a pas été sans reconstruction. En place s'est élevée la grande conception des lois naturelles qui gouvernent toutes choses, l'homme comme le reste, et desquelles on n'obtient rien par la prière, mais on obtient beaucoup par le savoir et par le travail. Non sans remarquer une dernière fois que nous ignorons absolument l'origine de ces lois; que des choses nous connaissons non la nature, mais les impressions qu'elles font sur nous; et que le résultat de ce haut scepticisme est de confesser en nous-mêmes qu'elles peuvent être en leur essence toute différente de ce que nous en apercevons. Quoi qu'il en soit, le savoir et le travail sont devenus les directeurs de la vie humaine. Avec eux, une morale supérieure à la morale théologique arrive sur la scène du monde : c'est la justice sociale, c'est l'humanité, c'est la tolérance, c'est la paix, c'est la subordination des intérêts privés à l'intérêt commun. Les maux deviennent moindres, les biens deviennent plus grands, et la terre s'éclaire et s'apaise. É. LITTRÉ. On sait qu'en économie politique, le mot capital a un sens trèsprécis; et, au point de vue de la terminologie scientifique, il est important de circonscrire ce sens en n'y comprenant qu'un certain nombre de facteurs de la production. On évite ainsi les malenten– dus qui résultent si souvent de l'emploi d'un même mot avec des significations différentes. Le capital doit être incontestablement considéré comme le résultat de la productivité de la terre et du travail, résultat qui, à son tour, devient un élément indispensable de toute nouvelle production. Cependant il y a des cas où le capital doit être entendu dans un sens plus large, embrassant à la fois toutes les conditions de la production; et ceci arrive, par exemple, lorsqu'on se propose de rechercher les analogies qui existent entre toutes ces conditions. Quelques économistes sont arrivés ainsi à capitaliser le travail, c'est-à-dire la force physique et intellectuelle de l'homme; d'autres ont essayé de transformer en capital les forces productives de la nature en général et en particulier la fertilité du sol. Nous suivrons ici leur exemple, et nous entendrons par capital, non-seulement les produits du travail, mais encore le travail lui-même et les richesses matérielles de notre planète; nous agirons ainsi non point pour changer la terminologie admise, mais uniquement pour faciliter l'exposition de nos idées sur la rente. Nous distinguons donc ainsi le capital-travail du capital-produit du travail et du capital-nature. Tous ces capitaux ont cer 1 Voir le numéro de Septembre-Octobre 1869. |