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Quelques hommes prennent à la caserne des habitudes d'intempérance qu'ils n'avaient pas avant leur incorporation et absorbent volontiers le matin à jeun un petit verre de liqueurs fortes. On peut observer chez eux au bout d'un certain temps les traces plus ou moins marquées de l'alcoolisme chronique qui nécessite un traitement dans les infirmeries et même dans les hôpitaux. Dr MARVAUD,

Médecin principal de 1" classe.

MALADIES VÉNÉRIENNES

Elles constituent la plaie dans la flotte comme dans la marine entière.

La syphilis fournit 13.42 pour 1.000 de malades.

Le chancre mou, 23.06 pour 1.000.

La blennhorragie, 39.83 pour 1.000.
Soit ensemble: 76.32 pour 1.000.

à

Il n'est pas téméraire de majorer le chiffre et de le porter 100 pour 1.000, étant donné le nombre d'hommes qui sont soignés tout en continuant leur service à bord, ceux qui échappent à l'observation médicale (cadres), et les cas relevés chez ceux des hommes en traitement à l'hôpital pour d'autres affections.

MALADES A L'INFIRMERIE

17,251 soldats des troupes européennes (de la marine) ont été traités à l'infirmerie (dans l'année), soit 641 p. 1.000 de l'effectif présent, sous-officiers et soldats.

Les affections qui donnent le plus d'entrée à l'infirmerie sont:

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LES ATROCITÉS

Mes pauvres vieux, si vous voulez me croire, rentrez dans votre pays, ne bougez, ni ne soufflez mot, prenez le deuil et ne parlez plus de votre fils que chez vous, en pleurant, la porte fermée, et quand personne ne vous entendra.

Dites-vous, mère Jannin, que vous êtes comme 7,000 mères dont on a tué l'enfant à Madagascar. C'est la même chose, votre fils est mort au service.

Quand il est parti, vous deviez bien vous douter qu'il pouvait lui arriver malheur : le métier est dangereux. Vous lisez le Petit Journal, vous savez bien qu'il y a le drapeau à Pauffin, la patrie à Déroulède, le respect de la chose, l'honneur de l'armée, et la redingote d'Arthur. Tous ces beaux affiquets-là ne s'achètent pas avec des coquilles de noix.

Votre fils est mort victime du Devoir.

Le devoir c'est de vivre des années dans une caserne; c'est pour avoir vécu des années dans une caserne qu'il s'est trouvé en position de recevoir une tuile sur la tête. Vous savez que votre fils était un brave garçon, honnête et sobre; et vous ne l'avez jamais vu, à votre foyer, ivre et abruti.

C'est dans l'accomplissement de son devoir qu'il s'est trouvé dans un état à ne plus reconnaître une pièce de canon d'une carte de visite. Ce n'est pas permis aux troupiers.

La fatalité lui fait rencontrer une manche galonnée, comme il aurait rencontré la fièvre à Madagascar, ou un coupe-coupe au Tonkin.

La manche galonnée s'offre pour se faire salir, à votre malheureux gars qui a la vue troublée par l'air patriotique; il la salit. Mais qui sait? Il chantait peut-être, justement et légalement << En revenant de la revue » et n'avait pas de mauvaises intentions.

Quel malheur que personne ne vous ait dit de ne pas faire de bruit.

Voyez ce qui arrive.

Vingt-cinq journalistes qui s'occupent avec dévouement de faire massacrer la moitié de leurs concitoyens (afin d'attraper un bout de ruban, ou un huit ressorts pour leurs maîtresses) se mettent à pleurer dans la Seine comme s'ils étaient au bord du Nil.

Dix écrivains honnêtes et loyales gens se laissent prendre au mirage d'une fictive clémence; Séverine, Edouard Conte, Huard, les Droits de l'Homme, l'Aurore, viennent défendre le malheureux !

Fatale besogne!

On ne fusillera pas votre petit. On ne peut plus le fusiller. L'honneur de l'armée a dépensé le crédit de citoyens qui lui était

Ouvert.

Notre Roi, sortant de condescendre à des familiarités avec des monarques inférieurs, a besoin de faire œuvre souveraine en paraphant un décret de par « son bon plaisir ».

Les vingt-cinq crocodiles - malheureusement non empaillés ouvrent de telles mâchoires qu'il faut leur donner un morceau à chacun; et l'on va leur jeter la grâce du pauvre garçon. Sa grâce!!!

Mais vous n'imaginez pas ce que c'est, mes pauvres vieux. Sa grâce! Non, je ne veux pas vous le dire.

Mais quelle misère!

Fusillé par le peloton, il tombait debout non sans honneur, servant, par son supplice au grand jour à la vue de tous, l'idée émancipatrice d'où germent les révoltes.

Sa grâce! C'est la mort à petit feu, ignominieuse, en cinq, dix ou vingt ans sous le plomb du soleil africain, dans les silos de Biribi, où il va râler, inutile et oublié.

Fusillé, c'était pour vous le deuil; et, pour lui, le repos.

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Lorsque, l'autre jour, le disciplinaire Henri Jamin est venu nous raconter l'effroyable supplice enduré par lui pendant ces trois dernières années, j'ai cru faire un mauvais rêve.

Le malheureux, rentré la veille chez son père, qui n'espérait guère le revoir jamais, était encore vêtu de la défroque qu'on lui avait donnée à sa sortie de Biribi. Défroque lamentable qui, dans la rue, attirait l'attention des passants par sa malpropreté et son mauvais état. Et c'est sous ce vêtement mal joint, dont les boutons tenaient à peine et dont l'étoffe légère ne le garantissait aucunement contre le froid, qu'il avait voyagé et traversé la mer!

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J'ai fait, me dit-il, six cents jours de prison, plus quatre cents jours de salle de police. J'ai subi les tortures les plus barbares et les plus injustes. Pendant quatorze mois, j'ai couché par terre, sur la brique. Voyez plutôt.

Et, ouvrant ses loques, Henri Jamin me montra sa pauvre chair couverte à ce point de croûtes et de durillons qu'un cri d'horreur m'échappa. Il comprit ma pensée :

Ne croyez pas, reprit-il, qu'en venant à vous je veuille exercer une vengeance contre mes bourreaux. La satisfaction de leur avoir échappé me suffit. Combien d'autres sont moins heureux que moi! Ce n'est point un sentiment personnel qui me dicte cette démarche, mais bien le seul désir de faire connaître au gouvernement, aux Chambres, aux pères et aux mères de famille surtout, les atrocités qui sont commises en Algérie. Je remplis la mission sacrée dont m'ont chargé de nombreux camarades de souffrances, laissés là-bas, et qui agonisent lentement sans avoir plus que moi de fautes graves à se reprocher.

COMMENT ON DEVIENT DISCIPLINAIRE. Henri Jamin étudiait la peinture dans l'atelier de M. Bonnat quand, en 1893, il tira au sort. Il fut incorporé au 10° d'artillerie, à Lunéville. Cinq mois après son entrée au régiment, il fit une chute de cheval si malheureuse qu'il se brisa la jambe, en présence du maréchal des logis Fournil et du brigadier Noël.

Le jeune soldat resta trois mois à l'hôpital. La convalescence dura quatre mois, qu'il passa dans sa famille.

Le 1er octobre 1894, sur sa demande, il fut réincorporé. On l'envoya au 8 régiment d'artillerie. C'est ici que commence le drame :

- Je servais, me dit-il, sous les ordres du lieutenant Fondeur et du capitaine Hayot.

Quand ce dernier sut que j'avais étudié la peinture, il me commanda de reproduire un tableau d'Alphonse de Neuville, dans l'intention d'orner la batterie de cette reproduction pour la fête de la Sainte-Barbe. Huit jours seulement nous séparaient de cette fête. Ce laps de temps était matériellement insuffisant pour peindre un sujet aussi compliqué que celui dont le modèle m'était indiqué. Au bout de huit jours, c'est à peine si mon tableau était esquissé. Le capitaine furieux, m'accusa de mauvaise volonté et me prit en grippe. Dès lors, j'étais perdu.

Régulièrement, ou plutôt règlementairement, le certificat d'origine de ma blessure aurait dû se trouver à la tête de mon lit. Malgré mes demandes réitérées, on ne me l'avait pas délivré encore. Le capitaine Hayot profita de cette négligence pour prétendre que je simulais une infirmité. Il m'ordonna de remonter à cheval. Comment aurai-je pu obéir alors que, pour marcher, l'aide d'une canne m'était nécessaire. Je n'étais pas guéri, loin de là. Combien maudis-je alors le zèle stupide qui m'avait poussé à demander, spontanément, mon renvoi au régiment!

Le capitaine Hayot alla trouver le major, un homme très dur qui revenait des colonies.

Jamin est un carottier, lui dit-il. Il faut à tout prix nous débarrasser de ce gaillard-là avant l'arrivée des recrues. Les jeunes soldats n'ont déjà que trop peur de monter à cheval. Il ne faut pas leur laisser sous les yeux un mauvais exemple.

Comme je n'avais pas de punition à mon actif, on ne pouvait pas m'envoyer en Afrique comme disciplinaire. On m'y expédia comme simulateur.

Par décision du général commandant du 6e corps d'armée, je passai à la 4o compagnie de fusiliers de discipline le 14 février 1895, et je partis pour Aumale.

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