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par les progrès de la physiologie, qui ferme de plus en plus tout passage aux explications purement fictives des idéalistes.

Car c'est en vain que ces derniers recommandent ou même cherchent à imposer aux savants de ne pas aller au delà des données pures et simples de l'observation, de s'y arrêter sans s'élever jusqu'aux conséquences dernières des faits, jusqu'aux interprétations qu'ils comportent, jusqu'aux inductions nouvelles qu'ils suscitent. Les événements les plus simples de chaque jour, étendus jusqu'aux questions adressées au médecin dans la pratique médicale, s'opposent à ce que cette recommandation, plus habile que logique, soit suivie; ils s'opposent à ce qu'une partie de la vérité soit ainsi laissée dans l'ombre pour que l'explication des choses reste telle que la conçoivent ceux qui se tiennent en dehors de toute investigation directe de la réalité, en dehors surtout des notions concernant les états élémentaires et les états primordiaux de l'organisation et des actes d'ordre organique.

Les physiologistes, en effet, comme le dit M. Chevreul, sans rien préjuger de la nature des causes qui produisent les phénomènes d'ordre organique, les rapportent à leurs conditions d'accomplissement immédiates ou causes secondes, et tendent à les ramener aux lois que suivent tous les phénomènes d'ordre cosmologique.

C'est ainsi qu'il a été démontré que dans les actes soit élémentaires soit complexes de la vie végétative, tels que la nutrition, le développement, la génération, il n'y a rien qui se trouve en antagonisme avec les forces qui régissent la matière brute, et que là, au contraire, tout leur est subordonné. A cet égard nul doute n'est possible aujourd'hui. Il est également prouvé par une suite des mêmes études que la coordination anatomique et fonctionnelle des parties, qui conduit au maintien des formes spécifiques des plantes et des animaux dans le temps et dans l'espace, n'est pas même un équivalent de ces propriétés végétatives élémentaires ou irréductibles, pouvant être considérées à la rigueur comme des causes premières ; il est au contraire prouvé que cette coordination est une résultante générale de l'accomplissement simultané de ces actes reconnus eux-mêmes comme n'offrant rien de mystérieux. Les conditions de cette coordination ne doivent même pas être recherchées dans les propriétés de l'ordre le plus élevé que présente la matière organisée, mais dans celles qui sont communes aux plantes et aux animaux, puisque cette ordination est un

fait commun à ces divers êtres et un résultat de même nature que celui de la transmission héréditaire des formes ou ressemblances, des qualités nutritives et de celles qui sont dites de la vie animale.

CH. ROBIN,

Membre de l'Institut.

CENTIÈME ANNIVERSAIRE

DE LA NAISSANCE DE NAPOLÉON Ior

Préambule.

Si le centième anniversaire de la naissance de l'empereur Napoléon Ier s'était passé dans les Tuileries, et au sein d'une famille, je n'y aurais pas pris un texte, laissant aux sentiments privés tout le respect qu'ils méritent. Si de ce centième anniversaire on n'avait pas voulu faire une fête nationale, il ne me serait pas revenu en mémoire que ce chef national a fait prendre Paris deux fois, ce qui n'était jamais arrivé, ni à roi de France, ni à république française. Si Napoléon Ier n'avait été que notre empereur, sans être en même temps l'oppresseur du continent, je ne me sentirais pas blessé comme Européen dans ces sentiments de confraternité nationale, qui sont devenus une part de l'âme de chacun de nous.

Quand ces pages paraîtront, le bruit des réjouissances officielles aura cessé, les illuminations et les artifices seront éteints; et les foules, attirées par ce spectacle, si elles ont ressenti quelque émotion au souvenir des victoires et des défaites du premier empire, seront revenues à leurs pensées quotidiennes. Je me réjouis de cette circonstance fortuite. Je n'aurais pas voulu qu'on me supposât l'outrecuidance de croire qu'une voix aussi isolée que la mienne, prétendit empêcher quoi que ce soit. Mais, quand tout est accompli, il convient à la voix, même la plus isolée, d'élever une protestation. Au reste, la protestation contre le premier em

pire, qui ne trouva au début que quelques opposants imbus de dixhuitième siècle ou de république, protestation interrompue sous lą Restauration par un sentiment national égaré, a gagné de nos jours une intensité qui s'accroît, d'autant plus que l'on connaît davantage l'homme et ses actes.

C'est en qualité d'Européen, non de Français, que je prends la parole. Nous tous appartenant au mouvement réformateur qui tend à substituer la science à la théologie, à élever les mœurs du travail au dessus des mœurs militaires, et à faire de la guerre une exception de jour en jour plus rare, nous avons nécessairement deux patries, celle qui nous a donné le jour et à laquelle nous attachent nos premiers liens, et celle qui nous ouvre les grandes perspectives d'une politique plus éminente et d'une action plus décisive. Et remarquons-le bien, l'intérêt de l'une ne contrarie pas l'intérêt de l'autre ; loin de là, ils se confondent et se prêtent un mutuel appui.

L'inspiration du centième anniversaire animait l'empereur Napoléon III quand il prononça son discours du camp de Châlons ;

Soldats, a-t-il dit, je suis bien aise de voir que vous n'avez pas » oublié la grande cause pour laquelle nous avons combattu il y a › dix ans (à Solferino). Conservez toujours dans votre cœur le » souvenir des combats de vos pères et de ceux auxquels vous » avez assisté; car l'histoire de nos guerres, c'est l'histoire des » progrès de la civilisation. Vous maintiendrez ainsi l'esprit mili> taire, nécessaire à un grand peuple; c'est le triomphe des nobles passions sur les passions vulgaires; c'est la fidélité au drapeau, » le dévouement à la patrie. Continuez comme par le passé, et » vous serez toujours les dignes fils de la grande nation. »

La grande nation! c'est la flatterie dont se servait Napoléon Ier pour masquer le système de conquête et d'oppression auquel il faisait servir le bras de la France. Je vais, je le sais, choquer tous les préjugés français; mais, à mon avis, jamais la France ne fut moins grande que dans les années qui s'écoulèrent de 1803 à 1814. Elle semblait avoir oublié tout ce qui avait fait naguère encore son glorieux enthousiasme, et donner l'exemple de la plus triste versatilité. L'énorme puissance que les guerres de la république lui avaient remise, elle ne l'employait qu'à des guerres injustes, à des conquêtes odieuses, à des spoliations iniques, à des érections de trônes ridicules; toutes les hautes parties de la civilisation languissaient; et elle n'avait pour elle que le sanglant éclat de

triomphes stériles; car ils allaient à l'encontre du développement libéral qui devient de plus en plus l'âme de l'Europe. Même ce sanglant éclat lui fut ravi; des défaites encore plus grandes que ses victoires lui furent infligées; et il fut évident que les nations, avec une juste cause, avec des cœurs courageux et de bons chefs, étaient capables, à leur tour, de battre celui qui les avait battues. P.-L. Courier a dit le mot, en l'adressant aux étrangers dont on nous faisait peur sous la Restauration : « Ah! si nous n'eussions jamais eu de grand homme à notre tête... jamais nos femmes » n'eussent entendu battre vos tambours. » Quelque réserve que je fasse pour l'origine et le régime, je mets depuis longtemps la seconde époque impériale bien au-dessus de la première. Ce qui se passe me confirme en mon opinion; c'est un beau spectacle qui ne fut jamais donné sous le règne de Napoléon Ier, que de voir la France se remettre avec fermeté et entrain à l'œuvre de sa liberté ; et, pour me tenir dans les limites du discours du camp de Châlons, il n'y a pas dans toute l'histoire du premier empire une page de guerre libérale et d'affranchissement comme a été, il y a dix ans, la guerre d'Italie.

Que l'histoire de nos guerres soit l'histoire de la civilisation, à ce compte nul n'aura été plus civilisateur que Napoléon Ier; car nul, en un si bref intervalle, n'a tant promené la guerre du nord au midi. L'Espagne, le Portugal, l'Italie, l'Allemagne, l'Autriche, la Russie l'ont vu inonder leurs campagnes de ses bataillons. Ce qui germait sous leurs pas, ce n'était certes point la civilisation, c'était l'oppression militaire, l'anéantissement de toute liberté, l'insolence rapace chez les vainqueurs, et d'irréconciliables ressentiments chez le vaincu. Dans ces conflits aussi affreux que rétrogrades, la cause de la civilisation passa tout entière du côté de ceux qui défendaient les indépendances nationales, qui voulaient la paix pour issue, et qui, pour consacrer leur drapeau, relevaient quelques unes des doctrines libérales du xvII° siècle et de la Révolution.

C'est tout confondre que d'attribuer dans l'ère présente à la guerre le rôle qu'elle joua jadis dans l'antiquité. Considérez ces deux types essentiels, la Grèce et Rome, et vous verrez que, indépendamment des impulsions qu'elles avaient, de leur chef, vers les armes, il leur était impossible de garder la paix. Alors il fallait vaincre ou être vaincu, conquérir ou être conquis. La Perse débordait sur la Grèce, les Gaulois et les Germains débordaient sur l'Italie, si la Grèce et Rome n'avaient pas pris la supériorité mili

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