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quelques animaux changent de contrée ou ont disparu, les cas de ce genre sont bien restreints; c'est ce qui caractérise les temps géalogiques. Mais ces changements parlent peu aux yeux, et l'imagination est beaucoup plus frappée de ce fait que les glaciers envahissaient des contrées aujourd'hui fertiles, et surtout que leur base était habitée, même par l'homme qu'on voit assez volontiers rechercher des climats plus doux.

La quantité énorme de glaces qui s'amoncelait en Europe paraît certainement un fait surprenant et nécessitant une température très-basse. Cependant il est bien probable que le voisinage des glaciers n'était pas rigoureux, surtout à une certaine distance. Le climat de la France est aujourd'hui exceptionnel pour différentes raisons. L'influence du Gulf-Stream pour élever la température moyenne, est bien démontrée par la comparaison du nord de nos côtes avec le Canada, le long duquel circulent les eaux froides que le Gulf-Stream refoule en arrivant vers le pôle ; la température du courant qui naît du golfe du Mexique empêche que la Seine ne charrie comme le Saint-Laurent. Il est donc naturel de supposer que les lignes isothermes se relevaient moins en Europe; de plus, comme on est d'accord à supposer que le Sahara devait être submergé à une faible profondeur, la grande quantité de vapeur d'eau élaborée dans ce bassin surchauffé et arrivant sur les montagnes, rend très-bien compte de l'apparition de masses, dont l'entretien nécessitait une atmosphère chargée d'humidité (Tyndall). De plus, la submersion de la Suède, de l'Ecosse, remplaçant les continents qui fournissent les vents froids du Sud-Est, donnait des vents moins rigoureux. Tout fait donc penser que le climat alors était plus chaud en hiver et plus froid en été, sans qu'il soit nécessaire d'abaisser beaucoup la température moyenne. L'étude de la flore qui suivit l'époque glaciaire a montré à M. de Saporta, que le climat de la France devait, en effet, se rapprocher davantage de celui des îles, où les températures varient dans des limites moins étendues que sur les continents. Il n'est pas nécessaire de supposer une race spécialement organisée pour vivre alors au pied des glaciers, les différences de température étant bien moins sensibles qu'on ne le supposerait. Ce tableau des temps glaciaires, qui paraît tenir un peu du roman par son étrangeté séduisante et son ingénieuse adaptation aux faits qu'il explique, repose sur des discussions approfondies; et, si la solution exposée n'est pas

définitive, elle se rapproche de l'exactitude autant qu'on peut le désirer avec nos connaissances actuelles.

Il est probable, comme le démontrent les tourbières de Schussenried, que l'homme habitait non loin des glaciers, y faisait de fréquentes excursions, attiré par l'appát des troupeaux de rennes, tandis que le séjour dans la plaine était pour lui beaucoup trop dangereux. Mais il sera toujours difficile de se faire une idée exacte de ce séjour, les traces que l'homme a pu laisser dans ces parages ayant le plus souvent disparu lors de leur fusion.

E. JOURDY.

(La fin au prochain numéro.)

DE L'ENSEIGNEMENT INTÉGRAL

L'idée d'instruction intégrale n'est que depuis peu arrivée à complète maturité. Rabelais est, je pense, le premier auteur qui en dise quelques mots; nous y lisons, en effet, que Ponocrates apprenait à son élève les sciences naturelles, les mathématiques, lui faisait pratiquer tous les exercices corporels, et profitait des jours où l'air estoit pluvieux », pour lui faire visiter les ateliers et y mettre lui-même la main à l'œuvre. Mais cette conception demande à être développée et rendue applicable à tous les hommes. A cet égard il reste encore beaucoup à dire, même après, l'Emile, où l'auteur consacre toutes les facultés d'un homme à en élever un seul autre dans un milieu artificiellement disposé pour 'atteindre cet unique but.

L'idée moderne est née du sentiment profond de l'égalité, et du droit qu'a chaque homme, quelles que soient les circonstances où le hasard l'ait fait naître, de développer, le plus complètement possible, toutes ses facultés physiques et intellectuelles. Ces derniers mots définissent l'Enseignement intégral.

Beaucoup d'esprits sincères s'effraient d'un semblable rêve. et ont peine à se débarrasser des idées communes sur l'enseignement primaire, secondaire et supérieur. A quoi, disent-ils, peut-il servir à un manouvrier de connaître les spéculations scientifiques, les beaux-arts, les chefs-d'oeuvre littéraires? Loin de lui être utile, cette science lui fera prendre en dégoût son humble mais nécessaire travail; il voudra acquérir une position moins fatigante, et, si la misère le rive à l'atelier, à la terre ou à la mine, il s'y trouvera bien plus malheureux que son voisin complètement illettré. Chaque

jour il se présente des occasions plus ou moins parfaites de confirmer cette remarque.

Il importe avant tout de réfuter cette objection. Chaque homme doit être considéré à deux points de vue: comme être isolé, indépendant, complet par lui-même, et comme organe de la collectivité. Aucune de ces deux manières de l'envisager ne peut être sacrifiée à l'autre. Comme être distinct et complet, il a droit au complet développement de ses facultés; comme organe de la collectivité, il doit lui apporter sa part du travail total nécessaire. Si ce travail est réparti selon la justice entre tous les hommes; si les besoins extravagants de quelques uns d'entre eux ne viennent pas déranger profondément l'équilibre entre la consommation et la production; si les instruments créés par l'industrie moderne sont, comme il convient, à la disposition du travailleur ; en un mot, si le travail est rationnellement organisé, et si les produits en sont équitablement répartis, la part de travail exigible de chacun sera très-notablement réduite, et le temps de loisir très-augmenté.

Cette espérance ne paraîtra pas chimérique si l'on considère le nombre immense des gens qui consomment plus qu'ils ne produisent, de ceux qui consomment et ne produisent pas, surtout des travailleurs négatifs qui consomment beaucoup et détruisent encore plus. Dans notre nouvelle répartition, il resterait au plus mal partagé bien des heures à consacrer à son repos et aux nobles jouissances qui contribuent à l'amélioration intellectuelle. Il y aurait d'ailleurs comme compensation aux occupations matériellement dures et fatigantes, qu'elles laissent toute liberté à la pensée. Que d'ouvriers' de la plume, considérés comme privilégiés par le manouvrier, changeraient avec joie, leur besogne, que l'on croit si douce, contre un travail, matériellement plus rude mais moins absorbant!

Pendant la période de transition, l'objection à laquelle nous répondons subsiste; mais, loin d'en redouter la conséquence, nous ne pouvons qu'applaudir à la salutaire excitation que la culture intellectuelle donnera au travailleur manuel. Il comprendra, en effet, qu'il ne suffit pas qu'il s'efforce de quitter sa position pour aller chercher ailleurs le bonheur auquel il sent qu'il a droit, mais que, comme sa fonction doit être remplie, il faut que l'organisation sociale se modifie de telle sorte qu'il puisse être heureux là où il est. En un mot, il ne cherchera pas à jouir d'un nouveau privilége, mais simplement à obtenir pour lui et les autres le simple dû selon la justice.

C'est donc au nom de la justice que nous voulons pour tous l'enseignement complet, intégral. Il n'y a que ceux qui partent du vieux principe théologique qui puissent classer les hommes en deux castes ceux qui travaillent et ceux qui jouissent, ceux qui obéissent et ceux qui commandent. La justice ne peut consacrer l'inégalité.

Une autre considération démontre l'utilité sociale de la généralisation de l'enseignement intégral. Les hommes fondent leurs jugements sur ce qu'ils ont appris. Rien n'est plus dissemblable que les connaissances des divers individus. Laissant de côté la prétendue uniformité du régime universitaire, auquel d'ailleurs une trèsfaible minorité a été soumise, il ne nous reste à peu près que des spécialistes. De là sur toutes choses les opinions les plus dissemblables parmi ceux qui raisonnent; de là les préjugés ou l'indifférence de la majorité sur la plupart des questions. Cette diversité, qui n'a que de faibles inconvénients pour les questions de détail, est très regrettable pour ce qui concerne les questions fondamentales.

Que l'éducation de chaque homme ait pour base non une portion restreinte des connaissances humaines, mais leur ensemble; et nous verrons disparaître sur les grandes questions de principe les funestes divergences qui retardent si notablement les progrès de l'humanité.

Or, nous marchons à la réalisation de ce beau rêve. Pendant que ceux qui, depuis des siècles, ont imposé leur domination aux peuples sous promesse trompeuse de les rendre heureux, se querellent, se battent sur les épaules de leurs sujets, et même se fêtent aux dépens de leur bourse, la minorité intelligente des travailleurs, complétement désabusée, s'entend, s'organise et remonte activement le courant de la décadence dans laquelle les despotes tendent à précipiter l'humanité. Depuis près de cinq ans, laissant de côté l'idée rétrograde de nationalité, des prolétaires de tout pays s'unissent en Association internationale.

Par son étendue, celle-ci échappe aux caprices des souverains. Si, dans un pays, un pouvoir ombrageux, - ou clairvoyant, poursuit ses membres, il ne peut empêcher l'association de progresser d'autant plus rapidement partout ailleurs, et les opprimés du pays d'être de cœur avec les émancipés des contrées voisines.

Par ses tendances scientifiques positives, par sa recherche active T. V

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