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Mercure. Ce maître pourtant ne t'a pas encore appris la sagesse.

Prométhée. En effet; sans cela te parlerais-je, vil esclave?

Mercure. Ainsi, tu ne veux rien dire de ce que mon père désire savoir ?

Prométhée. Eh! je lui dois tant! il lui faut un témoignage de ma reconnaissance!

Mercure. Tu railles; me prends-tu pour un enfant?

Prométhée. N'es-tu donc pas un enfant? que dis-je? plus simple qu'un enfant, si tu t'attends à tirer de moi quelque réponse! Il n'est aucune torture, aucun artifice, qui me force jamais à dévoiler ce secret à Jupiter. 11 peut à son gré faire jaillir la flamme étincelante; il peut lancer à la fois et la neige à l'aile blanche et les foudres souterraines, il peut confondre, bouleverser l'univers; rien ne me fléchira, rien ne me fera nommer celui qui doit le renverser du souverain pouvoir.

Mercure. Ose, insensé ! ose une fois du moins, vu tes tortures présentes. faire preuve de bon sens.

Prométhée. En vain tes discours m'importunent; c'est parler aux flots de la mer. Ne va pas te mettre jamais dans l'esprit que moi, effrayé par l'arrêt de Jupiter, je deviendrai faible d'esprit comme une femme, que j'irai, comme une femme, lever des bras suppliants vers celui que j'abhorre de toute ma haine, et le conjurer de briser mes fers; loin de moi cette lâche pensée.

Mercure J'en dis trop, je le vois, et je parlerais désormais en vain ; més prières n'émeuvent ui ne fléchissent ton cœur.

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Le chour. Ce que dit Mercure n'est pas sans raison. Il t'engage à calmer un orgueil obstiné, à suivre la sagesse et la prudence. Ecoute ses conseils ; persévérer dans la faute est honteux pour le sage.

Prométhée. Eh! ce qu'il vient m'annoncer, je le savais un ennemi est frappé par son ennemi, rien n'est plus simple. Et maintenant, tombez sur moi, foudres aux sillons tortueux, à la pointe meurtrière; tonnerre, vents furieux, déchainez votre rage dans les airs: faites bondir sur ses fondements la terre avec ses racines; confondez dans l'effroyable tourbillon les flots de la mer et les feux des astres; que Jupiter précipite dans le noir Tartare mon corps entrainé par une violence irrésistible; n'importe : Je ne périrai pas. >>

Et, comme la grande scène du Roi Lear, le drame d'Eschyle s'achève parmi le fracas de la tempète.

Louis VIARDOT.

BIBLIOGRAPHIE

4° Les Alarmes d'un Père de famille, suscitées, expliquées, justifiées et confirmées par lesdits faits et gestes de M. DUPANLOUP et autres, 1-8°, 2e édition;

2° Moments perdus de Pierre-Jean, observations, pensées, rêveries antipolitiques, anti-morales, anti-philosophiques, anti-métaphysiques, anti tout ce que l'on voudra, in-18; par C. ISSAURAT. Chez Germer

Baillière, Paris, 1868.

Voilà deux publications qui, remarquables à divers titres, n'ont obtenu jusqu'ici ni les injures de la presse cléricale, ni les sympathies de la critique émancipée; elles méritaient, selon moi, les unes et les autres, beaucoup par leur valeur propre, un peu par les antécédents de l'auteur. M. Issaurat est, en effet, l'un de ces courageux citoyens qui, au moment où le Coup d'Etat vint faire main basse sur nos libertés, furent brutalement expulsés du sol de la patrie pour cause de fidélité aux prinstullorum macipes de droit et de dignité civique. Cet événement

gister est eventus, dirait Tite-Live- cet événement qui frappait M. Issaurat (et tant d'autres)! dans sa carrière, dans ses intérêts privés et moraux, ne porta aucune atteinte à ses convictions démocratiques; mais dix ans d'exil, c'est-à-dire dix ans de souffrances, de difficultés, de désenchantements, murirent son esprit, le forcèrent aux graves méditations, aux fortes études; et, à son retour en France, il avait compris que, si progressive et libérale qu'elle soit, la politique ne vit pas d'expédients, que le présent a sa raison d'être dans le passé, et que le temps est venu où elle doit s'inspirer d'une doctrine générale fondée sur l'ensemble des connaissances réelles et démontrables de là, dans son œuvre, quelques vertes critiques du journalisme au jour le jour, ce qui explique, peut-être, le silence de la presse à son égard De tels cas, exceptionnels il y a dix ans, nombreux aujourd'hui, marquent une phase nouvelle de notre situation, intellectuelle et politique, en même temps qu'ils témoignent de l'aptitude de la philosophie

positive à rallier les esprits égarés dans les négations stériles et dispersés dans les escarmouches sans résultat la Révolution, tant de fois vaincue pour avoir mal éclairé sa marche et mal choisi son terrain. reprend pour combattre ses adversaires le système de cunctation adopté par Fabius contre Annibal, assure tous ses pas et prépare, par la science et par le temps, son triomphe définitif. C'est ainsi que M. Issaurat, sans appartenir à la doctrine positiviste, prend place aujourd'hui parmi ceux que je me permettrai d'appeler les esprits disponibles; » et c'est en quoi sa brochure et son livre se recommandent à l'attention des lecteurs de cette Revue.

Les Alarmes d'un père de famille. On se souvient sans doute d'un pamphlet, les Alarmes de l'Épiscopat, dans lequel M. Dupanloup livre à l'anímadversion des chefs de famille les doctrines dont le propre est de ne relever ni du surnaturel, ni de la légende biblique, ni de l'autorité des textes catholiques; selon le fougueux prélat, la moralité individuelle et la sécurité sociale sont liées d'une manière indissoluble aux dogmes théologiques, voire aux pratiques cultuelles, ce qui implique qu'à moins d'être individuellement christicole et socialement ultramontain, on se trouve ipso facto inapte aux bonnes actions et, par conséquent, indigne de l'estime des honnêtes gens. C'est de l'arrière de Maistre. Les Alarmes d'un père de famille sont la contre-partie de l'affirmation de M. Dupanloup. Il y a, dans la brochure du libre penseur, quelques pages cruelles où rappelant, à la façon de Voltaire, les persécutions, les massacres, les raffinements de barbarie du passé catholique, il énumère à la suite les scandales dont les tribunaux de notre temps ont été saisis et demande à l'agressif et trop oublieux évêque à quelle croyance appartenaient ces moines, prêtres, frères de la doctrine, congréganistes des deux sexes, frappés, publiquement ou à huis clos, de condamnations infamantes. Quoique je goûte peu cette manière de combattre, excellente au XVIIIe siècle, mais puérile aujourd'hui, je n'ai pas le courage de blâmer M. Issaurat les violences de langage du champion de l'ultramontanisme, ses procédés peu équitables de discussion, l'abus qu'il fait de sa situation sacerdotale, laquelle lui permet des attaques calomnieuses que la loi punirait chez ses adversaires, légitiment les représailles. Sans contredit, l'esprit moderne a mieux à faire que d'enregistrer les manquements contradictoires à leurs mandements et surtout à leurs prétentions des moralistes de la doctrine spiritualiste; toutefois, tant que les religions d'État cohabiteront dans nos constitutions avec la liberté de conscience, des brochures comme celle de M. Issaurat auront leur raison d'être. Tant pis pour qui les suscite. Et d'ailleurs, lorsque l'épiscopat s'alarme de l'impiété et de ce que (là pour lui est le péril social) nombre de gens établissent la vérité qui se démontre sur les ruines de l'hypothèse qui s'impose, il n'est pas sans intérêt de savoir quelles sont

les craintes des pères de famille au nom de qui M. Issaurat porte la parole. Ici, je ne puis rien de mieux que de citer:

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« Ce qui nous indigne, nous alarme, nous épouvante, nous effraie, » répondent-ils à M. Dupanloup, lequel s'adressait spécialement à eux:

« C'est que l'on donne en composition, aux élèves d'une institution » ecclésiastique, l'éloge de l'enlèvement du petit Mortara;

» Ce sont les allocutions, encycliques et syllabus, où l'on se plaint que » l'on n'interdise pas les emplois publics aux infidèles;

>> Ce sont ces processions et ces jubilés que l'on voulait faire en sou» venir et en l'honneur d'un guet-apens infâme et d'un massacre horrible » d'hérétiques;

› Ce qui nous alarme, c'est qu'un ministre qui avoue -« qu'aucun gou» vernement n'a plus fait que celui-ci pour l'intérêt religieux »> soit obligé de déclarer « qu'il fallut lutter, en 1852, contre l'envahissement, » contre les prétentions exorbitantes de l'esprit religieux; » — c'est qu'il ajoute «< qu'il s'est fait dans le sens religieux un mouvement énorme » que l'État a le devoir de surveiller; » « qu'il y a des communes où >> la puissance sacrée à laquelle appartient la collation des sacrements >> use de son autorité dans un but qu'il comprend, mais qui n'est pas tou>> jours sans péril; »

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<< Ce qui nous inquiète, c'est que M. de Persigny lui-même écrive: « Il >> existe à Rome un parti organisé par les ennemis de la France, un parti >> qui domine tout, le pape, les cardinaux, les congrégations, le gouverne>> ment; qui, dans sa haine des principes de notre législation civile, joue>> rait, sans hésiter, contre ce qu'il appelle la Révolution, la sécurité de >> vingt papes, et qui, maître de tous les instruments de la puissance spiri»tuelle, n'a d'autre pensée que de les faire servir à la désorganisation » de la France actuelle et au triomphe de ses ennemis; >>

>> C'est que l'on fourre dans la tête des populations, entre autres inepties » et absurdités : « Le choléra est un fameux missionnaire;» — « Satan est » l'auteur unique de tout le mal... épidémies, sécheresses, inondations >> famines, misères, souffrance, mort.... Une des grandes misères de notre >> temps est que, du moins en pratique, on ne croit plus au démon. Le ▸ monstre a beau jeu avec des victimes qui ne veulent plus croire à l'exis»tence du bourreau; >>

» Ce qui nous épouvante, c'est qu'un de vos amés et féaux écrive: « Quand une société est en possession de la vérité, elle doit à la vérité protection, et elle peut empêcher l'enseignement public et officiel de l'er

» reur; »

› C'est qu'aujourd'hui vous poussiez, de toutes vos forces et menaces, » le gouvernement,- qui se passe de vos recommandations et injonctions, » à mettre cette maxime en pratique, à se faire l'exécuteur de vos juge» ments;

» Ce sont les séquestrations d'enfants;

» Ce sont les doctrines de certains professeurs sur l'esclavage, sur les >> promesses, sur les dépôts; .

Ce sont les paroles et les actes de ces prêtres qui prétendent qu'un >> enfant peut quitter le toit paternel et manquer de respect à ses pa>> rents;

>> Ce sont vos libertés que rous n'avons pas;

» C'est l'appui et la faveur dont vous vous prévalez et abusez;

» Cest la masse énorme de petits livres, de journaux, de brochures ou » ineptes ou injurieux contre nous, que l'on répand partout;

» C'est ce nombre prodigieux de séminaires, d'institutions, de couvents >> d'hommes et de femmes, d'écoles de filles et de garçons, qui vont erois>> sant et se multipliant, de l'aveu mème du ministre, et où l'on enseigne » le catéchisme à la façon du père Mariste;

» Ce sont ces milliers d'associations religieuses, de congrégations autori»sées, de tous noms, de tout sexe, de tous costumes, de toutes couleurs >> qui vous soutiennent, vous aident, vous obéissent, exécutent vos ordres >> et constituent votre formidable armée. »>

Certes, le titre de la brochure est justifié. Évidemment, si les Alarmes de l'épiscopat sont fondées quant aux coups irrémédiables que l'avénement de la connaissance positive porte à sa domination spirituelle, celles des pères de famille ne le sont pas moins quant à la situation morale et politique qui serait faite à leurs enfants par le triomphe des partisans du Syllabus.

Moments perdus de Pierre-Jean. — J'ai rangé tout à l'heure M. Issaurat, non parmi les positivistes, mais parmi les esprits disponibles. En effet, si quelquefois dans les moments que Pierre-Jean perd, → j'emploie son mot sans l'accepter, à étudier les plus graves questions qu'il soit donné à l'homme de se poser, si quelquefois, dis-je, il péche contre la méthode et n'arrive pas aux solutions de la philosophie positive, jamais il n'abandonne le point de vue relatif qui est le propre de cette philosophie. Et cela seul suffit à le rapprocher de notre école plus que de toute autre de celles (voire mème du matérialisme vers lequel il incline), qui déploient leur drapeau sur le terrain anti-théologique. Et s'il ne m'est pas encore permis de le saluer par cette parole de l'Écriture:

Populus tuus, populus meus; et Deus tuus, Deus meus, déjà, que de points communs entre lui et nous!

S'agit-il de philosophie générale? Voici par quelle, déclaration débute Pierre-Jean, au moment d'ouvrir, de parcourir, de souligner, d'annoter certain livre de certain docteur en Sorbonne : « Comme on ne peut pas tout » lire, Pierre-Jean a pour règle de ne plus s'arrèter aux prétendues solu» tions de questions insolubles, aux doctrines et systèmes qui, par science » et expérience, ont été démontrés faux, contradictoires et absurdes; et il » répète souvent qu'en morale, comme en politique, comme en philosophie,

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