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MOBILITÉ DE LA SURFACE TERRESTRE

SOULÈVEMENTS ET DÉPRESSIONS.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 1.

Si ce que nous savons d'une manière positive et ce que nous pouvons affirmer en toute assurance, relativement aux causes qui produisent les vibrations sismiques et les réactions volcaniques, est jusqu'à présent mêlé de beaucoup d'obscurité, bien plus limitée, bien plus imparfaite encore est la somme de nos connaissances précises sur une autre catégorie de phénomènes, très-probablement connexes avec les deux ordres précédents de faits, mais qui exerce une influence notablement plus grande sur l'économie et les formes générales de notre globe. Je veux parler des phénomènes de lente dépression et de soulèvement graduel, ou, plus généralement, des phénomènes de mobilité de la surface terrestre.

Dans peu d'années, un siècle et demi se sera écoulé depuis que l'astronome suédois Celsius, recueillant les témoignages unanimes des habitants des côtes de Bothnie sur le retrait continu de la mer Baltique, portait pour la première fois les lumières d'une recherche scientifique dans l'étude d'un problème dont l'imagination populaire et les traditions orales de nombreuses générations antiques et modernes n'avaient jamais cessé de se préoccuper. Divers ports, jadis fréquentés, sur les rives scandinaves, devenus impraticables pour la navigation par le manque d'eau, avaient dû être abandonnés; en plusieurs endroits maintenant éloignés

Nous devons à l'obligeance de M. le professeur Boccardo, président de l'Institut technique et naut que de Gênes, communication du dernier chapitre d'un livre qu'il termine en ce moment. Nous sommes heureux d'offrir à nos lecteurs un échantillon d'un ouvrage remarquable comme tout ce qui sort de la plume de l'éminent professeur. Le titre de l'ouvrage, qui va bientôt paraître, est Sismopirologia, terremoti, vulcani e lente oscillazioni del globo.

de la mer, on avait trouvé de nombreux débris de navires et d'édifices, que les souvenirs locaux et même les chants nationaux affirmaient avoir été jadis construits sur le rivage.

De tels événements ne pouvaient s'expliquer que par un soulèvement progressif des terres, ou par une dépression également progressive de la mer.

C'était à cette dernière hypothèse que s'attachait le vulgaire, à une époque où l'immuabilité des formes solides de notre planète formait encore une espèce de dogme; rendant hommage à cette opinion, Celsius attribuait l'accroissement constant de la plage à un abaissement inexpliqué, mais graduel, du niveau de la mer. En discutant avec soin les faits observés, il en déduisit, en 1730, l'opinion que la Baltique se retire et s'abaisse d'environ 44 pouces suédois (1m 11) par siècle; et l'année suivante, ayant établi, de concert avec l'immortel Linné, un point de repère à la base d'un écueil dans l'ile Læffgrund, près de Geffle, il put reconnaître de ses propres yeux, treize ans plus tard, que le retrait de la Baltique s'effectuait au moins aussi rapidement qu'il l'avait supposé; car la différence de niveau observée après ce bref intervalle de temps, était de 0m 18, quantité qui, étendue à un siècle, donnerait 1 m 385. -De 1730 à 1849, le soulèvement de Læffgrund n'a été que de 915 millimètres seulement.

Les théologiens de Stockholm et d'Upsala accusèrent Celsius d'impiété; mais cette sorte d'anathème (auquel doivent désormais s'habituer les disciples de la science) n'empêcha nullement que les géologues, après avoir visité à plusieurs reprises, durant un siècle, les côtes suédoises, ne reconnussent et ne confirmassent les observations du savant astronome et de l'illustre naturaliste. A la vérité, ils durent intervertir l'hypothèse avancée par Celsius; et, au lieu d'attribuer le phénomène à un abaissement graduel des eaux, ils reconnurent, avec une certitude inattaquable, que le changement du niveau relatif dépend, au contraire, d'un soulèvement constant de la masse continentale.

Déjà dès 1740, l'italien Lazzaro Moro' avait osé déclarer, en opposition au fameux axiome terra autem stat, que c'est la terre et non la mer qui est, en réalité, l'élément mobile et instable sur notre planète. Si, en effet, la surface de la mer se déprimait pro

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'Sui crostacei ed altri corpi marini che si trovano sui monti. disciple de Moro, De crostacei e di altre produzioni del mare. 1749.

Voir aussi Gennarelli,

gressivement, l'eau qui, par loi de nature, se maintient toujours horizontale, se retirerait dans une mesure égale tout autour des continents et des îles où s'observe le changement de niveau, et, même, grâce à la libre communication des ocans, sur tous les rivages des mers. Or, cela n'est point pendant que, sur l'extrémité boréale du golfe de Bothnie, près de l'embouchure de la Tornéa, le continent émerge de 1 m C0 par siècle, il ne se soulève que d'un mètre seulement à la hauteur des îles Aland; au sud de cet archipel, le mouvement est plus lent encore; et enfin, la pointe qui termine la Scanie, non-seulement ne s'élève pas, mais, au contraire, s'enfonce peu à peu dans les eaux de la Baltique, comme le prouvent ses antiques forêts submergées. Plusieurs rues des villes de Trelleborg, Ystad, Malmoe, sont déjà disparues de la même manière; la dernière de ces villes s'est abaissée de 1 m 50 depuis les observations de Linné, et la côte a perdu, en moyenne, une zone de 30 mètres de largeur.

La péninsule scandinave peut donc se comparer à un plan solide, tournant autour d'une ligne d'appui et avec un véritable mouvement de levier ou de balançoire, soulevant une de ses extrémités, tandis que l'autre s'abaisse. Ce mouvement, toutefois, n'est pas uniforme, mais tantôt accéléré, tantôt ralenti, comme le prouve clairement l'inégalité d'épaisseur des couches, des lignes et des bancs de coquillages superposés, qui se prolongent sur les flancs du rivage norvégien, en traçant la limite qu'avait la plage dans les divers siècles passés 1.

De même que la Scandinavie, presque toutes les autres contrées du Nord de l'Europe et de l'Asie sont animées d'un mouvement de lente ascension. Les iles de Spitzberg offrent, entre la rive actuelle de la mer et les montagnes, d'anciennes plages doucement inclinées et en forme de terrasse, larges d'un à quatre kilomètres, dans lesquelles on trouve, jusqu'à la hauteur de 45 mètres, des amas de baleines et de coquilles appartenant à des espèces identiques à celles qui vivent encore dans ces mers 2.

Un phénomène identique se produit sur les côtes septentrionales

V. Léopold de Buch, Voyage en Norwège et en Suède pendant les années 1806 et 1807, Lyell, Philos. transact. for 1835, partie I. Lyell, Principles - Forchhammer, dans Philos. magazine, série III, vol. II, Bravais, Sur les lignes d'ancien niveau de la mer, pag. 15-40. - Humboldt,

partie II, page 389.
cap. 33.

of Geology, vol. II,

page 309.

Cosmos. I. 246.

-

Reclus, la Terre, I. 762.

' Malmgren, Mittheilungen von Petermann, II, 1863.

de la Russie et de la Sibérie; MM. Kaiserling, Murchison et de Verneuil ont trouvé, à 400 kilomètres au sud de la mer Blanche, sur les bords de la Dwina et de la Vaga, des couches de sable et d'argile, contenant des coquilles de cette mer, et de l'époque actuelle; M. von Middendorf s'est assuré que le sol des tundras sibériennes est en grande partie couvert d'une mince couche sablɔnneuse et argileuse, exactement semblable à celle qui se dépose actuellement sur la plage de la mer Glaciale. Il est même probable que ce soulèvement du sol aura continué plus à l'est, dans les terres circumpolaires du Nouveau Monde, jusqu'en Grænland; car, à Port-Kennedy, Walker a recuei li des crustacés de l'ère actuelle, à 170 mètres au-dessus du niveau de la mer, et un os de baleine, à 50 mètres 1. Il est à espérer que personne ne se hasardera plus, dans le xix siècle, à répéter les plaisanteries de Voltaire, au dire duquel les coquilles trouvées sur les Alpes y avaient été perdues par les pèlerins qui allaient à Rome. On comprendrait d'ailleurs difficilement quels pèlerins pourraient s'être amusés à porter des baleines sur les collires escarpées du Groenland.

Les falaises de l'Écosse présentent des phénomènes analogues aux précédents. Sur les flancs de ces roches nues et abruptes s'étendent de nombreuses lignes parallèles de niveau, tracées par les ondes de la mer, et elles sont toutes parsemées de coquilles de l'Océan, qui indiquent l'élévation graduelle de la Calédonie'.

Mais ce n'est pas seulement dans les parties septentrionales de l'ancien continent que se rencontrent ces phénomènes de soulèvement; les preuves en abondent aussi dans les contrées qui entourent la Méditerranée.

Après les mémorables études de Escher de la Linth et de Desor (1863) sur le Sahara, il n'est plus possible de douter que ce grand désert n'ait été jadis une vaste mer, et qu'il n'ait été desséché en s'élevant, dans une période géologique récente, de près de 300 mètres au-dessus de son ancien niveau. A l'existence de cette Méditerranée africaine devrait être attribuée en grande partie, suivant l'illustre géologue que j'ai cité le premier, l'énorme extension des glaciers qui jadis occupèrent l'Europe antique. Il est

1 Sam Haughton. Natural history Review, april 1860.

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1 Darwin. On the parallel roads of Glen-Roy and Lochaber, Philos. transact. for 1839, page 60. Archib. Geikie, Edinburgh new philos. Journal, new series XIV. · De trèsbeaux dessins de ces routes parallèles ont paru dans l'Illustrated London News, en 1868, et dans le magnifique ouvrage de sir Ch. Lyell, Antiquity of the man, page 252.

facile, en effet, de comprendre qu'avant le dessèchement de cette mer intérieure, les brises aériennes, voyageant vers le nord, se saturaient d'humidité en passant au-dessus des eaux, et qu'en s'élevant dans les régions supérieures, elles portaient continuellement aux cimes des Alpes de nouvelles couches de neige, au lieu de les fondre, comme fait actuellement le Fahn, le vent du midi, porteur de ces brouillards que les Allemands et les Suisses appellent pitto resquement les mangeurs de neige (schnee-fresser); Fæhn, souffle méridional échauffé et desséché par l'ardente réverbération des sables du désert.

Le mouvement d'élévation qui a produit cette grande métamorphose de nos climats, se continue encore sur la côte d'Afrique : les plages de la régence de Tunis ne cessent pas de gagner sur la mer; là, ont été comblés les anciens ports de Carthage, d'Utique, de Mahedia, de Porto-Farina, de Bizerte; là, se remplissent les golfes et s'avancent les promontoires.

La Sicile obéit à la même impulsion. -Sur les collines qui dominent la conque de Palerme, on voit, à 55 mètres de hauteur, des grottes que la mer a creusées; car on y trouve en abondance des coquilles aujourd'hui vivantes dans la Méditerranée. Sur la côte orientale de l'île, Gemellaro a déterminé un récent exhaussement de 13 mètres; et, de son côté, La Marmora a trouvé en Sardaigne, près de Cagliari, à des hauteurs de 74 et 78 mètres, des dépôts semblables aux Kiækhenmædinger du Danemark, c'est-à-dire formés de coquilles, d'écailles et de débris de poterie de l'époque préhistorique; et le docte géologue suppose (sans toutefois en produire la preuve complète) que ce terrain était situé sur la mer, à une époque où l'homme vivait déjà dans cette ile '.

Il suffit d'avoir parcouru notre côte ligurienne et visité les grottes de Menton, de Ventimiglia, du cap de Noli, pour reconnaître que ces rivages ont été couverts par la mer dans une époque récente.

Le mouvement d'ascension qui sollicite les bords de la partie occidentale de la Méditerranée, se prolonge vers l'occident jusque sur les bords de l'Atlantique, où, à Seixal, près Lisbonne, les constructeurs maritimes ont été récemment obligés d'abandonner les chantiers des gros vaisseaux de ligne, à cause de la diminution progressive des eaux; et vers le levant, dans la partie orientale du

1 Lamarmora, Partie géologique, tom. I de son ouvrage sur la Sardaigne, p. 382–387. V. Lyell, Antiquity of the man, ch. X, p. 174 et suiv.

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