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a appelé à la science corrigée, contre la décision d'une science égarée; et la théorie objective, rationnelle de la valeur, construite sur la base solide de l'histoire, a dissipé les nuages métaphysiques qui entouraient d'un voile si épais les questions de capital et d'intérêt et montré que, si même les sociétés étaient destinées à périr un jour d'impuissance sénile, ce n'est pas l'abaissement de l'intérêt qui en serait la cause, que cet abaissement, au contraire, est un symptôme certain du bien-être et de la richesse.

Une des conséquences les plus importantes, par ses résultats pratiques, de la fausse théorie de l'épargne, c'est l'opinion qu'il y a des pays qui n'ont pas de capitaux et ne peuvent, par exemple, construire de chemins de fer sans appeler à leur aide des pays où les capitaux abondent. Mais la richesse d'un pays consiste dans ses ressources naturelles et dans le pouvoir que ses habitants ont su conquérir sur la nature, pouvoir qui se traduit, comme nous l'avons vu, par l'épargne du travail. En réalité, ce qui distingue les pays qui possèdent des capitaux, des pays qui n'en possèdent pas, ce sont d'abord les connaissances acquises, ensuite le déve– loppement de l'association, et, enfin, l'économie du travail qui en est le résultat.

Il en est de même de la classe ouvrière. Sa pauvreté, au point de vue économique, est plus fictive que réelle: elle n'est que la richesse cachée. Dans les circonstances favorables, cette chaleur latente du monde économique devient libre et produit des trésors qui surpassent de beaucoup les fortunes les plus considérables, accumulées par les chefs industriels, et contre lesquelles on a tort d'exciter la jalousie du peuple. D'un autre côté, rien n'est plus triste que ces tentatives d'améliorer l'état des classes laborieuses par la propagande de l'action miraculeuse de l'épargne; car il n'y a rien de plus erroné, au point de vue de la science, que l'application aux phénomènes sociaux de la mesure individuelle. Il est grandement temps de remplacer par une conception plus rationnelle cette arithmétique sociale, au delà de laquelle les économistes n'ont jamais rien vu, et qui consiste à ne considérer la société que comme une simple somme d'individus, de comprendre que la société est un organisme régi par des lois très-différentes des lois biologiques et psychologiques. Si l'épargne peut être une source de richesse pour les individus, si elle peut améliorer le sort d'un ouvrier en l'aidant à l'entretien de sa famille, à l'éducation de ses enfants, en allégeant le poids de la vieillesse et des souffrances,

il ne s'ensuit nullement que le même moyen puisse servir à élever le niveau du bien-être de toute une classe, de tout un peuple, de tout un pays. Que le moraliste prêche donc les charmes et la sainteté de l'épargne, nous sommes les premiers à la reconnaître comme un des principes fondamentaux de la morale la plus élevée qui ait jamais existé, de la morale de l'amour et du devoir; qu'il démontre, de plus, que l'observation de ce principe apporte aux hommes toutes sortes de biens, dans la plupart des cas cela est vrai; mais le savant peut, avec une conscience tranquille, indiquer le mal social qui résulte de l'épidémie de l'épargne et son décroissement nécessaire par les progrès de la civilisation. Il n'y a que ceux qui cherchent l'harmonie dans l'uniformité mathématique des phénomènes et dans l'identité des causes et des effets, qui verront ici une collision entre la science et la morale; le savant doit professer la vérité scientifique sans s'inquiéter de l'accorder avec tel ou tel système de morale; cet accord, c'est la vie elle-même, c'est-à-dire la pratique, l'expérience qui se chargeront de le faire.

E. DE ROBERTY.

LES RESTES LES PLUS ANCIENS DE L'HOMME

D'APRÈS LES TRAVAUX LES PLUS RÉCENTS

PREMIÈRE PARTIE

1.- Homme tertiaire; commencement de l'âge de pierre.

Depuis les découvertes de M. Boucher de Perthes, si connues aujourd'hui, les travaux sur l'homme fossile prirent une extension considérable, et fournirent rapidement les preuves des faits géné raux les plus importants et les plus inattendus. Dans ces dernières années, l'activité des études s'accrut singulièrement grâce à la réunion en congrès de tous les savants auteurs des travaux originaux; ce qu'il y avait de décousu et d'incomplet dans la plupart des premières études disparut rapidement en des discussions où toutes les opinions étaient favorablement accueillies et impartialement discutées. Le public étonné a pu assister à ce spectacle, bien rare aujourd'hui, d'un aéropage mettant à l'ordre du jour les questions les plus épineuses de science, d'histoire, de littérature, de philosophie, de religion, sans que la cordialité la plus grande cesse d'unir ses membres de nationalités si diverses.

Une première tentative de congrès avait été essayée dans des excursions en Italie; mais le véritable élan fut donné en Suisse, où pour la première fois les sciences préhistoriques se formèrent en section spéciale, lors de la réunion de la Société helvétique des Sciences Naturelles, à Neuchâtel, au mois d'août 1866. Le président, M. Desor, développa dans son discours d'ouverture la série des faits déjà recueillis et dont l'importance augmente chaque jour, en insistant sur la nécessité de provoquer des réunions entre les savants pour unifier la masse des documents isolés. On touchait alors à une période un peu critique où l'on pouvait craindre que l'ardeur des recherches ne fit place à la polémique. La nécessité de

ne jamais faire de pas en arrière décida le comité à acclamer la proposition de son président, proposition qui consistait à donner rendez-vous à tous les savants spéciaux pour l'année suivante, à l'Exposition française.

Ce congrès composé de savants illustres de tous les pays se proposa de mettre à l'ordre du jour les questions encore peu élucidées, et de conduire les délibérations de manière à ce que toutes les idées personnelles pussent être exposées et discutées. Les sujets de délibération furent choisis de manière à appeler spécialement l'attention sur les questions qui divisent le plus les savants, et sur lesquelles les avis sont le plus contradictoires.

Une des premières questions abordées par le congrès fut celle de l'apparition la plus éloignée de l'homme sur la terre. Les travaux publiés dans ce sens étaient un peu isolés, et la vérification en était généralement impossible pour les personnes dont l'avis fait

foi.

L'apparition de l'homme n'a jamais signifié, scientifiquement, l'époque de sa création, mais l'époque à laquelle on peut rapporter les traces les plus anciennes de son existence. Depuis longtemps on savait que l'homme est déjà bien vieux sur la terre, et que les chronologies qui prétendent compter son âge par des années, n'ont plus d'autorité. Les travaux récents ont reculé bien davantage l'apparition de l'homme, et le nombre des siècles qui s'est écoulé depuis devient immense; il est vrai que ce nombre ne peut être calculé, mais on se fera une idée de son immensité quand on verra combien ces temps étaient différents des nôtres. Ces temps si éloignés ne ressemblaient en rien à l'ère actuelle; la géographie de nos pays, les animaux et les plantes qui les peuplaient, leurs cours d'eau, leurs climats, étaient complètement différents. Ces temps sont ce qu'on appelle les temps géologiques; ils font partie d'une série d'ères de plus en plus différentes de la nôtre à mesure qu'elles en sont plus éloignées.

Les conditions de vie et les relations des continents avec les mers qui servent à définir les temps géologiques, sont estimées au moyen des dépôts que les eaux laissent au fond des mers ou sur les continents; c'est ce qu'on appelle la série des terrains.

Les terrains se divisent, suivant leur ancienneté, en terrains primaires, secondaires, tertiaires et quaternaires, les dépôts de chacun de ces terrains accusant des différences profondes dans l'époque qui les a vus se former.

T. V

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Les terrains primaires sont ceux où on a pu constater les premiers êtres vivants. On les rencontre souvent au sein des hautes montagnes, où ils ont été pris par les roches ignées dont l'érup tion a été la cause de la formation des grands reliefs.

Les terrains secondaires contiennent des animaux moins différents des nôtres que ceux des terrains primaires dont toutes les espèces sont éteintes. En France, ils ont été déposés dans des mers plus ou moins profondes qui couvraient le bassin de Paris, le Jura, les Pyrénées. Les continents d'alors étaient bien différents de ceux d'aujourd'hui. Dans les montagnes, on les voit reposer sur les terrains primaires ou arrêtés au pied de ceux-ci.

Les terrains tertiaires donnent une distribution des mers plus voisine de celle que nous voyons actuellement. Les espèces animales vivant alors renfermaient, dans leur nombre, des espèces qui vivent encore actuellement dans la mer, et le nombre de celles-ci est d'autant plus grand que le dépôt est plus récent. C'est sur cette considération qu'on a classé les terrains tertiaires en éocène qui renferme peu d'espèces vivantes, en miocène qui en renferme davantage, et en pliocène qui en contient beaucoup plus.

L'éocène, outre la différence de ses espèces animales, présentait une distribution géographique bien éloignée de celle de notre époque. La mer pénétrait dans le bassin de Paris jusqu'à la Champagne, et formait, sur ses bords, des régions plates, couvertes d'eaux saumâtres, aux environs de Londres, tout le long des Pyrénées. Les mammifères de cette époque sont ceux qui ont été décrits par Cuvier.

Le miocène se retrouve, mais loin des bords actuels de la mer; il y a eu exhaussement du continent européen ; cependant la mer s'avançait encore jusqu'à Paris dans le bassin de la Seine, jusqu'à Blois dans le bassin de la Loire, jusqu'à Nérac dans celui de la Gironde, sur le revers du Jura en Suisse, à l'endroit même où s'élèvent maintenant de hautes montagnes. Un grand nombre de lacs couvraient l'Europe méridionale; la Grèce était réunie à l'Asie et à l'Afrique par des continents parsemés de lacs. La température était assez élevée pour permettre la végétation de nombreux palmiers, même à Paris.

Le pliocène n'apparaît plus guère que sur quelques points de nos côtes, à Montpellier, à Perpignan, sur les côtes d'Angleterre où ils forment des bancs coquilliers et sableux connus sous le nom de crags, et en Italie où il acquiert une grande importance. La

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