Page images
PDF
EPUB

Vous mourez pour vos rois. Eur, ils ne sont pas là.
Et vous avez quitté vos femmes pour cela?

Vous jeunes, vous nombreux et forts, malgré leurs larmes.
Vous vous êtes laissé pousser par des gendarmes
Aux casernes ainsi qu'un troupeau par des chiens!
En guerre! allez, Prussiens! allez, Autrichiens!
Ici la schlague, et là le knout. Lauriers, victoire.
A grands coups de bâton on vous mène à la gloire.
Vous donnez votre force inepte à vos bourreaux,
Les rois, comme en avant du chiffre les zéros.
Marchez, frappez, tuez et mourez, bêtes brute!
Et vos maîtres, pendant vos exécrables luttes,
Boivent, mangent, sont gais el hautains; et, contents,
Repus, ont autour d'eux leurs crimes bien portants;
Vous allez être un tas de cadavres dan l'herbe,
Laissant derrière vous, sous le soleil superbe

Et sous l'étonnement des cieux, de vieux parents,
Et dans des berceaux, plaints par les nids murmurants,
O douleur, des petits aux regards de colombe!

Victor HUGO.

(Le Pape).

Je voudrais voir les gens qui poussent à la guerre
Sur un champ de bataille, à l'heure où les corbeaux
Crèvent à coups de bec et mettent en lambeaux
Tous ces yeux et ces coeurs qui s'enflammaient naguère.
Tandis que flotte au loin leur drapeau triomphant,
Et que, parmi ceux-là qui gisent dans la plaine,
Les doigts crispés, la bouche ouverte et sans haleine,
L'un reconnaît son frère, et l'autre son enfant.

Oh! je voudrais les voir, lorsque dans la mêlée
La gueule des canons crache à pleine volée
Les paquets de mitraille au nez des combattants,

Les voir, tous ces gens-là prêcher leurs théories
Devant ces fronts troués, ces poitrines meurtries
D'où la mort a chassé des âmes de vingt ans.

R. PONSARD.

Comme un homme expirant qui repousse la mort, Et voulant fuir en vain celle qui le convie, Jette un rôle suprême en invoquant la vie, La guerre se prépare à son dernier effort.

Elle remue encor, mais elle aura beau faire,
Elle va disparaître et s'éteindre à jamais,
Et les peuples humains prouveront désormais
Que la paix seule est grande, en désarmant la guerre !

Dans cent ans les soldats seront des laboureurs :
Les généraux seront les chefs de nos usines.
Avec tous les canons, on fera des machines,
Et sur tous nos remparts, on sèmera des fleurs!

Enfin on comprendra que l'honneur et la gloire Peuvent se rencontrer ailleurs qu'en des combats. Les soldats d'aujourd'hui sont les derniers soldats Et les chants du travail sont des chants de victoire !

Chantez la Paix, chantez l'avenir du labeur!

MAXIME DU CAMP.

Les Chants modernes (1855) (Aux Poètes, p. 52, 53).

La Gloire Militaire

Un jour, des vapeurs grises s'élevèrent tout à coup à l'horizon, un tonnerre lointain roula de sombres menaces, des nuages, chassés par un vent violent, rasèrent les arbres et les maisons; l'âme de feu Bressier s'amusa à se laisser emporter au hasard par un de ces nuages. Les nuages vont vite, je ne sais où elle serai allée si le nuage n'avait fini par crever en pluie sur une toute petite ville de je ne sais quel pays. Toujours est-il que c'était une ville fort perplexe et fort occupée: elle était alors en guerre avec une autre ville tout aussi petite, située à quatre ou cinq lieues de distance. Les historiens assignaient plusieurs causes à cette guerre qui durait depuis fort longtemps. Je me suis livré à plusieurs recherches à ce sujet.

L'un des historiens de la petite ville de Nihilbourg commence ainsi, dans le genre de Tacite, qui dit: Urbem a principio reges habuere. <<< Dieu créa le ciel et la terre ».

«

Puis, après avoir raconté le crime des hommes et le déluge, cette grande lessive si peu réussie, il explique comment les fils de Noé repeuplèrent les différentes parties de la terre, par suite de quoi et de beaucoup de circonstances diverses, que je ne vous raconterai pas, la petite ville de Nihilbourg se trouve aujourd'hui se composer de 260 habitants.

Tant de ce que j'ai trouvé dans cet historien un peu diffus, il faut l'avouer, que des traditions du pays, il résulte que les premières querelles entre les deux villes eurent pour sujet un orme placé sur la limite des deux États, et que chacun des deux prétendait lui appartenir.

Cette querelle fut apaisée par une idée ingénieuse d'un des princes de Nihilbourg. Après de longues et cruelles guerres, il proposa, ce qui fut accepté, de faire avec le vieil orme un feu de joie autour duquel dansèrent en rond les habitants des deux pays.

Il faut dire que les historiens de l'autre ville prétendent que c'est, au contraire, un duc de Microbourg qui eut l'idée en question. Ils reportent ladite idée à l'an 1645, et la chose se trouve consignée ainsi dans les annales de Microbourg.

1492. Ludwig, duc régnant, invente une nouvelle manière de faire la tarte aux prunes, l'année où Christophe Colomb découvre l'Amérique. Il règne, entouré de la vénération publique et de l'amour de ses sujets, jusqu'en 1517.

1517. Maximilien remporte de nombreuses victoires sur les habitants de Nihilbourg, meurt couvert de gloire en 1540.

1540. Wilhelm. Il avait un gros ventre.

1580. Ludwig II. Ce règne est considéré à juste titre, par les écrivains politiques, comme la continuation du précédent.

1623. Ludwig III conquiert sur les Nihilbourgeois 27 bottes de foin et un cochon gras.

1645. Wilhelm II. Sous son règne, on brûle l'orme qui faisait le sujet de la guerre entre les deux pays.

De leur côté, les habitants de Nihilbourg prétendent, avec une apparence de raison, que cette phrase ne veut pas dire que c'est le duc Wilhelm qui eut l'idée de brûler l'orme. L'historien dit simplement: sous son règne.

En effet, on peut dire: Racine fit la comédie des Plaideurs sous le règne de Louis XIV. Ce n'est pas dire que l'auteur des Plaideurs soit Louis XIV.

Quoiqu'il en soit, l'orme brûlé, qui avait paru aux deux pays une magnifique idée, entraîna de nouveaux embarras. Il est vrai que, placé sur la limite des deux États, il servait de prétexte à des discussions; mais, quand il n'exista plus, les limites se trouvèrent confondues, des empiètements mutuels amenèrent de nouvelles guerres. Ainsi on trouve dans les annales de Microbourg, dès l'année 1647:

<< Nouvelle guerre avec les Nihilbourgeois relativement à la récolte, indûment faite par eux, d'un demi-boisseau d'orge sur les terres de Microbourg.

Outre les causes politiques, différentes causes que la dignité de l'historien passe sous silence, mais que la tradition conserve précieusement, entretenaient la mésintelligence entre les deux

nations. Les Microbourgeoises avaient la réputation d'avoir la jambe extrêmement bien faite et portaient des jupes fort courtes.

Les dames de Nihilbourg, qui au contraire les portaient extrêmement longues, prétendaient ne pas savoir sur quoi était fondée cette réputation, et affirmaient que, si les convenances ne leur imposaient pas des jupes longues, si elles voulaient, comme les femmes de Microbourg, sacrifier la pudeur à une sotte vanité, elles pourraient montrer de quoi rabattre l'orgueil de ces dames, mais qu'il leur paraissait plus honorable pour elles qu'on dit : On ne sait pas comment sont les jambes des dames de Nihilbourg.

Elles ajoutaient que la réputation usurpée par les Microbourgeoises était achetée au prix d'une exhibition impudique, et que cette appréciation faite par le public de choses qui se doivent cacher, n'était, aux yeux des personnes sensées, qu'un monument immortel à la honte des femmes de Microbourg, loin qu'elles en dussent le moins du monde tirer vanité.

Plusieurs chansons avaient été faites, dans lesquelles les dames de Nihilbourg accusaient les femmes de Microbourg d'avoir des amants, à quoi celles-ci avaient répondu par des chansons où elles accusaient leurs rivales de n'en avoir pas.

En un mot, les choses s'étaient continuellement envenimées, et à l'époque où l'âme de feu Bressier tomba, avec la pluie, dans la ville de Nihilbourg, les deux États étaient en guerre sérieuse. Plusieurs combats avaient eu lieu, desquels chacun s'était attribué la victoire, mais où la seule chose qu'on pût raisonnablement affirmer était qu'on avait reçu de part et d'autre beaucoup de coups et de blessures.

Ce jour-là, c'était l'anniversaire du feu de joie fait avec l'orme litigieux. On célébrait dans les deux pays la Fête de la Paix.

La Fête de la Paix, dans les deux pays, commençait à l'heure où l'orme avait été frappé du premier coup de hache, et c'était encore un sujet de division entre les deux peuples. Les Nihilbourgeois assignaient à ce moment l'heure de 5 h. 3, 4, tandis que les habitants de Microbourg soutenaient que le premier coup avait été frappé à 5 h. 1/2.

Pendant longtemps, de part et d'autre, on allait en procession.

« PreviousContinue »